Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du vendredi 7 juin 2019 à 9h30
Débarquement de normandie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

Je suis de cette génération de l'après-guerre, qui, par chance, n'a pas connu les atrocités de la période. L'héritage de ce terrible événement est pourtant bien présent dans mon esprit, aujourd'hui plus encore, au moment de rendre hommage dans cette assemblée aux combattants engagés dans le débarquement de Normandie, le 6 juin 1944.

Tant de récits, transmis depuis plusieurs générations maintenant, me traversent l'esprit : celui d'un oncle, qui a combattu sur l'île d'Elbe lors du débarquement du mois de juin 1944, quelques jours après celui de Normandie, et que j'ai eu la joie d'accompagner sur place, bien des années après ; celui d'un autre oncle, qui me racontait aussi les terrifiantes journées de Monte Cassino ; celui d'un troisième, enfin, parti d'Alger pour une lente progression en combattant jusqu'à l'Allemagne, finalement vaincue.

Cette histoire, c'est la nôtre. C'est celle de chaque Européen. Que nous l'ayons vécu ou pas, le 6 juin 1944 fait partie de nos souvenirs, de notre mémoire collective. Et il faut qu'il en soit ainsi, que perdure la mémoire de ces événements.

Ce 6 juin, des dizaines de milliers de soldats déployaient leur courage, dans d'épouvantables conditions. Ils arrivaient par les airs, en parachute ou en planeur, ou par la mer, dans l'objectif de libérer l'Europe. Ces centaines de péniches transportaient des hommes braves, jetés dans l'enfer, qui ont eu à faire abstraction de tout et à offrir ce qu'ils avaient de plus précieux.

Sur toutes les plages et les zones d'atterrissage du jour J, tant d'hommes sont tombés. Tant d'autres n'oublieront jamais leurs blessures, ni les images effrayantes de ce qu'ils ont vécu, des scènes que certains ont racontées, que d'autres ont laissées enfouies dans le silence de leur coeur. Ces histoires, héroïques parfois, tragiques souvent, doivent à nos yeux être contées, pour ne jamais oublier. À ces combattants de la paix nous devons reconnaissance et gratitude.

Il me semble qu'il convient d'associer dans cet hommage, dans cette respectueuse évocation, toutes les victimes des guerres à répétition qui ont tant martyrisé l'Europe. N'oublions pas non plus les immenses sacrifices de la Résistance, au service d'un combat héroïque et inégal. Et l'on me pardonnera d'évoquer ici les centaines de monuments aux morts, qui depuis Bastia, ville qui fut aussi écrasée sous les bombes, jusqu'au plus petit des villages de Corse, évoquent le triste souvenir de tant et tant de vies brisées.

Alors, nous devons renforcer ce devoir de mémoire dans la loi, en adoptant cette proposition de résolution. C'est pourquoi le président de notre groupe Libertés et territoires, Philippe Vigier, a tenu à cosigner ce texte.

Il s'agit aussi de témoigner, de transmettre l'héritage, de raconter aux nouvelles générations ce qu'a été ce débarquement et pourquoi il a eu lieu. Il a eu lieu pour que la mémoire ne disparaisse jamais ; pour que la jeunesse n'oublie pas ; pour qu'elle sache combien l'environnement stable qu'elle connaît aujourd'hui, est fragile, et subordonné à une lutte de tous les instants, pour la paix ; pour que les enfants prennent conscience que la guerre est source de malheurs, de souffrances, de destructions, et que la paix est un bien ultime.

Ce souvenir, enraciné en Normandie, terre de pèlerinage, s'est dispersé un peu partout dans le monde. Américains, Britanniques, Canadiens, Polonais, Norvégiens, Belges, Tchécoslovaques, Français du commando Kieffer et bien d'autres nationalités encore, sans oublier l'immense sacrifice des Russes, ont combattu côte à côte.

Les forces ont afflué de tous pays et se sont rejointes dans le but unique de mettre fin à une période d'horreur. Tant et tant ont sacrifié leur vie sur le terrain d'une patrie qui n'était pas la leur pour nous offrir la liberté – et la plupart d'entre eux n'avaient qu'une vingtaine d'années ! Ils sont le symbole d'une jeunesse meurtrie, meurtrie pour que nous puissions, jusqu'à aujourd'hui, jouir du bien précieux de la liberté.

Ils avaient à assumer, ces jeunes, un devoir sacré : celui d'écraser l'horreur absolue du nazisme. L'horreur absolue. Ils l'ont fait, et par conséquent ce 6 juin 1944 nous impose comme un devoir quotidien de préserver les idéaux, les valeurs suprêmes de la liberté individuelle et collective, de la fraternité, du respect d'autrui, en un mot de la démocratie.

Rappelons-le, ces idéaux ne seront jamais des acquis. Nous le voyons bien aujourd'hui, quand surgissent un peu partout tant d'idées rétrogrades et dangereuses, tant de forces menaçantes, quand prospèrent tant de nationalismes agressifs, d'arrogance, de volonté de domination, de populismes, de haine religieuse et d'obsessions chimériques. Une responsabilité incombe aux citoyens de notre continent et aux dirigeants politiques : celle de tout faire pour contenir les conflits guerriers, les crimes de guerre et le terrorisme, qui ne demandent qu'à s'enflammer à nouveau, toujours plus.

Ces menaces nous rappellent la nécessité de la solidarité, de l'union face à l'adversité. La préservation de nos idéaux doit se réaliser, s'entendre comme un objectif commun, s'incarner dans un désir d'échange et de consensus. C'est ensemble que nous devons, en Europe et ailleurs, nous opposer au racisme, à l'antisémitisme, aux idéologies totalitaires.

Ce sacrifice des hommes, il y a soixante-quinze ans, est un héritage que nous devons honorer. Dans les épreuves de la guerre, nous étions devenus des alliés inséparables ; en dépit de l'usure et des difficultés du temps, nous devons tout faire pour le demeurer, et pour être des partenaires de confiance pour un monde de paix. C'est dans la coopération, le dialogue que peuvent être entretenus et valorisés les objectifs communs d'avenir.

Ce débarquement a ainsi renforcé les liens d'une amitié franco-américaine historique. Le souvenir et le respect des malheurs passés n'ont pas empêché non plus l'avènement de la coopération franco-allemande, et, au-delà, la construction européenne, que nous devons améliorer et approfondir.

Malgré les divergences politiques, malgré les contradictions économiques, malgré les difficultés de l'heure, il est de notre devoir commun de maintenir les liens forgés sur les plages de Normandie, il y a aujourd'hui soixante-quinze ans, et d'entretenir la volonté d'un équilibre mondial de paix – pour que le sacrifice de ces combattants d'Omaha Beach, d'Utah, de Gold, de Juno, de Sword, après tant d'acquis, ne soit pas finalement vain.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.