Intervention de Adeline Hazan

Réunion du mercredi 29 mai 2019 à 10h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

Non, monsieur le député, ce n'est pas cela mais une question de respect. Il n'est agréable pour aucun de vos invités que se poursuivent à ses côtés, pendant l'audition, des échanges vraiment très peu discrets. C'est à quoi j'ai eu droit pendant toute la dernière série de questions, et j'ai préféré le dire. Il ne s'agit aucunement d'options politiques mais de correction républicaine à l'égard de vos interlocuteurs, quels qu'ils soient.

Madame Dubré-Chirat, je ne peux évaluer la régulation carcérale : c'est un dispositif que je propose depuis un certain nombre d'années. Le principe est que lorsqu'une maison d'arrêt en vient tendanciellement à un taux de remplissage de 100 %, une concertation – pérennisée au sein d'une cellule de veille – permette d'examiner la situation des détenus en fin de peine qui pourraient être libérés sans crainte pour eux et pour la société. On préparerait donc leur sortie avant d'incarcérer d'autres personnes. Tel est le système proposé, dont Mme la garde des Sceaux vient d'annoncer qu'elle veut l'expérimenter sur dix sites. Cela suppose une fluidité de relations et surtout une très bonne coopération entre les magistrats, l'administration pénitentiaire et les SPIP de manière que tout le monde travaille dans le même esprit. Je me félicite de cette initiative mais j'ai regretté qu'elle ne soit pas inscrite dans la loi, parce que cela fonctionnera parfaitement lorsque tous les intervenants, sur un même site, sont d'accord, et pas du tout si certains ne le sont pas. Nous verrons quels résultats donne cette expérimentation.

J'ai moi-même constaté et j'ai reçu des lettres me le signalant que des fouilles qui n'auraient pas dû l'être ont été pratiquées sur des mineurs dans des CEF. Dans ces centres comme dans les établissements pour mineurs, des fouilles peuvent avoir lieu, mais avec encore plus de discernement que lorsqu'il s'agit de majeurs. C'est le cas dans la plupart des CEF, mais dans certains le discernement manque et nous le signalons.

L'hypothèse d'une audience différée permettant au juge de disposer des renseignements que pourront lui donner les experts me semble tout à fait intéressante, monsieur Mazars. Je l'ai dit à la commission des Affaires sociales : les UHSA sont un bon dispositif pour les détenus en difficulté à un moment donné. Le problème tient à ce qu'au terme du passage dans ces unités, le parcours de soins sera interrompu : les détenus sont rebasculés en détention ordinaire, ce qui a souvent pour corollaire l'insuffisance de soins psychiatriques, si bien que le bénéfice tiré du séjour en UHSA disparaît. C'est pourquoi je recommande la création d'autres UHSA ; la deuxième tranche va enfin commencer mais, actuellement, il n'y en a pas assez. Peut-on contraindre aux soins en milieu carcéral ? Non, bien sûr : on peut imposer des soins en milieu hospitalier, pas en milieu carcéral. Dès lors qu'il y a refus de soins, il faut ordonner un séjour en milieu hospitalier. Il est impossible de contraindre des détenus aux soins. On a vu pratiquer des injections forcées en milieu carcéral ; elles peuvent éventuellement être tolérées en cas d'extrême urgence, mais ensuite le détenu doit être transféré très rapidement en milieu hospitalier. Autoriser les soins forcés en milieu carcéral autrement qu'en cas d'extrême urgence, c'est mettre le doigt dans un engrenage très dangereux.

Votre question m'étonne, monsieur Terlier, car j'ai dit à la fin de mon propos liminaire que j'aurais aimé parler des CEF mais que, puisque je manquais de temps pour le faire, nous en traiterions au cours du débat. Et si vous avez lu mon rapport, vous avez dû y voir énormément d'éléments, autant que sur les autres établissements, à propos des CEF et des établissements pour mineurs. Pour le moment, nous n'avons pas d'informations officielles sur le contenu de la réforme de l'ordonnance de 1945. Le seul élément qui nous est parvenu est la césure entre le prononcé du jugement et la peine. A priori, c'est une bonne idée, mais je veux en examiner les modalités d'application. D'autre part, cela donnera encore plus de travail aux juges des enfants, dont il faudra donc peut-être adapter les effectifs.

Vous avez mis l'accent sur le très sérieux problème, explicitement mentionné dans le rapport du Contrôle général, de la présence de mineurs non accompagnés dans les établissements pour mineurs. Le rapport indique même que, très souvent, dans les établissements que nous avons visités en 2018, la moitié des mineurs incarcérés étaient des mineurs non accompagnés qui, pour la plupart, et c'est ce qui me soucie le plus, étaient incarcérés pour des délits pour lesquels, à l'évidence, un mineur qui n'aurait pas été un mineur non accompagné n'aurait jamais été incarcéré. Ainsi, certains étaient incarcérés pour un vol de scooter alors que c'était leur première infraction – et pour cause, puisqu'ils étaient arrivés en France depuis très peu de temps. Une réflexion doit vraiment être menée. On peut comprendre que des magistrats pensent ainsi protéger les mineurs non accompagnés des dangers de la rue, de la traite, de la prostitution ; je pense que cette considération est à l'origine de ces placements en détention mais ce n'est pas une solution, puisqu'à leur sortie de ces établissements, les dangers qui guettent ces mineurs seront les mêmes. Il faut donc retravailler la question avec les conseils départementaux pour que la prise en charge des mineurs non accompagnés se fasse. Je ne fais pas d'angélisme : je sais que beaucoup ne restent pas longtemps dans un foyer, mais à certains, au moins, la prise en charge apportera quelque chose, alors que les mettre en prison ne sert à rien.

Monsieur Rebeyrotte, je n'ai pas tiré de conséquences d'une loi très récente, j'en ai donné mon interprétation – et je n'ai évidemment pas fait le bilan, qui serait illusoire, d'un texte promulgué en mars 2019. J'ai indiqué les conséquences qu'à mon avis la loi peut avoir, mais j'espère être démentie. Si, l'année prochaine, vous me faites le plaisir de m'inviter pour présenter mon prochain rapport et que l'on a constaté une baisse de la surpopulation carcérale, j'en serai ravie. Je dis simplement que, les mesures qui ont été prises se compensant, je m'interroge.

Oui, monsieur Rupin, la détention des femmes transgenres pose un problème et nous avons rédigé des recommandations à ce sujet. Parce que nous ne sommes pas satisfaits de la pratique actuelle – l'isolement dans des quartiers pour hommes –, nous proposons que ce ne soit pas, comme c'est le cas actuellement, le changement d'état civil qui provoque le transfert mais le début de la transformation du corps. Nous allons devoir, les uns et les autres, peser sur l'administration pénitentiaire pour mettre fin à l'épouvantable situation actuelle de ces femmes.

Monsieur Blanchet, je précise que la mission du Contrôle général des lieux de privation de liberté est de veiller à ce que les droits fondamentaux des personnes privées de liberté soient respectés. Il est vrai, dans une certaine mesure, que les surveillants sont, eux aussi, privés de certaines libertés, mais ils ne sont pas notre « coeur de métier ». Pour autant, nous ne visitons jamais un établissement sans étudier la situation du personnel ni nous entretenir avec ses membres. Nous avons même rédigé un rapport thématique sur le personnel des lieux de privation de liberté que je me ferai un plaisir de vous envoyer si vous le souhaitez. Nous pouvons d'autant moins être taxés de nous désintéresser du personnel pénitentiaire que nous disons régulièrement que la manière dont sont pris en charge les droits fondamentaux des personnes privées de liberté dépend à l'évidence de la situation des personnels, les deux étant entièrement imbriquées.

Il y a effectivement des personnes âgées de plus de 70 ans dans les prisons françaises, monsieur Tourret. L'allongement de la durée de la vie vaut aussi pour les détenus, mais elle est un peu moindre que pour la population qui vit en liberté, parce qu'en général les détenus ont eu des vies accidentées, ce qui les fait vieillir plus vite. Nous avons fait diverses propositions visant à améliorer la situation des personnes âgées et des personnes en situation de handicap incarcérées et, en 2018, nous avons rédigé à ce sujet un avis publié sur notre site. Nous proposons notamment la signature de conventions entre les départements et la maison d'arrêt pour que ces personnes puissent bénéficier, sur le modèle de l'aide à domicile, d'assistance en détention, car des personnes vieillissantes ou handicapées ne sortent plus de leur cellule.

La loi du 15 août 2014 prévoyait une disposition selon laquelle l'incarcération des femmes enceintes de plus de trois mois ne devait être ordonnée qu'en dernier recours. Je n'ai pas eu connaissance de l'application de cette disposition et c'est dommage. Vous connaissez la situation des femmes avec bébé : elles sont incarcérées dans les nurseries jusqu'à ce que le bébé atteigne l'âge de dix-huit mois. Faut-il dire que les femmes enceintes et les femmes qui ont un enfant âgé de moins de dix-huit mois ne peuvent jamais être incarcérées ? Je laisse au législateur le soin de le proposer éventuellement, mais cela me paraît un peu excessif.

Je suis intervenue il y a un an ou deux au sujet du rapprochement des détenus corses, monsieur Questel, et j'avoue que je n'ai pas plus d'informations aujourd'hui, si bien que je ne peux vous répondre.

Madame Ménard, je ne commenterai pas chacune des situations que vous me signalez. Je ne dis pas que les mineurs ne doivent jamais être incarcérés mais que, pour eux plus encore que pour les majeurs, ce doit être la solution ultime et que, s'ils sont incarcérés, ils ne doivent l'être que pendant une durée extrêmement réduite et pour préparer leur sortie. Je ne peux vous répondre sur ce qui se passe précisément au centre pénitentiaire de Béziers, sinon que cela pose effectivement la question de l'équilibre, dont je sais qu'il est difficile à trouver, entre les mesures de sécurité et les droits fondamentaux.

J'ai passé huit jours à Condé-sur-Sarthe, où les mesures de sécurité sont considérables ; pour autant, malheureusement, cela ne peut éviter qu'il y ait des accidents. Doit-on aller vers toujours plus de sécurité ? Va-t-on recréer les quartiers de haute sécurité, question en filigrane ? Les mesures de sécurité sont déjà très fortes dans certains établissements ; peut-être faut-il les corriger à la marge, notamment en installant des portiques, pour éviter la répétition de ce genre d'accidents, mais on ne peut pas mettre toutes les mesures de sécurité au plus haut niveau, sinon on fera de ces détenus des bêtes sauvages, et personne n'y gagnera : ni eux, ni la société.

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