Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mardi 28 mai 2019 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Permettez-moi, monsieur le président, de commencer par vous dire combien j'apprécie ce moment passé avec la commission qui m'incite à réfléchir avec votre regard et les éléments précieux que vous mettez en avant.

Comme l'a souligné M. Hetzel, 2018 est la première année de réalisation de la loi de programmation et de réforme pour la justice. Globalement, les engagements que le Gouvernement a pris dans ce texte ont été tenus : hors dépenses de pensions, l'exécution en 2018 s'est élevée à 6,9 milliards d'euros alors que l'annuité de la loi de programmation s'élève à 7 milliards. Cet écart s'explique par l'annulation en fin de gestion de 61 millions d'euros de crédits, mis en réserve de précaution pour faire face aux aléas de la gestion du budget de l'État. C'est beaucoup moins – vous l'avez relevé –, qu'en 2017, où 238 millions d'euros de crédits avaient été annulés.

Grâce à l'effort de budgétisation sincère voulu et réalisé par le Gouvernement, l'abaissement de la réserve de précaution à 3 % des crédits hors masse salariale a permis une gestion beaucoup plus fluide et, partant, une bonne consommation des crédits. Une partie des crédits mis en réserve a même pu être rendue au ministère en fin d'année.

Les crédits exécutés progressent de 5,3 % par rapport à 2017 à périmètre identique, autrement dit sans prendre en compte les dépenses de santé des détenus, désormais prises en charge par la sécurité sociale. Cette hausse est supérieure à la progression de 3,9 % constatée entre les lois de finances initiales pour 2017 et pour 2018. Hors masse salariale, les crédits exécutés progressent donc de 6,8 % à périmètre constant, contre une augmentation de 4,8 % prévue en loi de finances initiale, et les charges à payer diminuent de 32 millions d'euros. Le renforcement des moyens de la justice est donc bien réel et la situation financière du ministère s'assainit. Je le constate d'ailleurs à chaque fois que je me rends sur le terrain.

Pour ce qui est des emplois, 1 136 ETPT ont été créés en 2018 alors que la loi de programmation prévoyait d'en créer 1 100. Nous avons donc amélioré notre capacité de recrutement, même si nous n'avons pas pu rattraper en totalité la sous-réalisation du schéma d'emplois de l'an dernier. Notons que 623 emplois de surveillant ont été créés contre 481 prévus en loi de finances, ainsi que 105 emplois de magistrat.

Je rappelle que le budget de la justice pour 2018 poursuivait trois priorités. La première d'entre elles consiste à améliorer le fonctionnement quotidien de la justice. De ce point de vue, la transformation numérique est la pierre angulaire de ma feuille de route. Vous m'interrogez sur l'effectivité de ce plan : elle s'observe dans la consommation des crédits. Les dépenses informatiques ont augmenté de 28 millions d'euros en 2018 par rapport à l'année précédente. Surtout, il en résulte des réalisations très concrètes : l'augmentation des débits du réseau est effective sur près de cinq cents sites – et ce devrait être le cas sur plus de mille en cette fin d'année. Près de 1 500 ultraportables ont été déployés et plus de 2,4 millions de bulletins du casier judiciaire B3 dématérialisé ont été téléchargés depuis l'ouverture de ce service en septembre 2018. Le portail du service d'accueil unique du justiciable (SAUJ), qui permet de renseigner un justiciable sur son affaire dans chaque endroit du territoire, est déployé, et le portable du justiciable –qui lui permettra d'y accéder directement sans passer par le SAUJ – sera lancé dans quelques jours. L'envoi dématérialisé des premières procédures pénales aux parquets par les services enquêteurs a été testé avec succès à Amiens il y a quelques jours. Je ne saurais citer tous les progrès accomplis ; mais en vous rendant dans les tribunaux, vous pourrez y constater par vous-même des avancées concrètes qui, je le crois, changeront la vie des justiciables et des personnels.

Pour atteindre ces résultats, nous avons constitué des équipes de projet très mobiles pour chaque projet applicatif et avons dû trouver rapidement des locaux pour les installer. Dans la continuité de la rationalisation immobilière, ces locaux consacrés au déploiement des équipes informatiques se situent au Millénaire ou dans ses alentours, dans le 19e arrondissement de Paris. Dans un souci d'efficacité, nous avons rassemblé les équipes pour qu'elles travaillent mieux ensemble. Ainsi, tous les projets pénaux et pénitentiaires, y compris les personnels concernés du ministère de l'intérieur qui travaillent naturellement avec nous sur les questions pénales, sont installés dans ce même bâtiment ; les autres équipes informatiques sont regroupées au Millénaire 2. Enfin, l'Agence nationale des techniques d'enquêtes numériques judiciaires, l'ANTENJ, vient elle aussi d'emménager dans des locaux sécurisés et fonctionnels au Millénaire. Comme vous le constatez, monsieur le député Houbron, tous ces chantiers ont bien avancé.

L'amélioration du fonctionnement quotidien de la justice passe aussi par des locaux en bon état et fonctionnels. Le 21 février, j'ai annoncé une programmation immobilière judiciaire sans équivalent depuis longtemps pour accompagner la réforme de l'organisation judiciaire. Les opérations sont lancées : à Toulon, par exemple, le terrain permettant l'extension du tribunal a été acquis ; à Meaux, le comité de pilotage de lancement du projet d'agrandissement du tribunal s'est réuni il y a quelques jours et l'acquisition du terrain est en cours. En 2018, les dépenses immobilières judiciaires ont ainsi atteint 132 millions d'euros hors loyers des partenariats public-privé (PPP), soit une progression de 17 millions d'euros.

Les dépenses de frais de justice –sur lesquelles M. Hetzel appelle à juste titre notre attention – ont atteint 528 millions d'euros, soit une progression de 32 millions, ce qui a permis un paiement fluide des frais de justice dans les juridictions. En dépit de la montée en puissance de la PNIJ, qui a permis de réaliser 53 millions d'euros d'économies en 2018, la maîtrise des frais de justice reste un enjeu, même si cette année, nous avons pu réduire significativement les charges à payer sur les frais de justice, qui ont diminué de près de 15 millions d'euros.

La deuxième priorité de la loi de programmation et du budget de la justice consiste à renforcer l'efficacité des peines. En 2018, 1 300 places de prison ont été mises en service avec l'ouverture d'Aix-Luynes 2, de Draguignan et, au tout début 2019, de Paris-La Santé. Les besoins des petits établissements – auxquels nous sommes évidemment tous sensibles – n'ont pas pour autant été oubliés : le maintien en condition de fonctionnement opérationnel du parc immobilier existant a été au coeur de l'action des services de l'administration pénitentiaire, avec 133 millions d'euros de dépenses. L'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice a été créée le 10 décembre 2018 pour promouvoir le développement et l'accès à l'offre de travail d'intérêt général. Les dépenses de réinsertion ont augmenté de 7 millions d'euros mais, là encore, il reste des progrès à accomplir.

Vous avez évoqué les suites du relevé de conclusions signé en janvier 2018 avec l'une des organisations syndicales représentatives – la plus représentative à l'époque. La sécurité des établissements et des personnels pénitentiaires a été renforcée. Les premiers établissements, conformément au relevé de conclusions, ont été équipés de dispositifs de brouillage des communications illicites. Près de 1 500 trappes de menottage ont été installées. Nous avons acquis 1 200 tenues pare-coups ainsi que 1 000 émetteurs-récepteurs. Les agents ont reçu en dotation 1 500 gilets pare-lames et paires de gants anti-coupures. Je précise que cette dotation sera généralisée à l'ensemble des personnels de surveillance en 2019. En 2018, 3,5 millions d'euros ont ainsi été dépensés et l'effort se poursuit en 2019, avec une dépense prévue de 6 millions d'euros.

Pas moins de 18 millions d'euros auront été consacrés à la revalorisation de la rémunération des agents pénitentiaires, notamment la revalorisation de la prime de sujétions spéciales, très attendues, ainsi que de l'indemnité de charge pénitentiaire et de l'indemnité dimanches et jours fériés. Une prime de fidélisation a par ailleurs été créée par le décret du 28 décembre 2018. Compte tenu de la montée en puissance de certaines de ces mesures, en particulier la prime de sujétions spéciales, qui augmentera de 0,5 point par an, ce sont 37 millions d'euros supplémentaires qui bénéficieront aux personnels de surveillance à l'horizon 2022. C'est donc un effort très conséquent.

En 2018, dans le respect du principe de responsabilité budgétaire des ministères, le coût du protocole – c'est un point important – a été financé par redéploiement de crédits au sein de la mission Justice, qui a bénéficié d'une levée partielle de sa réserve de précaution.

Troisième point sur lequel je souhaite mettre l'accent devant vous : l'attention portée aux plus faibles de nos concitoyens. Les dépenses en faveur de l'accès au droit et à la justice qu'a évoquées M. Houbron ont progressé de 13 % par rapport à 2017. Quatre nouvelles maisons de la justice et du droit ont été créées à Avignon, Clermont-Ferrand, Lattes et Rillieux-la-Pape, renforçant ainsi la présence de la justice sur le territoire. Pour mieux accompagner les victimes, un centre national de ressources et de résilience a été mis en place avec le centre hospitalier universitaire de Lille afin de promouvoir les travaux en matière de psychotraumatismes.

Je conclurai mon propos en abordant la lutte contre la radicalisation et le terrorisme, sujet d'une partie du rapport de M. Hetzel. Si les crédits en faveur de la lutte contre le terrorisme ne sont plus fléchés dans le budget – comme c'était le cas entre 2015 et 2017 –, tous les crédits nécessaires à une action résolue de la justice contre le terrorisme sont effectivement mobilisés. J'ai déjà évoqué l'accompagnement des victimes, qui ne cesse de se développer. L'année 2018 a également été marquée par la mise en oeuvre de la stratégie pénitentiaire de lutte contre la radicalisation violente. Les QER sont désormais au nombre de six, et trois quartiers de prise en charge de la radicalisation ont été ouverts. Comme je vous l'ai indiqué, une fois évaluées, les personnes radicalisées sont placées tantôt en quartier d'isolement, tantôt en quartiers de prise en charge de la radicalisation, tantôt en détention ordinaire. Nous avons également créé des places dédiées au sein des quartiers d'isolement afin d'être en mesure d'accueillir 180 détenus dangereux. Deux centres de prise en charge individualisée en lieu ouvert ont également vu le jour, en 2018, à Marseille et à Paris. La loi de programmation et de réforme pour la justice permet également de renforcer la poursuite des auteurs d'actes de terrorisme avec la création du parquet national antiterroriste (PNAT), qui sera effective le 1er juillet, autrement dit dans quatre semaines. Son procureur a été récemment désigné et vingt-six magistrats viendront le renforcer. Par ailleurs, le PNAT déploiera ses forces avec la mise en place d'une quinzaine de magistrats situés dans les parquets les plus emblématiques du point de vue de la radicalisation – ils seront nommés durant l'été. Je souligne que le parquet de Paris ne sera cependant pas dépouillé, puisque nous avons travaillé avec le procureur de Paris afin qu'il dispose d'effectifs suffisants pour mener à bien les nombreuses missions qui lui sont confiées.

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