Intervention de Jérôme Nury

Réunion du mercredi 29 mai 2019 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Nury, rapporteur :

Monsieur le président, mes chers collègues, M. Jean-Baptiste Moreau a fait le point sur les décrets mais, comme vous le savez, la loi « Egalim » a aussi prévu quatre articles contenant des habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnances. Le Parlement s'étant dessaisi temporairement de son pouvoir législatif, il est nécessaire de contrôler le respect du périmètre d'action dévolu au Gouvernement.

C'est normalement l'objet des lois de ratification d'ordonnance mais elles sont rarement inscrites à l'ordre du jour. Dès son dépôt, le projet de loi comportait quatre articles habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances. Ces articles ont été longuement débattus, parfois combattus sur le contenu de l'habilitation comme sur la procédure même du recours aux ordonnances. Ce choix d'avoir recours aux ordonnances n'a pas permis « d'aller plus vite » comme il est de coutume de dire puisque les débats parlementaires ont été longs et que l'essentiel des autres articles était applicable dès le lendemain de la promulgation de la loi quand il a fallu attendre près de deux mois pour que la première ordonnance paraisse et le délai limite de six mois pour plusieurs autres ordonnances.

La procédure des ordonnances a en revanche permis de réformer – pour l'essentiel – plusieurs pans du droit particulièrement techniques :

– le droit applicable aux coopératives, avec pour objectif d'améliorer la lisibilité et la transparence des informations données aux associés-coopérateurs, je vais y revenir ;

– le code de commerce dans sa partie relative aux pratiques commerciales restrictives de concurrence et autres pratiques prohibées, afin de gagner en lisibilité notamment pour les dispositions propres aux produits agricoles et denrées alimentaires et de progresser en efficacité des procédures applicables à tous les secteurs. Sur ce sujet, l'ordonnance assouplissant les critères de mise en oeuvre de l'action en responsabilité pour prix abusivement bas était particulièrement attendue. Nous nous réjouissons que les indicateurs de coût et de prix au coeur de la nouvelle contractualisation soient également utilisés dans le code de commerce. Un tableau récapitulatif sera annexé au rapport pour plus de lisibilité ;

– le droit applicable à la vente et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques.

Une ordonnance a trait à la mesure spécifique et temporaire (deux ans) de relèvement du seuil de revente à perte et d'encadrement des promotions, qui devait être rédigée en lien étroit avec les professionnels pour appréhender toutes les pratiques du secteur agro-alimentaire.

Plusieurs autres ordonnances sont attendues, par coordination avec les ordonnances déjà publiées et sur les questions de gaspillage alimentaire.

À ce jour, six ordonnances comportant vingt-sept dispositions ont été publiées dans le délai prévu par la loi, six mois après sa promulgation, sur un total de trente et une dispositions d'habilitation prévues par la loi dans son ensemble. Sur ces ordonnances, le taux de mise en oeuvre de la loi atteint 84 %. Quatre autres dispositifs sont attendus d'ici l'automne 2019.

Un seul projet de loi de ratification a, à ce jour, été déposé. Il n'a pas été inscrit à l'ordre du jour. Il ratifie l'ordonnance relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions.

Concernant la publication des ordonnances, nous, rapporteurs, considérons que le Gouvernement a dépassé le champ de son habilitation à légiférer au sujet de l'extension aux coopératives de l'action en responsabilité pour prix abusivement bas. L'article 17 prévoyant une réforme du prix abusivement bas au sein du code de commerce a servi de base juridique pour élargir le contenu de la réforme des coopératives agricoles (article 11), qui pourtant ne concernait pas le prix des apports. Lors des débats parlementaires relatifs aux articles 17 et 11, il n'a pas été question de réformer les coopératives agricoles sur d'autres aspects que celui de la transparence et du contrôle des informations données à l'associé-coopérateur. L'article 17 sur lequel se fonde le Gouvernement prévoit en son II « la mise en cohérence des dispositions de tout code avec celles prise en application du I » relatives au titre IV du livre IV du code de commerce. Pour autant, les députés ne souhaitaient pas que les dispositions modifiées au code de commerce soient appliquées aux coopératives agricoles au sein du code rural et de la pêche maritime.

L'intérêt de la procédure des ordonnances comme de celle de la rédaction des mesures réglementaires est de pouvoir consulter les professionnels et le public (consultation publique) afin de mieux prendre en compte leurs avis. C'est pour cette raison que nous nous sommes interrogés sur l'effectivité de ces consultations. Outre les consultations du public, les professionnels ont bien été associés et consultés mais les contributions écrites recueillies par vos rapporteurs révèlent leur insatisfaction sur le fond des mesures prises. De fait, outre des réclamations sur des délais trop courts pour réagir aux projets d'ordonnance, plusieurs organisations se sont plaintes du manque de prise en compte de leurs remarques.

En termes de méthodologie nous avons choisi d'auditionner les cabinets du ministre de l'agriculture et de l'alimentation et du ministre de l'économie et des finances. Compte tenu de la réforme de la coopération agricole, l'organisation Coop de France a également été auditionnée. Les syndicats agricoles et plusieurs organisations interprofessionnelles ont été sollicités par écrit.

Nous nous sommes efforcés d'en tenir compte dans notre analyse mais force est de constater que leurs remarques relevaient davantage d'une critique de la loi elle-même et des choix opérés par le Parlement dans l'habilitation donnée au Gouvernement pour légiférer ou pour prendre des mesures réglementaires d'application. Ce rapport n'ayant pas vocation à refaire le débat des EGA, ni même le débat législatif sur la loi maintenant promulguée, nous n'avons pas tenu compte de leurs propositions d'ordre législatif.

Les députés de la majorité ont été tenus informés de l'évolution de la rédaction des ordonnances. Pour autant, les députés de l'opposition n'ont pas été étroitement associés à cette rédaction. Cela ne constitue pas en soi un motif de contestation mais c'est regrettable, d'autant qu'au moment où le législateur s'apprêtait à confier au Gouvernement une partie de son pouvoir législatif, le ministre s'était engagé à associer l'ensemble des députés.

Vous l'avez compris au regard des chiffres qui ont été communiqués par mon collègue rapporteur, il s'agit d'un rapport d'application et non d'évaluation.

Ce rapport n'est pas l'occasion de poursuivre le débat sur le bien-fondé des mesures adoptées. Au risque de décevoir nombre de lecteurs, ce rapport n'est pas un rapport d'évaluation de la loi : sept mois après sa promulgation il serait en effet bien trop tôt pour en évaluer les conséquences juridiques, économiques, financières, sociales et environnementales. Cette évaluation interviendra dans les trois ans suivant la promulgation de la loi, conformément au troisième alinéa de l'article 145-7 du Règlement de l'Assemblée nationale, qui précise la mission d'évaluation des politiques publiques confiée au Parlement sur le fondement de l'article 24 de la Constitution.

D'ici là, nous allons proposer à la commission des affaires économiques des auditions thématiques, à échéance régulière, à même de faire le point sur la mise en oeuvre de la loi.

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