Intervention de Saïd Ahamada

Réunion du mardi 28 mai 2019 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSaïd Ahamada, rapporteur spécial (Affaires maritimes) :

Lors du dernier Comité interministériel de la mer (CIMER), le Premier ministre l'a rappelé : nous devons construire une ambition maritime à la hauteur de notre temps et de notre monde. Pour moi, cette ambition passe par une économie bleue un peu plus verte. Le monde maritime doit réussir sa mue écologique. C'est une demande forte de nos concitoyens : sur les 300 000 contributions relatives à la mer recueillies dans le cadre du Grand débat national, plus de 90 % étaient à tonalité environnementale.

Bien sûr, rien ne se fera sans les armateurs. C'est pourquoi nous avons adopté à l'automne dernier une mesure de soutien à leurs investissements dans les technologies propres. Mais les grands ports maritimes ont aussi un rôle à jouer en s'équipant pour proposer du courant à quai et des solutions d'avitaillement des navires en gaz naturel liquéfié (GNL). C'est pourquoi j'ai souhaité évaluer la politique étatique en matière de soutien aux investissements portuaires – j'y reviendrai un peu plus tard.

Par ailleurs, dans le cadre de la mission de contrôle qui m'incombe, je me suis rendu en Martinique en février dernier afin de constater sur place l'utilisation conforme des crédits et d'évaluer la performance de la politique maritime dans ce territoire où se trouvent les services compétents pour toute la zone Antilles-Guyane. J'aurai l'occasion d'illustrer mes propos avec mes constats, mais je tiens d'ores et déjà à réaffirmer que nous ne pouvons penser la politique maritime sans l'outre-mer. La question maritime est incontournable pour ces territoires principalement insulaires. La Martinique en est un bon exemple : son économie repose en grande partie sur l'économie bleue et la pollution du milieu marin représente un enjeu économique de taille.

En loi de finances initiale, 161,82 millions d'euros avaient été ouverts au titre du programme 205. Fin 2018, 162,79 millions ont été consommés, ce qui représente un écart de 970 000 euros, qui s'explique notamment par une surexécution de 5 % des crédits dédiés à la compensation aux organismes sociaux des exonérations de charges patronales consenties aux armateurs. Pourquoi un tel dépassement ? Comme vous le savez, depuis la loi du 20 juin 2016 pour l'économie bleue, dite « loi Leroy », les armateurs employant des marins affiliés aux organismes sociaux français sont intégralement exonérés du paiement des charges sociales patronales, quelle que soit leur activité – transport de passagers ou fret. Un article du projet de loi de finances pour 2018 prévoyait de revenir à la situation antérieure à 2016, dans laquelle l'exonération intégrale ne bénéficiait pas à tous les armateurs. Or cet article a été supprimé au cours de la discussion budgétaire, ce qui a fait passer le montant des crédits dédiés de 64 à 81 millions d'euros. En fin d'année 2018, 85 millions d'euros ont été consommés, au lieu de 81 millions.

En fait, la mise en oeuvre du dispositif de 2016 avait été conditionnée à sa validation par la Commission européenne au regard de la réglementation sur les aides d'État. De 2016 à 2018, la Commission n'a pas fait connaître sa position ; elle a enfin rendu une décision favorable en décembre dernier. Dès lors, la direction des affaires maritimes a versé aux organismes sociaux les charges dont certains armateurs s'étaient exonérés sans attendre cette validation, entre 2016 et 2018, ce qui l'a conduit à dépasser le budget imparti. Un an auparavant – autrement dit en 2017 –, faute d'avoir été consommés, les crédits budgétés pour l'extension du dispositif d'exonération de charges avaient été annulés.

Ce « fait saillant » de l'exécution du budget 2018, comme le désigne la Cour des comptes, appelle deux remarques : il n'est pas à exclure que les armateurs qui ne s'étaient pas auto-exonérés entre 2016 et 2018 réclament a posteriori le remboursement de leurs charges. Ce risque budgétaire a été chiffré à 10 millions d'euros – non budgétés à ce jour. En outre, cet exemple pose la question du risque budgétaire associé au décalage entre le vote d'un dispositif et sa validation par la Commission européenne. En l'espèce, pendant deux ans, le responsable de programme n'a pas pu calibrer correctement les crédits, faute de connaître précisément la date d'entrée en vigueur de cette mesure. Madame la ministre, comment éviter une telle situation à l'avenir ?

Le dispositif de suramortissement pour l'achat de navires au GNL voté en loi de finances pour 2000 est lui aussi conditionné à cette validation. Dans quel délai pensez-vous que nous puissions raisonnablement l'obtenir ?

La surexécution des crédits de l'action 3 a été largement couverte par des fonds de concours et attributions de produits plus importants que prévu, de même que par des crédits non consommés sur d'autres actions. Ainsi, le budget dédié au fonctionnement des centres de sécurité des navires (CSN) n'a été consommé qu'à hauteur de 83 %. On peut regretter ce niveau d'exécution plutôt faible par rapport à la moyenne du programme, car ces crédits auraient précisément pu être employés à renforcer leurs interventions – j'ai moi-même constaté des disparités dans l'action des CSN sur le territoire.

Les inspecteurs de ces centres sont chargés de contrôler le respect par les navires des normes de la convention internationale pour la prévention de la pollution marine par les navires, dite MARPOL – pour maritime pollution – en matière de taux de soufre dans les combustibles marins. Or, en Martinique, j'ai pu constater que ce contrôle n'était pas effectif, ce dont je vous ai informé par courrier, madame la ministre : la direction de la mer se limite à un contrôle documentaire, faute de laboratoire accrédité sur place pour analyser des échantillons, alors même que ces analyses doivent normalement permettre de confirmer une infraction. La direction de la mer a indiqué rechercher activement une solution ; je ne doute pas que vous veillerez à ce qu'elle soit trouvée. Mais qu'en est-il dans les autres territoires ultramarins ?

J'en arrive à l'exécution de l'action 43 du programme 203, qui regroupe des crédits budgétaires finançant les travaux de dragage des grands ports maritimes, et des crédits ouverts par voie de fonds de concours versés par l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) pour le financement des infrastructures portuaires. Fin 2018, plus de 150 % des crédits budgétés sur cette action ont été exécutés, hors fonds de concours. Ces crédits ont permis à l'État de prendre en charge la quasi-totalité des frais de dragage de neuf grands ports maritimes, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. En outre, les crédits ouverts par voie de fonds de concours ont servi à cofinancer une vingtaine de projets portuaires. La prise en charge des frais de dragage est un élément déterminant de la capacité des grands ports maritimes à investir.

J'en viens à mon développement relatif à l'évaluation de la politique de l'État en matière de soutien aux investissements portuaires. Lors du CIMER de 2018, le Premier ministre a annoncé une nouvelle stratégie portuaire, dont la transition écologique devrait être un axe fort, qui coïncide avec le renouvellement des instances de gouvernance des grands ports. Les nouveaux projets stratégiques devraient donc reprendre cet objectif et le décliner dans leurs programmes d'investissement. C'est l'opportunité d'y inscrire des projets tels que l'achat de barges avitailleuses en GNL pour le soutage des navires en mer, la conversion de terminaux méthaniers ou encore le déploiement de bornes d'alimentation électrique à quai. Ces projets pourraient alors solliciter un financement étatique auprès de l'AFITF. Pour le moment, l'agence ne consacre que 50 millions d'euros par an au transport maritime, soit seulement 2 % de son budget...

L'amélioration de la capacité d'autofinancement des acteurs portuaires peut pallier en partie la faiblesse du financement de l'État par le biais de l'AFITF. La notion de port entrepreneur – les ports financent eux-mêmes leurs investissements – réaffirmée dans la nouvelle stratégie portuaire va dans le bon sens. Dans cette optique, la prise en charge à 100 % de leurs dépenses de dragage est un effort très apprécié. Il permet aux acteurs portuaires de conserver des marges de manoeuvre pour investir. Les ports attendent aussi que leur régime fiscal soit stabilisé, suite à leur assujettissement récent à l'impôt sur les sociétés et à la taxe foncière sur les propriétés bâties. Ce n'est pas encore le cas.

C'est l'engagement de tous les acteurs qui permettra au monde maritime d'opérer cette transition écologique. Mais je crois aussi qu'il est de la responsabilité de la France, et même de son intérêt, en tant que grande nation maritime, d'être à l'avant-garde sur ces questions.

Je conclurai sur la création d'une zone de réglementation des émissions de polluants (emission control area-ECA) en Méditerranée. Elle fait l'objet de négociations internationales. En attendant qu'elles aboutissent, la pollution atmosphérique perdure. La France ne pourrait-elle faire le pari de l'exemplarité, en fixant une teneur en soufre des carburants marins limitée à 0,1 % dans ses eaux territoriales ? Je sais bien que vous allez me répondre que cela aurait un impact négatif sur l'économie de nos ports. Mais quel serait-il exactement ? Pourriez-vous vous engager à commander une étude sur l'incidence pour la compétitivité de nos ports d'un durcissement des normes de teneur en soufre des carburants marins à la seule échelle nationale ?

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