Intervention de Marie-Christine Verdier-Jouclas

Réunion du lundi 3 juin 2019 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Christine Verdier-Jouclas, rapporteure spéciale (Travail et emploi) :

Ce rapport spécial sur l'exécution budgétaire de la mission Travail et emploi en 2018 est l'occasion de revenir sur les profondes mutations que connaît depuis deux ans le secteur de l'emploi et de la formation professionnelle.

Grâce aux réformes que nous avons conduites et à l'amélioration de la conjoncture économique, le front de l'emploi a connu une embellie puisque les créations d'emploi marchand ont été particulièrement dynamiques en 2018, avec 241 000 postes créés, et que l'embauche dans le secteur privé non marchand reste également dynamique.

La mission Travail et emploi a accompagné ces évolutions. Globalement, l'exécution est inférieure aux prévisions à la fois en crédits de paiement et en autorisations d'engagement, mais cela s'explique par des annulations de crédits et d'autorisations d'engagement sans objet. Dans un premier temps, j'entrerai dans le détail de ces évolutions budgétaires et des questions qu'elles peuvent susciter ; ensuite, je formulerai des commentaires plus spécifiques sur le déploiement du plan d'investissement dans les compétences (PIC), doté de 13,2 milliards d'euros sur cinq ans, qui permet d'ores et déjà de redynamiser notre politique de formation et d'emploi.

Concernant l'exécution budgétaire sur l'année 2018, 14,9 milliards d'euros ont été consommés en crédits de paiement et 11,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement, soit une sous-consommation des crédits de 600 millions d'euros et de 2,8 milliards d'euros respectivement, qui s'explique largement par les annulations d'autorisations d'engagement consécutives à la refonte de la politique d'emplois aidés consistant à abandonner les contrats aidés au profit des nouveaux parcours emploi compétences (PEC). De même, les crédits de paiement ont été sous-consommés en raison d'un coût moyen et d'une durée des contrats inférieurs aux prévisions : 439 euros mensuels contre 441 euros, et dix-huit mois contre vingt (pour les emplois d'avenir seulement dans ce dernier cas). Au total, la dépense est inférieure de 180 millions d'euros par rapport aux prévisions.

Parmi les dépenses moindres, soulignons également la non-reconduction du dispositif d'aide à l'embauche pour les petites et moyennes entreprises (PME), mis en place par le gouvernement précédent et dont l'extinction était prévue le 1er janvier 2018, ce qui a conduit à économiser près de 350 millions d'euros par rapport à la prévision initiale.

Les crédits ainsi libérés ont pu être réorientés en direction d'autres dispositifs. Je me félicite en particulier du fait que les structures de l'insertion par l'activité économique (IAE) aient reçu 20 millions d'euros supplémentaires en 2018 et qu'elles doivent en recevoir 260 millions d'ici à 2022. Je me réjouis également qu'une partie des crédits libérés au titre de la réforme des emplois aidés et de la fin de l'aide à l'embauche pour les PME ait pu être employée pour financer le PIC, sur lequel je reviendrai.

Dans le même temps, un nouveau type de contrats aidés a été mis en place, le PEC, afin de remplacer les différentes catégories de contrats aidés existant précédemment. Il est plus exigeant en matière d'accompagnement des bénéficiaires mais, à ce stade, les informations sur son efficacité demeurent assez floues.

Enfin, je remarque qu'une autre partie des économies réalisées sur la mission a également servi à réduire la dépense publique. Quelques dispositifs essentiels ont pu en faire les frais : je pense en particulier à Pôle emploi, dont la subvention a diminué de 50 millions d'euros entre 2017 et 2018. Certes, l'amélioration sur le front du retour à l'emploi a permis de majorer la part dynamique des ressources de Pôle emploi, qui sont versées directement par l'UNEDIC. Néanmoins, la réduction de la subvention budgétaire s'est aussi accompagnée de suppressions de postes dans l'ensemble des agences du territoire. Cela peut apparaître comme une sanction imméritée pour Pôle emploi, qui a fait de grands efforts pour redéployer des postes de conseillers vers l'accompagnement des chômeurs : plus l'opérateur fait des efforts de productivité, plus le risque est élevé que la subvention dont il bénéficie diminue. Sans doute pourrions-nous reconsidérer cette trajectoire financière. À l'avenir, il pourrait même être envisagé de renforcer les crédits de l'opérateur pour lui permettre d'établir des parcours d'accompagnement et des bilans individualisés pour les nouveaux inscrits comme pour les réinscriptions, par exemple sous la forme d'un bilan d'une demi-journée en lieu et place d'une heure à ce jour. À ce stade, Pôle emploi a pu absorber les baisses d'effectifs de l'an passé et de cette année mais les auditions de l'opérateur au niveau national comme au niveau local révèlent que nous atteignons une limite à ne pas franchir si nous voulons que la lutte contre le chômage reste efficace. Ma première question est donc la suivante, madame la ministre : pensez-vous qu'une réorientation de cette trajectoire financière soit souhaitable et comment pourrions-nous parvenir à accompagner l'opérateur dans l'augmentation de ses capacités de suivi des demandeurs d'emploi ?

De même, pouvez-vous nous rassurer au sujet de l'avenir des missions locales ? Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en tenant compte de la garantie jeunes, le budget consommé en 2018 était de 336 millions contre une prévision de 357 millions en autorisations d'engagement et 350 millions en crédits de paiement pour 2019. Les informations qui circulent laissent planer le doute que votre réponse, je l'espère, permettra de dissiper. Autre interrogation : la ligne budgétaire relative à l'appui aux filières, aux branches et aux entreprises. Il est capital d'inciter les acteurs à anticiper au mieux les restructurations économiques, et la réussite du PIC passe par leur accompagnement dans cette démarche. Or la dépense totale relative au dispositif d'anticipation et de connaissance des transformations professionnelles demeure inférieure à 50 millions d'euros. Ne pensez-vous pas qu'un effort supplémentaire de l'État serait nécessaire pour accompagner les branches dans leur démarche d'identification et de prospective concernant les évolutions futures de l'emploi ?

J'en viens à un premier bilan du déploiement du PIC. Notre époque est marquée par une forte transformation des métiers, qui touche tous les secteurs de l'activité, en lien avec la révolution numérique et la nécessaire conversion écologique de l'économie. Dans les dix prochaines années, près de 50 % des emplois seront transformés. D'autre part, 10 % à 20 % des nouveaux emplois n'existent pas encore, tandis que les emplois existants sont menacés dans les mêmes proportions de disparition en raison de l'automatisation et de la désintermédiation des tâches liée à la robotisation et au numérique. La structure de l'emploi va donc connaître une très forte évolution. Or, la France compterait près de 2,7 millions de personnes non qualifiées. Pourtant, la qualification protège contre le chômage et est nécessaire pour maintenir le dynamisme économique. Rappelons que le taux de chômage atteint presque 16,2 % parmi les personnes non qualifiées contre 5,5 % chez les personnes qualifiées, et que seul un chômeur sur dix accède à la formation en France. Pour remédier à cette situation sociale douloureuse, le PIC poursuit les objectifs suivants : former un million de demandeurs d'emploi peu ou pas qualifiés et un million de jeunes éloignés du marché du travail, et répondre aux besoins des métiers en tension dans une économie en croissance. Sur le plan financier, 13,2 milliards d'euros seront donc débloqués ou réorientés pour constituer la base financière du PIC. La moitié du financement proviendra de crédits de l'État et l'autre d'un redéploiement des crédits issus de la taxe professionnelle. Sur ce dernier point, une part de 0,3 % de la cotisation des entreprises sera directement fléchée vers la formation des demandeurs d'emploi, pour un volume annuel de crédits d'environ 1,5 milliard d'euros.

Compte tenu de l'importance de ces volumes financiers, j'ai souhaité me pencher de plus près sur les conditions de démarrage du PIC.

Premier constat : ce démarrage est rapide et efficace. En 2018, 149 000 formations supplémentaires ont été financées. En 2019, le PIC devrait permettre près de 408 000 formations supplémentaires, avec l'implication étroite des régions.

Toutefois, les acteurs que j'ai rencontrés, en particulier les régions, ont formulé des interrogations. Tout d'abord, les crédits prévus ont été sous-consommés à hauteur de 856 millions contre une prévision de 1,2 milliard. Certaines régions ont relevé un décalage dans le temps entre la signature des conventions entre les régions et l'État et le lancement des appels d'offres – ce qui semble normal pour un plan dont la mise en place est récente. Cependant, les pactes régionaux comportent tous une clause de révision annuelle qui permet à l'État de vérifier que les objectifs fixés ont été réalisés et qui peut donner lieu à un ajustement de la dotation financière versée aux régions en cas d'incapacité à atteindre leurs objectifs. Pensez-vous, madame la ministre, que cette clause de révision annuelle fasse peser une incertitude supplémentaire sur les régions, les incitant chaque année à lancer trop tardivement leurs appels à projets ? D'autre part, en cas d'incertitude ou de défaut concernant les réalisations de la région, pouvez-vous préciser les conditions de bonus-malus susceptibles d'affecter la dotation versée aux régions ? En cas de malus, ne serait-il pas souhaitable de verser la différence à Pôle emploi pour éviter d'affecter les citoyens ?

Deuxième interrogation : le Gouvernement a visiblement eu le souci tout à fait légitime d'établir un cahier des charges précis visant à tenir compte des spécificités de chaque région. Cependant, ces cahiers des charges semblent parfois poser des difficultés de compréhension. L'individualisation des pactes régionaux, un dispositif sur mesure que nous saluons, ne s'accompagne- t-elle pas d'une incertitude concernant par exemple le périmètre des dépenses pouvant être engagés par les régions, sachant que le guide mis en ligne ne comporte aucune annexe technique ? Vous semble-t-il opportun de rédiger une circulaire détaillée précisant le format des dépenses pouvant être engagées ? Enfin, la réussite du PIC s'appuie également sur la mise en place de l'agence France compétences et d'un outil d'information baptisé AGORA, qui permettra de communiquer en temps réel les données relatives à l'efficacité des formations, le but étant que chaque formation se solde par un taux de retour à l'emploi. Mis en place par la Caisse des dépôts et consignations, ce système est encore en cours de déploiement. Pouvez-vous nous préciser les délais nécessaires pour que l'ensemble des systèmes d'information, notamment ceux des régions et de Pôle emploi, soient réellement interopérables ? Pouvez-vous enfin nous donner quelques précisions sur les réalisations déjà accomplies par l'agence France compétences, créée le 1er janvier ?

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