Intervention de Alexis Corbière

Séance en hémicycle du vendredi 7 juin 2019 à 9h30
Débarquement de normandie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Corbière :

Il est bon que nous puissions, dans cet hémicycle, par l'intermédiaire de telles propositions de résolution, rappeler des moments d'histoire importants et rendre des hommages. Cette démarche nous satisfait. Nous savons qu'un pays se constitue aussi par sa mémoire et sa capacité à rappeler les moments importants où il s'est fondé, où sa liberté a été défendue.

Nous rendons toutefois hommage aux morts aussi pour parler aux vivants, pour que cela fasse sens. Il arrive parfois que l'on dise que ce sont les vainqueurs qui écrivent l'Histoire : or dans cette proposition de résolution, tous les vainqueurs ne sont pas mentionnés, et c'est là le reproche que nous lui adressons.

Évidemment, il faut rendre hommage aux soldats américains, canadiens, anglais. Toutes les nationalités de ces soldats doivent être rappelées. Nous ne devons oublier aucun des 400 000 soldats américains, ni des 45 000 soldats canadiens – j'arrête là la liste morbide des soldats de toutes les nationalités, qui étaient présents ce 6 juin 1944, qui souligne le caractère tragique de cet épisode historique.

Mais si l'on parle de la Seconde guerre mondiale et de l'importance de la journée du 6 juin 1944, il est obligatoire de rappeler que ce débarquement ne fut possible qu'en raison de la victoire de l'Armée rouge, à Stalingrad. On ne comprend pas pourquoi le 6 juin 1944 fut possible si on oublie que c'est d'abord sur le front de l'Est qu'une victoire majeure a été remportée contre les armées nazies, notamment par l'armée de l'Union soviétique, l'Armée rouge. L'opération Neptune, qui ouvrit un nouveau front à l'Ouest, fut demandée par l'URSS, qui se battait depuis deux ans sur le terrain. Le Débarquement attendait le feu vert de la victoire de Stalingrad pour être lancé.

Puisque nous avons rappelé, à raison, le lourd tribut des différents pays et le nombre de morts que ce conflit a causé, notamment le jour du Débarquement, comment oublier que l'URSS est le pays qui a supporté le plus grand nombre de victimes ? Douze millions de soldats de l'Armée rouge ont perdu la vie dans le combat contre l'armée nazie, 12 millions ! Seize pour cent de l'ensemble de la population de l'Union soviétique ont disparu dans cette confrontation avec le nazisme !

Pour quelles raisons ne pourrions-nous pas dans cette proposition de résolution au moins le rappeler ? Cela n'est en rien une validation de la nature du régime de l'Union soviétique, lequel, à cette époque, était dirigé par Joseph Staline. Cela n'est en rien approuver le stalinisme, c'est rappeler la complexité de cet événement. Sans cette victoire sur le front de l'Est, le Débarquement n'était pas possible.

Les Français le savaient : à la Libération, l'IFOP – il existait déjà ! – les avait interrogés sur la perception qu'ils avaient des vainqueurs du conflit. À 57 %, ils considéraient que l'URSS était la nation qui avait le plus contribué à la défaite nazie ; seulement 20 % d'entre eux citaient les États-Unis. Depuis 2005, la proportion s'est inversée. Cela doit nous interroger.

Les protagonistes le savaient : Franklin Roosevelt a toujours considéré la participation de l'Armée rouge comme déterminante. Je rappelle d'ailleurs que l'Union soviétique a reconnu le général de Gaulle comme étant le chef de la France libre, bien avant les États-Unis d'Amérique. Tout cela doit être restitué dans cette proposition de résolution, pour montrer la complexité de l'époque, afin que cet hommage ne soit pas excluant, blessant, pour le pays qui a le plus contribué à la victoire contre le nazisme.

Je le répète, nous rendons hommage aux morts, mais nous parlons aux vivants. Une fois de plus, c'est expliquer que cette victoire n'est pas seulement due aux États-Unis d'Amérique. Prenons garde à ne pas faire de ce travail de mémoire un travail très contemporain, très actuel, qui décontextualise les conditions de la victoire, qui l'attribue et en remercie un seul pays, et cela en raison du monde tel qu'il est aujourd'hui.

Voilà, chers collègues, la raison pour laquelle nous n'avons pas pu soutenir la proposition de résolution dans sa rédaction actuelle. Nous la voterions avec plaisir si M. le président, ou ceux qui ont porté la plume, voulaient bien restituer, avec toute la richesse que permet la langue française, la réalité de l'apport de l'Armée rouge à la victoire contre le nazisme. Mais en l'état, elle nous semble attester d'un tel oubli qu'elle est peu utile, voire contre-productive. Sachez que je le regrette.

1 commentaire :

Le 15/05/2020 à 10:49, Laïc1 a dit :

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Le nazisme contre le soviétisme communiste, c'est un match entre deux pouvoirs horriblement totalitaires et également génocidaires.

Le devoir de mémoire impose de mettre en évidence les crimes contre l'humanité perpétrés par l'union soviétique, comme on le fait avec l'Allemagne nazie.

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