Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du mercredi 12 juin 2019 à 15h00
Déclaration de politique générale du gouvernement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

… un reniement, pardon, mais un élargissement.

Lorsqu'il évoque les majorités de projet, l'ouverture, les mains tendues et les compromis nécessaires, le président Patrick Mignola parle d'or – et aucune majorité n'a su le faire jusqu'à présent. Voilà ce que notre groupe attendait depuis le début du quinquennat ! C'est ce qui motivait notre abstention d'espoir en 2017 sur votre première déclaration politique générale. Malheureusement, je ne peux pas vous citer d'exemple réussi qu'il faudrait reproduire. En revanche, j'ai quelques contre-exemples, comme la question du statut des aidants familiaux.

L'an dernier, une proposition de loi défendue par notre collègue Paul Christophe et nos amis sénateurs, prévoyant une indemnisation de ces Français dont vous avez raison de rappeler qu'ils souffrent parce que fragilisés par la vie, a été vidée ici même d'une grande partie de son contenu. Pourtant, quelques mois plus tard, le Président de la République annonçait qu'un statut serait créé pour ceux qui consacrent leur temps à épauler un proche en situation de dépendance. Et quand un rapport commandé par la ministre des solidarités et de la santé a préconisé une indemnisation, nous nous sommes réjouis car nous ne revendiquons aucun droit de propriété sur les idées – même pas les nôtres. Mais nous regrettons le temps perdu, les mains tendues et non saisies. Nous attendons l'avenir pour voir.

Nous voulons néanmoins aborder ce que vous considérez comme un acte II avec lucidité et honnêteté. Contrairement aux caricatures habituelles selon lesquelles le Gouvernement n'aurait commis que des erreurs ou connu que des échecs contre lesquels nous aurions tenté de le prévenir, nous estimons qu'il a aussi des réussites à son actif.

Notre pays a progressé en matière d'éducation, d'assouplissement des relations au travail, d'attractivité économique, qui est sans doute le facteur le plus important pour faire reculer le chômage, et de baisse du chômage, qui est d'ailleurs plus forte qu'il n'y paraît. En effet, si le chômage a baissé en apparence d'environ 200 000 personnes, au sens du Bureau international du travail, il faut ajouter à ce chiffre les 80 000 emplois aidés supprimés de la sphère publique qui ne sont pas venus grossir les rangs de pôle emploi : cela signifie que notre économie compte environ 280 000 chômeurs de moins. La situation s'est donc améliorée, même si elle reste fragile – les salariés d'Ascoval, dans la circonscription de Béatrice Descamps, ceux de General Electric, dans celle de Michel Zumkeller, le savent mieux que quiconque.

Après les longues semaines du grand débat, le chef de l'État a admis avoir appris sur la France et sur les Français. Il a revendiqué d'avoir changé, et il a accepté de revenir avec humilité sur des erreurs comme la hausse de la CSG pour tous les retraités, la taxation des carburants, qui ne servait pas l'environnement, ou encore l'absence de prise en compte des réalités locales, contrairement à ce que nous demandions, pour la limitation de la vitesse à 80 kilomètres par heure. Nous vous en donnons acte.

Nous restons néanmoins très préoccupés par la fracture territoriale qui s'amplifie entre les métropoles mondialisées, d'un côté, et les banlieues et territoires ruraux de l'autre, au risque de les voir s'affronter. À nos yeux, cela doit devenir l'une de vos priorités fondamentales. La France qui réussit doit profiter à tous lorsque sa situation s'améliore. À ce propos, et après vous avoir entendu, monsieur le Premier ministre, je regrette le report sine die d'une réforme constitutionnelle qui aurait au moins permis d'établir le droit à la différenciation, à nos yeux indispensable à la performance de nos territoires et à l'efficacité de leurs politiques.

Sur plusieurs sujets, vous avez le mérite d'avoir rattrapé un retard pris par notre pays depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies, malgré les alternances. Mais il a parfois manqué le cap pour aller plus loin et, au-delà du rattrapage, pour prendre de l'avance. C'est possible, c'est surtout souhaitable pour les réformes à venir, qui seraient porteuses de d'autant plus de sens pour les Français.

Je pense à une vision globale et ambitieuse de la transformation de notre modèle écologique, ou à la baisse de l'impôt sur le revenu qui, de notre point de vue, ne doit pas concerner uniquement les contribuables relevant des deux premières tranches d'imposition – nous ne disons pas cela au profit des plus hauts revenus, mais parce qu'il est nécessaire de revoir la politique générale d'imposition de notre pays. Cela ne peut d'ailleurs pas se faire en trois ans, mais sans doute cela peut-il se préparer, ne serait-ce que pour la suite.

Je pense aussi à la programmation de moyens pour la dépendance, dont nous parlons depuis douze ans au moins dans le débat public et dans l'hémicycle et qui n'a malheureusement jamais connu le plus petit début de réalité, cependant que la situation s'aggrave. Vous avez raison de dire que les moyens nécessaires sont considérables. Raison de plus pour s'atteler à la tâche le plus tôt possible, car, le temps passant, la difficulté ne fait que croître. Je pense encore à l'indispensable réforme des retraites et à la réindexation des petites retraites, ou au nouvel acte de décentralisation tant attendu – hélas ! pour l'instant privé du droit à la différenciation.

Nous accueillons votre agenda, mais nous restons attentifs et vigilants quant à ce que sera son contenu réel. Nous espérons toujours un nouveau pacte social, fiscal et écologique, qui s'attaquera aux racines et pas seulement aux symptômes. Ce pacte ne peut être construit que collectivement, avec l'ensemble des forces politiques volontaires, avec les élus locaux, avec les syndicats réformistes et les corps intermédiaires qu'il faut entendre pour les mobiliser. Le problème n'est pas ce fameux « manque de pédagogie » derrière lequel nous avons vu toutes les majorités s'abriter quand elles rencontraient des difficultés : c'est, au contraire, un besoin de concertation et de mains tendues sur chaque projet. À la fin de votre intervention, monsieur le Premier ministre, vous avez dit l'avoir compris ; nous apprécierons les actes.

Cette politique de l'ouverture est nécessaire, pas par calcul, mais parce que l'unité du pays a été sérieusement abîmée ces dernières décennies. Elle est à construire. Elle doit se faire dans un cadre de responsabilité, pas aux frais financiers ou environnementaux de la prochaine génération, pas sur le dos de nos enfants. Réduire les impôts avec une dette à 2 300 milliards d'euros sans un plan sérieux de réduction de la dépense publique, c'est satisfaire les parents en alourdissant la facture pour les enfants.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.