Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du jeudi 13 juin 2019 à 21h30
Mobilités — Après l'article 1er b (amendements précédemment réservés)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Je suis heureux de disposer de quelques minutes pour défendre un combat mené par notre groupe et par d'autres forces de gauche, et qui, je le crois, même s'il a pu troubler ou en faire hésiter quelques-uns, intéresse tout le monde.

Pour faire très simple, trois dates. J'ai calculé que nous sommes à trente-six jours du jour du dépassement européen et à quarante-six jours du jour du dépassement mondial. Nous sommes également au lendemain du discours de politique générale du Premier ministre qui a annoncé un virage écologique et un virage démocratique, et que les oppositions et la société civile allaient être entendues.

Les oppositions, sur un très large spectre, sont favorables à une taxation du kérosène ainsi que d'une évolution en matière de transport aérien – dont nous ne comprenons d'ailleurs pas qu'il soit absent de ce projet de loi. Certes, madame la ministre, des arbitrages interministériels ont sans doute été rendus en votre défaveur, mais il est incompréhensible, sur le plan intellectuel, qu'au XXIe siècle, un projet de loi d'orientation des mobilités ne dise mot du transport aérien.

L'attente est pourtant forte. Elle s'est exprimée chez les gilets jaunes, dans toutes les ONG et tous les cercles où l'on souffre au quotidien, où l'on se révolte et où l'on pense l'avenir. La fin du monde tout autant que les fins de mois ! Alors que tout le monde parle transport aérien, le seul document qui n'en traiterait pas serait ce projet de loi d'orientation des mobilités : ce n'est pas possible !

Je sais que des controverses, que nous n'avons pas le temps d'épuiser aujourd'hui, ont éclaté : peu importe, il serait vain de passer la nuit à se renvoyer arguments et chiffres. Je sais qu'il y a des divergences sur la proportion des émissions de gaz à effet de serre due au transport aérien : le chiffre de 1 % circule, affecté éventuellement d'un coefficient 2. Des ONG évoquent 1,5 %, voire 15 % des émissions de l'ensemble du secteur du transport, et 5 % des émissions totales de gaz à effet de serre. Quoi qu'il en soit, depuis 2000, ces émissions ont augmenté de plus de 60 % et leur croissance est exponentielle.

J'entends que l'avion consomme sept fois plus que le bus, et quatorze fois plus que le train, même si ces chiffres peuvent être discutés en fonction du taux de remplissage. Quoi qu'il en soit, l'avion est l'un des modes de transport les plus polluants, les plus fortement contributeurs aux émissions de CO2, et de surcroît celui qui croît le plus fortement aujourd'hui

Cette croissance correspond-elle à des besoins vitaux ? La réponse est non, car une grande part de ces déplacements aériens résulte de choix assez désinvoltes, puisqu'il existe, avec le train, des solutions alternatives à peu près équivalentes en termes de temps de transport, si l'on tient compte des temps d'accès à l'aéroport, de contrôle et d'embarquement, qui s'ajoutent au temps du vol lui-même.

La proposition de François Ruffin était, elle, assez radicale, puisqu'elle visait à interdire purement et simplement les vols intérieurs. Les socialistes, quant à eux, proposeront au travers d'amendements qui seront sans doute examinés demain que, puisque le marché n'est pas capable d'être visionnaire sur ce sujet des émissions de gaz à effet de serre, l'on reconstitue artificiellement le prix du train, ou du moins que l'on fixe une taxe équivalente à 20 % du prix du train.

L'amendement no 3249, qui est en discussion à cet instant, est beaucoup plus modéré, puisqu'il vise simplement à rétablir la taxation du kérosène en supprimant l'exonération de TICPE dont il bénéficie : le produit attendu de la mesure serait de 200 à 300 millions d'euros par an.

Mine de rien, ce produit supplémentaire permettrait, dans le cadre du plan d'investissement que nous avons envisagé, de passer du scénario 1 au scénario 2, c'est-à-dire de faire un pas de plus en direction de l'intermodalité, du transport en commun et du fret ferroviaire ou fluvial. En bref, ces 200 à 300 millions d'euros par an représenteraient une contribution très précieuse aux budgets d'investissement dans le futur. Au-delà, il s'agirait d'un signal prix adressé aux voyageurs. Nous avons fait le calcul : sur un trajet Paris-Marseille, on se situerait autour de 11 euros, et sur un trajet Paris-Toulouse, autour de 9,90 euros, soit 10 euros environ pour une traversée de la France, ce qui n'est pas rédhibitoire.

Ce premier signal prix, modéré, serait important car aujourd'hui, en définitive, il s'agit d'une question de justice. On pourra invoquer la concurrence internationale, l'impuissance de la France parce que l'Europe n'a pas encore pris de décision en la matière : le peuple désespère. La réalité est qu'à l'échelle mondiale, moins de 10 % de la population voyagent, et même à l'échelle de notre pays, ce sont encore les classes les plus privilégiées, ceux qui ont le plus de moyens, qui en profitent. Dix pour cent de la population mondiale ont un impact sur 100 % de la population. Or dans la plupart des cas, on peut soit renoncer aux vols en question, soit les limiter – il ne s'agit pas de les interdire. On peut, parce que l'on est attentif à la question climatique, renoncer à faire un voyage de quelques jours seulement à l'autre bout du monde. On peut également, souvent pour quelques minutes de plus seulement, préférer le train à l'avion. Encore faut-il que des signaux prix permettent de rétablir une forme d'équité et de justice. Il faut que le transport aérien revienne à sa juste place et qu'on évite son développement exponentiel et désinvolte : tel est l'objectif de nos amendements.

Là où le marché est aveugle, l'État doit prendre ses responsabilités et réguler ce mode de transport – il ne s'agit pas de l'interdire. Telle est notre proposition. Elle est réaliste. Je suis absolument certain que la « génération climat », qui communique à l'échelle européenne et mondiale, et dont l'activité sur les réseaux sociaux est devenue virale, en fera un modèle. Nous serions fiers d'avoir été les législateurs qui ont mené ce combat ici même.

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