Intervention de Roger Genet

Réunion du mercredi 15 mai 2019 à 16h30
Commission des affaires sociales

Roger Genet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) :

Merci beaucoup, Madame la Présidente. Mesdames et Messieurs les Députés, je suis évidemment ravi d'avoir l'occasion de m'exprimer devant vous une nouvelle fois. L'année dernière, au mois d'avril 2018, vous m'aviez invité à une audition avec le Président du Conseil d'administration. Nous avions pu présenter les grands enjeux de l'agence à ce moment-là. Bien entendu, nous suivons avec beaucoup d'intérêt les travaux de la commission, d'autant qu'ils traitent souvent de sujets très proches à la fois de la réorganisation du système sanitaire, de l'expertise, d'un ensemble de sujets sur lesquels l'Agence peut venir en éclairage des travaux que vous conduisez. La commission est la seule qui a désigné en son sein une représentante faisant un lien régulier avec l'Agence. J'en profite pour remercier Mme Pitollat, avec qui nous entretenons des relations régulières et j'espère fructueuses.

L'audition d'aujourd'hui revêt un caractère particulier. Compte tenu de la nature un peu personnelle de cette audition, je souhaite faire un bilan bref de mon action à la tête de l'Anses depuis trois ans et vous présenter la vision que je veux développer pour l'Agence pour la prochaine période et les prochaines années.

Si vous m'y autorisez, je vais dire quelques mots sur mon parcours. J'ai l'habitude de me présenter en tant que scientifique, puisque je suis biochimiste enzymologiste. J'ai consacré les 25 premières années de ma vie professionnelle à la recherche. J'ai été très impliqué sur les politiques de santé, mais également les politiques agricoles et environnementales. C'est plutôt au cours de ces quatorze dernières années, au travers de mes expériences professionnelles, que je me suis confronté à la place de l'expertise et de la recherche en soutien à l'expertise et à la décision publique. Au travers de mes différentes positions, j'ai développé une appétence particulière pour cette utilisation de la recherche pour l'expertise. À partir de 2005, mon parcours s'est orienté vers les politiques publiques de recherche et d'expertise, au travers du management d'un certain nombre d'établissements publics. De 2009 à 2012, j'ai dirigé le CEMAGREF, devenu Irstea début 2012, Institut national de Recherche en Sciences et Technologies pour l'Environnement et l'Agriculture. À partir de ses travaux de recherche, au même titre que l'Anses, c'est un établissement qui développe une expertise au plus haut niveau, afin d'appuyer la décision publique. C'est une expertise transparente et indépendante. J'ai la conviction qu'il ne peut pas y avoir d'expertise ne se faisant pas sur une recherche au meilleur niveau international, ce qui me conduira à développer un certain nombre d'initiatives, que j'ai portées, afin de renforcer la place de la recherche à l'Anses.

Cette réflexion s'est concrétisée en 2011 par la charte nationale de l'expertise scientifique, à laquelle j'ai collaboré avec le Président de l'Ifremer, dans le cadre d'une mission qui nous a été confiée par la Ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Cette charte de l'expertise scientifique a été approuvée par l'ensemble des universités et organismes de recherche. À cette période, je me suis également employé à développer une vision très intégrative de la recherche environnementale. J'ai porté cette idée de création d'une grande alliance nationale de recherche sur l'environnement qui regroupe 27 membres aujourd'hui. À l'origine, ils m'avaient demandé d'être Président de cette alliance nationale, dans un champ recouvrant la biodiversité, l'eau, l'alimentation, l'environnement et le développement des territoires. C'est une vision extrêmement intégrative de la mobilisation de l'expertise scientifique en appui de ces politiques.

Avant de rejoindre l'Anses en 2016, en tant que Directeur général de la Recherche et de l'Innovation au Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, je me suis consacré à porter une vision stratégique, de façon à inscrire véritablement dans les missions des chercheurs l'appui aux politiques publiques au travers de la loi pour l'enseignement supérieur et la recherche de 2013 et à développer la place de la recherche scientifique française en Europe et dans le monde.

À travers ces expériences en santé, en agriculture, en environnement, ce parcours intellectuel me menait assez spontanément à candidater à l'Anses, que je dirige depuis trois années. En arrivant à l'Anses en mai 2016, six ans après sa création en 2010, j'ai trouvé une agence extrêmement expérimentée et réactive, avec des équipes très compétentes et engagées, dans un esprit positif, capables à la fois d'appréhender de manière globale un champ très vaste au service de la santé de nos concitoyens, de faire preuve d'anticipation face à des risques nouveaux émergents et de réagir très vite en cas de crise sanitaire. Malheureusement, nous avons connu plusieurs épisodes de cette nature au cours de ces trois années, dont la grippe aviaire. Ce sont des crises qui ne sont pas sanitaires comme le Fipronil, mais qu'il a cependant fallu traiter. La crise de la peste porcine africaine et celle du Lactalis nous ont également mobilisés. Ce sont des équipes de recherche qui sont capables de se réorienter très vite, en appui aux politiques publiques et surtout, c'est une agence extrêmement reconnue au niveau européen et international.

Il y a trois ans, devant votre commission, je m'étais engagé sur cinq priorités d'action. Aujourd'hui, elles résonnent très fortement avec les cinq axes prioritaires de notre nouveau contrat d'objectifs et de performance, que nous avons négocié pendant l'année 2017. Il a été signé par le ministre en janvier 2018 et nous nous employons à le mettre en oeuvre pour la période de 2018 à 2022. Je vais vous présenter à la fois le bilan et les perspectives au travers de ces cinq priorités, que je vous avais présentées il y a trois ans.

La première priorité que j'avais mentionnée consistait à renforcer la crédibilité de l'Agence et son indépendance. L'agence dispose d'une gouvernance originale, avec cinq ministères de tutelle : santé, agriculture, environnement, travail, économie. C'est également un conseil d'administration et des instances internes très ouverts à la société civile, visant à intégrer les préoccupations de tous les acteurs et citoyens dans nos politiques et nos programmes d'action. C'est un cadre déontologique renforcé garant à la fois de la transparence et de l'indépendance de l'expertise de l'Agence. C'est une gouvernance complexe, mais dont l'efficacité a été soulignée dans le récent rapport de la Cour des comptes qui s'est exprimée dans son contrôle sur les années 2011 à 2017.

En matière de déontologie, l'Agence s'est dotée d'un cadre extrêmement exigeant, avec un Comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts présidé par un scientifique, philosophe, professeur à l'Université de Marseille. Tous les avis sont publics et nous avons un code de déontologie, dont j'ai souhaité qu'il soit réalisé en 2018. Elle s'est également dotée de moyens de contrôle interne, afin de vérifier la bonne mise en oeuvre de ce cadre déontologique, avec un déontologue faisant un rapport annuel sur cette mise en oeuvre.

Pour mener à bien ses missions, l'Anses s'appuie évidemment sur ses forces propres, mais elle s'appuie surtout sur un panel d'experts. Ce sont 800 à 900 experts, que nous mobilisons chaque année. Ils viennent des organismes de recherche publics et des universités. Ce sont 20 % d'étrangers francophones. Ils sont sélectionnés sur appel à candidatures, en choisissant bien sûr des experts compétents dans les disciplines dont nous avons besoin, mais également sur la base de leur déclaration publique d'intérêt. Ce sont des collectifs d'experts qui mènent une expertise pluridisciplinaire, collective, contradictoire, transparente. Dès qu'ils sont signés, tous nos avis sont publiés sur notre site Internet, ce qui constitue pour l'Agence la meilleure garantie d'impartialité et de pertinence sur le plan scientifique. Cette prévention des conflits d'intérêts faisant régulièrement l'objet de débats dans la société est un élément clé de la crédibilité de nos agences sanitaires. En 2017, l'Agence s'est dotée d'une grille d'analyse des liens d'intérêt permettant de prévenir les éventuels conflits d'intérêts de nos experts et de nos personnels. Chacun de nos experts, chacun de nos personnels est évalué sur sa déclaration publique d'intérêt, afin de concilier cette exigence de compétence et d'indépendance.

Toujours pour parler de crédibilité et d'indépendance, nous utilisons une pluralité de sources de données. Nous accordons un haut niveau d'importance et d'exigence à l'indépendance des articles et des données scientifiques que nous utilisons. Ces données sont en effet la base des avis que nous rendons, des rapports que nous produisons analysant l'ensemble de la littérature scientifique internationale. C'est l'enjeu des travaux que nous avons récemment conduits, par exemple pour produire à la demande du gouvernement un cahier des charges, que nous publierons dans quelques semaines, pour des études complémentaires qui permettront de lever ou de diminuer les incertitudes sur la toxicité du glyphosate, sujet faisant actuellement débat.

Ce cadre rigoureux en matière de déontologie comme sur le plan scientifique est d'autant plus crucial dans le contexte actuel caractérisé parfois par une montée des irrationalités, un certain scepticisme de nos concitoyens et une remise en cause de l'expertise scientifique, voire de nos agences sanitaires. Il s'agit donc d'accroître de plus en plus cette transparence de nos processus et l'exigence en matière de déontologie. C'est le gage de la crédibilité de l'Agence, dont je suis devant vous le gardien.

La deuxième priorité est de maintenir un haut niveau d'expertise scientifique. J'ai coutume de dire que l'Agence est une agence d'expertise scientifique, mais surtout une agence scientifique d'expertise. L'Agence évolue de manière globale, transversale à l'ensemble des risques auxquels chacun d'entre nous est soumis dans sa vie quotidienne : les risques chimiques, biologiques, physiques, les ondes. Cela va de la santé des animaux et des plantes, jusqu'à l'alimentation et la nutrition humaine, la santé environnementale et la santé au travail. Pour réaliser cette mission, nous menons des travaux d'expertise scientifique et au travers du règlement REACh, nous évaluons les produits chimiques ou les produits réglementés et conduisons nos propres activités de recherche et de référence au sein de nos neuf laboratoires répartis sur seize sites sur le territoire français.

L'Agence coordonne également un ensemble de systèmes de surveillance, de veille, de vigilance. Il s'agit de la nutrivigilance sur les produits alimentaires, de la phytopharmacovigilance, que nous avons mise en place depuis la loi d'orientation agricole qui permet de recenser des signaux d'impact des pesticides sur les organismes cibles ou l'environnement. Il s'agit de la pharmacovigilance pour les médicaments vétérinaires, de la toxicovigilance, c'est-à-dire la coordination des centres antipoison et de toxicovigilance, ainsi que le réseau national de veille et de vigilance sur les pathologies professionnelles. Tous ces réseaux nous permettent de remonter dans le système d'alerte du Ministère de la Santé des signaux faibles, des indicateurs, que nous prenons en compte dans nos évaluations. Ils permettent d'avoir une réactivité accrue en cas de crise sanitaire.

Enfin, l'Anses est également en charge de la délivrance des autorisations de mise sur le marché d'un certain nombre de produits réglementés. C'est le cas depuis de nombreuses années pour les médicaments vétérinaires, c'est beaucoup plus récent pour les produits phytosanitaires, à savoir 2015, et depuis 2016, c'est le cas pour les produits biocides. Nous sommes la seule agence en Europe chargée à la fois d'évaluer les produits, de délivrer les autorisations, mais également de cumuler dans ses actions l'ensemble des trois classes de produits réglementés. À part les médicaments humains qui relèvent de l'Agence du médicament, tous les autres produits réglementés sont soumis à l'autorisation de notre Agence.

Je vous rappelle l'étendue et la variété des missions qui nous sont confiées. Elles peuvent parfois apparaître à certains comme un paradoxe : en tant que laboratoire de référence de l'Union européenne, nous nous occupons à la fois des facteurs qui affaiblissent les abeilles et pouvons être amenés à délivrer des autorisations de mise sur le marché d'insecticides. Pour autant, en tant qu'Agence scientifique, nous disposons de l'ensemble des éléments scientifiques permettant de fonder ces différents éléments. C'est pour renforcer la complémentarité de cette mission de recherche, de veille, de vigilance, d'évaluation des risques et de produits réglementés, que j'ai souhaité réorganiser l'Agence et mettre en place six Directions scientifiques illustrant une démarche très intégrative : santé animale, santé des végétaux, sécurité des aliments, antibiorésistance, exposition aux contaminants chimiques et exposome, épidémiologie et surveillance. Ces six thèmes résument l'ensemble des champs scientifiques auxquels l'Agence s'intéresse.

En 2019, l'Agence, ce sont 1 400 personnes, avec un budget de 150 millions d'euros. Chaque année, 4 000 décisions sont rendues sur les 3 classes de produits réglementés. 130 saisines ont été traitées en 2018, avec 230 avis et rapports d'expertise publiés. Certains font l'objet de travaux pendant deux ou trois ans. Nous avons fait de très gros travaux sur l'électro-hypersensibilité. Hier, nous avons publié une étude importante sur l'effet de la lumière bleue et des LED. Ce sont également des avis rendus en urgence et, depuis le mois de septembre, nous avons rendu quatorze saisines en urgence, notamment sur la peste porcine africaine. Le délai de rendu au Ministère de l'Agriculture est de 72 heures en moyenne, ce qui nous permet de faire des recommandations très rapides au travers de notre panel d'experts, afin d'appuyer les décisions publiques, en l'occurrence celles des ministres.

Ce sont neuf laboratoires de recherche, au sein desquels se trouve la moitié de notre effectif. Ce sont 700 personnes qui publient environ 700 publications scientifiques par an, dont 400 pour des revues de très haut niveau au rang international. Ce qui fait la spécificité des laboratoires de l'Agence par rapport à l'Inra par exemple, ce sont les 102 mandats de référence en santé animale, sur les grandes pathologies, la listeria, la salmonelle, la sécurité des aliments, la santé des végétaux, les maladies bactériennes. Ces mandats de référence sont des mandats nationaux. Aujourd'hui, nous disposons de plus de 20 % des mandats de référence de l'Union européenne, soit 12 mandats de référence de l'Union européenne et 25 mandats internationaux de l'OMS, de la FAO, de l'Organisation mondiale de la Santé animale. Pour terminer, 31 événements scientifiques ont été organisés en 2018. On nous interroge souvent sur la communication de l'Agence : il y a eu 70 communiqués de presse sur les avis que nous avons rendus, c'est-à-dire un à 2 communiqués de presse par semaine sur de nouveaux avis. Il n'est pas rare d'entendre parler des travaux que nous produisons le matin, à la radio.

Depuis 2016, cette expertise s'est énormément élargie. Beaucoup de nouvelles missions nous ont été transférées, avec des effectifs qui ont été légèrement écrêtés. C'est d'abord le pilotage des centres antipoison qui était autrefois assuré par l'Institut de veille sanitaire, puis la phytopharmacovigilance, la délivrance des autorisations de mise sur le marché des produits biocides, les nouveaux mandats de référence. Nous avons récupéré des mandats britanniques, notamment le mandat de référence sur la fièvre aphteuse qui est un enjeu essentiel en termes de veille, cette maladie ayant un impact économique absolument majeur. Nous avons également élargi nos compétences à la mise en oeuvre de la déclinaison au niveau national d'une directive européenne sur le tabac obligeant les déclarants de tabac et de produits de vapotage à déclarer la composition intégrale de leurs produits. Non seulement nous enregistrons ces compositions, mais nous publions également un rapport annuel. Évidemment, nous allons conduire des expertises. Aujourd'hui, ce sont plusieurs dizaines de milliers de substances chimiques contenues dans ces produits auxquels nous sommes exposés, au-delà de la nicotine et des goudrons.

Deux nouvelles missions nous ont conduits à créer de nouveaux comités d'experts. La première mission porte sur les vecteurs. Le Ministère de la Santé nous a demandé d'organiser une expertise collective sur toutes les maladies vectorisées, que ce soit en santé humaine, animale ou végétale. La deuxième porte sur l'évaluation préalable à l'inscription au tableau des maladies professionnelles desdites maladies professionnelles. Nous avons mis en place un comité, avec des médecins représentant l'ensemble des domaines médicaux, afin de pouvoir répondre à cette mission pour le Ministère de l'Agriculture et le Ministère du Travail, notamment le Comité d'orientation des conditions de travail qui est paritaire. Pour conduire ces grandes expertises, le Président de la République a insisté sur l'urgence qu'il y a à statuer notamment sur le lien entre l'exposition à la chlordécone et certains types de cancer. C'est donc la priorité actuelle de l'Agence.

La troisième priorité est de renforcer la stratégie scientifique de l'Agence. Vous le savez, le rôle de l'Agence est de se prononcer en l'état des connaissances scientifiques disponibles sur l'existence, la nature et l'ampleur des risques dans des situations de forte incertitude. Quand un risque est avéré, que nous avons des effets sur les populations, que nous pouvons conduire des évaluations épidémiologiques, ce n'est pas l'Anses que l'on saisit. Généralement, on saisit Santé publique France ou l'Inserm et l'on peut conduire des études d'impact sur la population. En respect du code de l'environnement et du principe de précaution, l'Anses est interrogée sur ces sujets pouvant potentiellement avoir un impact sur la santé et l'environnement. Nous sommes conduits à mener des évaluations de risques, afin de graduer le niveau de certitude ou d'incertitude. Il s'agit plus exactement de cerner les limites de la certitude scientifique qui sont également nécessaires à la prise en compte et à la formalisation de la décision publique. C'est une situation complexe pour nous et difficile pour vous en tant que décideurs publics, parce que l'Agence va publier des avis et des opinions permettant de graduer le niveau de certitude ou d'incertitude, qu'elle peut établir à partir de données scientifiques face à un risque, tandis que le décideur public doit prendre une décision qui est généralement binaire, c'est-à-dire autoriser ou interdire. Il nous faut travailler sur ce sujet du niveau de preuve, afin de pouvoir apporter le maximum d'éléments.

C'est l'un des objectifs de la stratégie pour les prochaines années. C'est également pour nous une exigence que de faire progresser les méthodologies d'évaluation des risques. La façon dont nous évaluons le poids des preuves sur chaque élément scientifique, dans chaque publication peut parfois conduire à des différences d'appréciation entre des comités d'experts sur le caractère cancérigène ou non de telle ou telle substance, le poids des preuves accordé aux différentes études par les différents comités d'experts pouvant être légèrement différent. En 2016, nous avons publié un rapport extrêmement important sur l'amélioration des méthodologies d'évaluation des risques qui aujourd'hui fait référence et est utilisé par l'OMS, le CIRC et d'autres agences sanitaires. Il est évident que nous devons continuer à travailler au niveau international sur ces méthodes d'évaluation des risques.

Nous devons également maintenir notre potentiel scientifique et technique, notamment les technologies de nos laboratoires qui doivent rester au front de science en matière de génomique, de chimie analytique, d'infectiologie. D'ailleurs, en 2016, nous avons inauguré une nouvelle plateforme d'infectiologie à Maisons-Alfort qui est aujourd'hui utilisée par le laboratoire référentiel fièvre aphteuse. À travers cette plateforme, l'Anses dispose d'un dispositif de tout premier rang mondial, afin de travailler sur les maladies émergentes et ré-émergentes majeures. J'ai mentionné la fièvre aphteuse, mais je peux aussi mentionner les maladies vectorisées par les tiques depuis le diagnostic, la surveillance et la prévention, jusqu'au traitement.

En prospective, nous devons nous engager sur des sujets innovants et adapter les méthodologies d'évaluation des risques à la prise en compte du concept d'exposome. Pendant la vie entière, chacun entre nous est exposé à un certain nombre de facteurs de risques qui modifient notre environnement et notre propre génétique. L'Agence est particulièrement bien positionnée pour appréhender la problématique des poly-expositions. Par exemple, nous avons conduit un travail pour les égoutiers parisiens soumis à des risques chimiques, biologiques, à des risques liés à des enceintes confinées, mais aussi à des risques liés à un travail dans des conditions très difficiles en termes d'obscurité, de travail de nuit, d'horaires décalés. Il faut arriver à agréger l'ensemble de ces facteurs afin de mieux apprécier les expositions auxquelles nous sommes soumis en termes de santé au travail. Nous travaillons à cette question des effets cocktail, des effets de mélange et des effets cumulés. Il s'agit de renforcer, notamment au niveau européen, les travaux que nous conduisons dans ce domaine.

À l'Anses, nous devons également mieux mobiliser et mettre au coeur des priorités la question de l'intelligence artificielle sous deux axes. C'est d'abord la question des données. Nous disposons d'un très grand nombre de bases de données sur les produits chimiques, avec un ensemble de risques. La question de leur accessibilité et de leur nombre est centrale sur le plan scientifique et doit nous permettre de progresser. Le fait d'intégrer les nouvelles techniques de séquençage des génomes des bactéries pathogènes en santé animale, en sécurité des aliments et la mise à disposition de la communauté scientifique de ces données doivent nous permettre d'améliorer la traçabilité, mais également l'imputabilité des infections, des crises sanitaires. Nous y travaillons, notamment avec le Ministère de l'Agriculture et celui de la Santé. Nous devons également travailler sur les technologies innovantes. À cet effet, nous avons signé un accord-cadre avec CEMATECH, afin de développer des objets connectés, des technologies nouvelles permettant d'améliorer la sécurité sanitaire jusque dans l'élevage, directement chez les exploitants, de façon à remonter les signaux très précoces et à améliorer la gestion des crises sanitaires. Ensuite, nous devons beaucoup mieux mobiliser les sciences humaines, économiques et sociales dans l'expertise environnementale. C'est un enjeu majeur, qu'il convient de relever, pour prendre en compte à la fois les risques, mais également les bénéfices, notamment des innovations et des nouvelles pratiques. Un autre enjeu est celui de la problématique de la prise de décision publique en situation d'incertitude, que j'ai mentionnée tout à l'heure, à laquelle les sciences sociales peuvent beaucoup amener. Dans un autre registre, la science doit également contribuer à mieux identifier des populations à risques, avec les sensibilités spécifiques, les nouveaux modes de consommation, la vulnérabilité sociale. Sur tous ces aspects, il est absolument indispensable que nous puissions mobiliser davantage et mieux la communauté scientifique en sciences sociales, économiques et humaines.

Pour relever ces défis pendant ces trois ans, mon objectif a été de toujours mieux et plus inscrire l'Agence au coeur de la communauté scientifique. Nous avons re-signé ou signé de nouveaux accords avec la plupart des grands organismes de recherche et un certain nombre d'universités. Nous avons re-signé des accords au niveau européen et international, avec nos agences soeurs. Bien entendu, cet aspect a deux conséquences : d'une part, faciliter le recrutement d'experts pour l'expertise scientifique que conduit l'Agence, d'autre part, développer des travaux scientifiques ou intéresser ces organismes de recherche aux travaux conduits par l'Agence. Nous avons besoin de recherches et de données nouvelles pour conduire nos expertises scientifiques. Il faut donc que nous ayons la capacité d'être force d'influence sur les orientations scientifiques, bien sûr au niveau national, ce qui n'est pas compliqué, mais surtout au niveau européen et international en matière de recherche en soutien à l'expertise. Il faut arriver à faire évoluer les méthodologies d'évaluation des risques, mais également développer des travaux, afin d'anticiper les risques émergents. C'est tout l'objet de l'initiative que j'ai prise, dont nous avons eu l'occasion de parler à plusieurs reprises, à savoir la création d'un fonds européen interagences pour les études en toxicologie. Depuis une trentaine d'années, les États-Unis disposent d'un National Toxicology Program doté de presque 140 millions de dollars par an. Il a permis de conduire des grands travaux sur les radiofréquences, les pesticides, les perturbateurs endocriniens. L'Europe peine à se doter d'un outil pérenne, afin de travailler de façon large sur des sujets de controverse ou des sujets émergents en matière de toxicologie. Aujourd'hui, j'ai pu mobiliser six agences en Europe qui ont cosigné une plateforme, que je présenterai très prochainement, avec le soutien des agences communautaires comme l'Agence européenne de Sécurité des Aliments et des Produits chimiques, ainsi que le Centre de Recherche commun Européen. Ils soutiennent cette initiative, que j'ai eu l'occasion de présenter au Commissaire européen, M. Andriukaitis qui m'a affirmé qu'il soutenait cette initiative française.

Le quatrième objectif était de renforcer l'ouverture de l'Agence et le dialogue avec toutes les parties prenantes. Vous le savez mieux que moi, mais je le constate chaque jour, le dialogue n'est pas une évidence. Il se construit sur la confiance et ne se décrète pas. La confiance consiste avant tout dans le fait d'être capable de discuter, d'argumenter et de se mettre en position de comprendre les arguments des autres, avec des éléments qui interrogent les interlocuteurs, tout cela étant évidemment fondé sur le respect mutuel. Le fait de renforcer cette confiance passe par une multitude de fondamentaux, mais la transparence sur la méthodologie, les sources de données, le niveau d'incertitude, l'accessibilité des résultats, l'intégrité et la déontologie, l'intégration et la participation des citoyens mêmes. C'est en ce sens que l'Agence a très tôt mis en place des comités de dialogue et des comités d'orientations thématiques au sein de son conseil d'administration, réunissant l'ensemble des parties prenantes intéressées par les travaux de l'Agence. C'est notamment un comité de dialogue sur les radiofréquences et un comité de dialogue sur les nanomatériaux présidés par des personnalités externes à l'Agence et permettant deux ou trois fois par an de présenter nos travaux et notre méthodologie. Il ne s'agit pas de créer un consensus, mais de gagner la confiance sur la façon dont l'Anses conduit ces travaux.

Ces relations ouvertes et transparentes sont vraiment l'une des forces de l'Anses, mais nous ne pouvons pas arrêter de les promouvoir et de les améliorer. C'est communiquer, expliquer nos résultats, la façon dont ils ont été produits et adapter les modalités de dialogue. Aujourd'hui, les questions sont évidemment : comment intégrer les sciences participatives ? Comment intégrer les savoirs profanes dans nos expertises ? Il ne s'agit pas de mener des co-expertises – nos experts sont indépendants –, mais d'être dans un souci de dialogue permanent avec l'ensemble des acteurs. Ces dernières années ont été marquées par de nombreux débats, notamment dans le cadre des états généraux de l'alimentation, mais également par des controverses sur le compteur Linky, les radiofréquences, les nanomatériaux, les ondes électromagnétiques, le glyphosate. Ce sont autant de sujets qui reviennent avec régularité dans le débat public, parce qu'ils sont sources d'interrogations, voire de crainte pour nos concitoyens et que ce sont des sujets pour lesquels nous avons une forte incertitude. Aujourd'hui, les pesticides se trouvent au carrefour d'une multiplicité d'enjeux à la fois techniques, scientifiques, mais également économiques, réglementaires et politiques. Le débat actuel sur l'usage des produits phytosanitaires montre que cette question a largement dépassé le simple débat technique, pour devenir un débat sociétal, un choix de société.

C'est la raison pour laquelle l'Agence a proposé et mis en place une plateforme de dialogue sur l'évaluation des produits phytosanitaires. Elle s'est réunie pour la première fois en novembre 2017, trois fois en 2018 et est présidée par Bernard Chevassus-au-Louis. 52 parties prenantes participent à cette plateforme de dialogue. Bien sûr, ce sont des organisations professionnelles, des industriels, mais également beaucoup d'associations syndicales, d'organisations non gouvernementales, associatives et environnementales. Nous donnons le maximum de transparence aux travaux de cette plateforme. Nous sentons vraiment cette demande de la société dans toutes ses composantes qui s'exprime en faveur d'une forte réduction de l'exposition aux risques chimiques, en particulier de l'usage des produits chimiques déversés dans l'environnement, puisqu'ils sont utilisés en cycle ouvert, en favorisant des solutions à faible risque ou en biocontrôle. Il y a aussi une demande de transparence sur les conditions de leur homologation. Nous nous employons à y répondre avec rigueur et beaucoup de sérénité, en appuyant toujours nos décisions sur l'analyse scientifique, la gradation du niveau d'incertitude nous permettant de prendre des mesures appropriées et à ne délivrer des autorisations, que quand nous estimons que toutes les conditions sont réunies pour respecter l'absence de risque pour l'environnement et la santé. Au cours de ces années, c'est parce que nous avons toujours su placer le dialogue avant la posture, que nous avons pu avancer ensemble, avec toutes ces parties prenantes et en ligne de mire l'intérêt général. Évidemment, je souhaite que l'Agence continue à s'engager encore plus loin dans cette voie.

Enfin, la cinquième et dernière priorité était qu'il s'agissait de gagner en visibilité, notamment au niveau européen et international. En trois ans, j'ai eu de très nombreux entretiens au niveau européen, avec le commissaire européen, les nombreuses directions de la commission, des agences communautaires, puisque nous avons cinq agences avec lesquelles nous travaillons : l'Autorité européenne de Sécurité des Aliments, l'Agence des Produits chimiques, l'Agence de l'Environnement, l'Agence sur la Santé au Travail et l'Agence sur la Recherche en Santé publique. Nous avons très régulièrement l'occasion de voir nos partenaires. Nous avons re-signé des accords avec nos grands partenaires internationaux : la Food and Drug Administration aux États-Unis, des agences au Canada, l'Agence de l'Environnement aux États-Unis, notre équivalent en Corée, au Japon et en Chine. Au travers de tous ces échanges, j'ai pu constater que l'Anses était connue et reconnue. C'est l'une des grandes agences en Europe et dans le monde. Nos avis ayant une portée générale sont traduits en anglais, demandés par les agences internationales et nous échangeons beaucoup. La capacité que la France s'est donnée au travers de la constitution de ce grand ensemble qu'est l'Agence nous permet de peser aujourd'hui. Nous l'avons vu au travers de notre avis sur les couches qui était la première évaluation de risques conduite sur ces produits de consommation. L'année dernière, c'était sur les terrains synthétiques et l'électro-hypersensibilité. Tous ces avis ont été traduits et sont donc demandés par nos agences soeurs.

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