Intervention de Philippe Chalmin

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 16h30
Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires :

Merci monsieur le Président. C'est avec un grand plaisir que nous présentons nos travaux devant votre commission d'enquête car ils s'inscrivent pleinement dans le cadre général de la fonction de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM). Un document, qui reprend plusieurs éléments que je souhaite souligner, vous a été distribué.

Je souhaite vous rappeler tout d'abord ce qui est l'Observatoire. L'Observatoire de la formation des prix et les marges des produits alimentaires a été créé par la loi de modernisation de l'agriculture de 2010, sous la forme d'une commission administrative. Il réunit au sein de son comité de pilotage l'intégralité des organisations représentantes, c'est-à-dire les parties prenantes, puisque nous avons autour de notre table à la fois, tous les syndicats agricoles, les représentants de l'industrie agroalimentaire dans ses différentes branches, les représentants du commerce, de la grande distribution ainsi que ceux des consommateurs.

À l'époque de la création de l'OFPM, la période était tendue et c'était le marché de la viande bovine qui posait de graves soucis. Nous étions dans les soubresauts liés à la digestion de la crise de la vache folle, et le premier rapport de l'Observatoire avait été consacré uniquement à la viande bovine. Par la suite, nous avons élargi notre périmètre de compétence à l'ensemble, ou presque, des filières des produits frais et même à quelques produits qui ne le sont pas forcément comme les pâtes alimentaires. L'objet de l'Observatoire, lors de sa création, était de mettre à la disposition de toutes les parties prenantes, au sein des filières et plus largement aux représentants de la nation, au Parlement, etc., des éléments chiffrés permettant de suivre l'itinéraire des produits du champ à l'assiette. L'idée était donc de produire des informations partagées par toutes les parties prenantes.

Depuis 2010, nous présentons chaque année au Parlement notre rapport. Ce sera le huitième cette année. Il contient une masse d'informations considérable et est adopté à l'unanimité des parties prenantes à l'Observatoire c'est-à-dire par les représentants de la production agricole, de l'industrie, du commerce et de la distribution et des consommateurs. Lors de la création de l'Observatoire, le législateur, à l'époque, a souhaité remédier aux relations interprofessionnelles détestables constatées à l'intérieur de chaque filière et à l'absence de confiance en faisant un effort de transparence. L'Observatoire a été créé pour essayer d'établir les prix des produits aux différents stades des filières, les marges brutes et – en grattant un petit peu plus et en intégrant les coûts de production, de transformation et de distribution – les marges nettes. C'est son travail principal. Pour cela, il bénéficie de la richesse de l'appareil statistique français, qui est sans équivalent, qu'il s'agisse des données collectées par l'INSEE, par le service des statistiques du ministère de l'Agriculture ou par FranceAgriMer qui nous abrite depuis l'origine et nous permet de profiter de la qualité de ses travaux. Nous sommes avant tout des gens qui collectent des données, qui essayent de les agréger et de les homogénéiser. Dans un certain nombre de cas, nous menons nos propres travaux, notamment en ce qui concerne les marges nettes de la grande distribution.

Nous ne sommes qu'un observatoire, dont la mission est d'observer. Nous regardons donc dans le rétroviseur. Il existe une complémentarité avec d'autres structures et notamment le service du médiateur des relations commerciales, que vous avez auditionné. Celui-ci intervient en cas de crise. Nous, notre rôle est d'intervenir en amont : nous collectons les données, puis nous réalisons un travail de synthèse qui conduit à une photographie discutée puis validée par les parties prenantes.

Dans la dernière partie de notre rapport au Parlement, nous avons ajouté une vision macroéconomique. Elle n'est pas d'utilisation directe à l'intérieur des filières, mais elle permet de relativiser les choses. À partir des travaux sur les tableaux croisés de l'économie inspirés de Leontieff, nous donnons la répartition de la valeur ajoutée. En clair, quand vous dépensez 100 euros en produits alimentaires, comment se répartit la valeur ajoutée ? Sur l'exemple que nous donnons, on voit que la valeur ajoutée de l'agriculture est de 6,5 % et la place des autres canaux. Ce graphique est la dernière version de nos réflexions et nous y avons distingué la restauration hors foyer (RHF), qui est devenue un élément important dans le modèle de consommation alimentaire des Français et représente une part de plus en plus grande du budget alimentaire des ménages.

L'approche de l'Observatoire, au niveau des grandes filières, consiste à mettre en place un modèle dans lequel nous allons véritablement du champ à l'assiette, en prenant en considération les prix aux différents stades de la filière et les différences de ces prix. Dans notre exemple, un graphique reconstitue un panier saisonnier de viande de boeuf en GMS. On y voit la partie qui représente le coût entrée en abattoir – donc qui dérive largement des prix agricoles – la marge brute de la première et de la deuxième transformation ainsi que la marge brute de la grande distribution.

La marge brute, je le rappelle, c'est la différence entre un prix d'achat et un prix de vente. Ce n'est pas un bénéfice. Ensuite, comment va-t-on de la marge brute à la marge nette ? Comment calculons-nous les coûts de production, les coûts de transformation ? Nous le faisons à trois niveaux. Au premier niveau, celui du stade de la production, nous avons deux approches : l'une à partir de l'échantillon d'élevage spécialisé que suit le réseau d'information comptable agricole, l'autre à partir des calculs fournis par l'Institut de l'élevage. La deuxième approche présente l'intérêt de raisonner en euros et, dans le cas de l'élevage bovin par exemple, par 100 kg de poids vif. Dans cet exemple, cela permet de bien voir que la réalité des coûts de production ne couvre pas le prix de vente des bovins, pour les naisseurs comme pour les naisseurs-engraisseurs. Pour notre calcul, nous avons intégré les produits joints, le coût du travail sur la base de deux SMIC par unité de main-d'oeuvre (UTH) et le coût du capital. Nous faisons ce travail pour toutes les filières. Ensuite, grâce aux travaux de FranceAgriMer et à la coopération des Syndicats de l'industrie de la viande, nous avons le coût et les résultats de l'industrie de l'abattage-découpe de la viande bovine. Cela nous permet d'avoir la marge nette de l'industrie. Nous ne disposons pas de chiffres aussi qualitatifs pour tous les domaines industriels. Nous avons un gros problème méthodologique, mais pas uniquement, dans le secteur laitier.

Nous nous sommes livrés au même exercice pour la grande distribution. Compte tenu des célèbres négociations entre l'industrie et la grande distribution, ce travail nous a semblé nécessaire. Pour la grande distribution, on dispose de la marge nette issue de la comptabilité nationale pour le secteur. Faire des calculs selon la méthode de l'Observatoire, c'est-à-dire sur des produits identifiés, n'avait pas vraiment de sens et nous avons donc choisi, pour la grande distribution, de calculer les marges nettes par grands rayons. Nous couvrons donc les grands rayons des produits frais. Ce travail a été le grand chantier de ces sept ou huit dernières années. Nous avons été confrontés à des problèmes car la grande distribution présente des structures capitalistiques différentes. On a pris les sept enseignes historiques mais elles n'adhèrent pas toutes au même syndicat. Cinq sont à la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), deux sont des coopératives d'indépendants. Le raisonnement marge nette par rayon ne leur était pas familier et cela a requis un effort non négligeable et nous nous félicitons de la qualité des relations que nous avons pu établir après quelques difficultés initiales.

C'est Amandine Hourt qui pourra, beaucoup mieux que moi, répondre aux questions techniques que vous pourrez poser, puisque c'est elle qui gère aujourd'hui cet exercice. Dès le mois de juin, on va envoyer aux différentes enseignes les questionnaires qui nous permettront de sortir l'année prochaine les marges nettes de la grande distribution pour l'année 2018. Nous avons donc toujours un an de décalage.

Nous avons un engagement de confidentialité totale et les sept enseignes y tiennent véritablement. Nous nous contentons donc de donner une sorte d'indicateur de dispersion des résultats. Toutefois, si je prends le rayon boucherie : le chiffre d'affaires du rayon est en base 100, la marge brute est de 24,9, la marge semi-nette – si j'enlève les frais de personnel du rayon – tombe à 13 et si j'enlève l'ensemble des autres charges, nous arrivons à une marge nette, avant impôt sur les sociétés, négative de 3,4 %. Nous en sommes au huitième exercice et la marge nette a toujours été négative pour le rayon boucherie. À l'inverse, le rayon charcuterie dégage une marge nette très positive, la plus positive de tous les rayons de la grande distribution. D'une année sur l'autre, les rapports entre les différents rayons sont toujours à peu près les mêmes. C'est sur le rayon marée – donc poissonnerie – que la grande distribution affiche la marge nette négative la plus forte. Le rayon boucherie apparaît aussi toujours en négatif. Le rayon boulangerie est également négatif. Il existe des rayons extrêmement positifs : la charcuterie et la volaille. Cela nous donne pour l'ensemble des rayons, en pondérant bien entendu, une marge nette globale avant impôt de 1,7 % qui est légèrement supérieure à celle que l'on retrouve dans les comptes de la nation sur l'activité grande distribution. La mise en évidence de ces chiffres est un des éléments forts de l'apport de l'observatoire. Si à l'origine ces publications ont suscité des réactions et des critiques de la part des observateurs, maintenant l'ensemble de la communauté et les filières acceptent ces données.

Je le rappelle, je n'ai pas, non plus que l'Observatoire, de pouvoir de coercition. Autrefois, j'ai disposé d'un pouvoir pour contraindre les entreprises à publier leurs comptes auprès des tribunaux de commerce en saisissant le Président du tribunal de commerce afin de faire appliquer des sanctions. Je l'ai utilisé une seule pour la filière laitière. Aujourd'hui, le rôle de l'Observatoire a été largement clarifié dans le cadre de la loi EGalim et je ne dispose plus de cette possibilité. En revanche, je dispose du « name and shame », où je peux montrer du doigt ceux qui ne coopèrent pas. Et ça marche relativement bien !

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