Intervention de Julien Aubert

Réunion du jeudi 6 juin 2019 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Aubert, rapporteur spécial (Énergie, climat et après-mines ; Service public de l'énergie ; Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale ; Transition énergétique) :

Les éoliennes coûtent-elles un « pognon de dingue » ?

Si je n'ai pas la paternité de l'expression, je revendique, en revanche, une forme d'antériorité sur le sujet. Comme vous le savez, je m'intéresse depuis plusieurs années à l'énergie et aux questions posées par les éoliennes, et je préside actuellement la commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, la transparence des financements et l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique.

Avant d'en venir aux éoliennes, je dois vous dire quelques mots de l'exécution budgétaire 2018 des crédits que j'ai la charge d'examiner pour le compte de la commission des finances. Les crédits du programme 174 Énergie, climat et après-mines, du programme 345 Service public de l'énergie et des comptes d'affectation spéciale Transition énergétique et Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale ont été exécutés pour un montant légèrement inférieur aux prévisions, en raison notamment de prix de marché de l'électricité supérieurs à ce qui était attendu.

Alors que l'on parle beaucoup du chèque énergie, son taux de recours est de 69,52 %, soit le même que lors de l'expérimentation. Le dispositif ne manquerait-il pas de lisibilité ou de simplicité ?

Par ailleurs, comme un récent rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable l'a relevé, le risque financier attaché aux contrats de soutien aux énergies renouvelables ne semble pas figurer pas dans les engagements hors bilan du compte général de l'État annexé au projet de loi de règlement. Il serait pourtant utile de compléter en ce sens la comptabilité générale de l'État. Le rapporteur général pourra se prononcer à ce sujet.

Enfin, je ne reviendrai pas sur mes observations sur la maquette budgétaire en 2017 et 2018, qui demeurent valables : la présentation de ces programmes n'est pas très logique du point de vue d'un citoyen qui voudrait comprendre l'action de l'État.

Mais venons-en aux éoliennes. Avant d'aborder le fond, quelques mots sur la forme : dans le cadre de la préparation de mon rapport, comme l'année dernière à propos des certificats d'économies d'énergie, j'ai utilisé les pouvoirs conférés aux rapporteurs spéciaux de la commission des finances pour effectuer un contrôle sur pièces et sur place dans les locaux du ministère de la transition écologique et solidaire, afin de récupérer en main propre des documents qu'on ne m'avait pas transmis dans les délais requis. Les résultats de ce contrôle ont été intéressants – j'y viendrai.

Je précise, en outre, que la préparation de ce rapport s'est faite en collaboration avec la Commission de régulation de l'énergie (CRE) qui, à la demande de la commission des finances, a accepté de réaliser une étude ad hoc sur le soutien à l'éolien. Je remercie la CRE et son président, Jean-François Carenco, d'avoir accédé à la demande de la commission des finances et me réjouis que, pour la première fois, l'évaluation d'une politique publique effectuée dans le cadre du Printemps de l'évaluation ait pu reposer sur l'expertise d'une autorité administrative indépendante.

Pour ce qui est du fond, monsieur le ministre, comme vous le savez, en 2018, les éoliennes ont représenté 5,1 % de la production électrique nationale, une proportion que le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ambitionne de porter à 15 % en 2028. Pour cela, l'éolien terrestre et marin seront soutenus et le nombre d'éoliennes terrestres passerait d'environ 8 000 à environ 15 000.

Quel est le coût de cette politique ? L'étude de la CRE en distingue trois : depuis 2001, 9 milliards d'euros ont été dépensés au profit des éoliennes terrestres ; 45 milliards d'euros supplémentaires – 22 milliards pour l'éolien en mer et 23 milliards pour l'éolien terrestre – seront dépensés en application de contrats déjà signés mais non encore complètement exécutés ; enfin, entre 18,7 et 36 milliards d'euros seront dépensés pour atteindre les objectifs de la PPE.

Monsieur le ministre, pour le seul budget de l'État, l'addition totale représente entre 72,7 et 90 milliards d'euros. À titre de comparaison, en 2012, la Cour des comptes a estimé le coût de la construction initiale de l'ensemble du parc nucléaire français à 72 milliards d'euros, en valeur 2010, soit environ 80 milliards d'euros, en valeur 2019. Rappelons qu'en 2018 ce parc a produit 71,7 % de l'électricité française. Autrement dit, la France risque de payer plus cher des éoliennes destinées à produire 15 % de l'électricité française en 2028 qu'un parc nucléaire assurant les trois quarts de notre production électrique.

Monsieur le ministre, il est encore temps d'arrêter les frais et de revoir votre politique, ce qui ne veut pas dire tout casser ! Si certaines formes d'éolien posent particulièrement problème, d'autres méritent, sous certaines conditions, d'être soutenues. L'éolien le plus problématique est l'éolien terrestre, qui produit peu – son facteur de charge est environ deux fois inférieur à celui de l'éolien en mer –, suscite des polémiques avec les défenseurs des paysages, fait travailler essentiellement des entreprises étrangères, multiplie les points de raccordement et est moins compétitif que le photovoltaïque. En 2018, un appel d'offres a mis en concurrence l'éolien terrestre et le photovoltaïque. Le résultat est sans appel ! Sur seize projets sélectionnés, il y a seize projets photovoltaïques et aucun projet éolien. Pour l'éolien terrestre, je crois qu'il y a urgence à cesser les frais et à suspendre les soutiens publics. Le secteur éolien se dit compétitif. Très bien ! Dans ce cas, qu'il se débrouille tout seul et que les éoliennes terrestres cessent leur addiction aux subventions publiques.

Mon jugement diffère, en revanche, sur l'éolien en mer. L'éolien en mer peut poser des problèmes, notamment aux pêcheurs, dont les pertes d'activité doivent être mieux prises en compte. Mais il présente certains avantages : son facteur de charge est deux fois plus élevé que celui de l'éolien terrestre, les sites sont moins nombreux, une industrie française est en train de naître et les prix déposés au récent dialogue concurrentiel du parc de Dunkerque sont compétitifs, autour de 50 euros du mégawattheure. L'éolien en mer flottant est financièrement moins compétitif, mais nos industriels sont en pointe et doivent être soutenus. Je crois qu'il est possible de développer l'éolien en mer, sous réserve de l'éloigner à plus de 50 kilomètres des côtes, afin de favoriser son acceptation sociale, comme cela se fait dans bon nombre de pays. Quant à savoir si c'est la bonne politique pour l'environnement, c'est un autre sujet.

Sur l'éolien en mer, je crois aussi, monsieur le ministre, qu'il est nécessaire de rouvrir les discussions avec les titulaires des six premiers contrats éoliens attribués entre 2011 en 2013. Une première renégociation est intervenue, à la va-vite et dans l'opacité, en 2018. Elle est prétendument une bonne affaire, puisque le Président de la République a dit qu'elle avait permis une économie de 15 milliards d'euros : le soutien public passant de 38 à 23 milliards d'euros. À mon sens, c'est le syndrome Canada Dry : ça ressemble à une bonne affaire, ça a le goût d'une bonne affaire, mais ce n'est pas une bonne affaire.

Monsieur le ministre, à l'automne 2018, vous avez signé les offres sur ces six contrats pour un prix moyen de 144 euros du mégawattheure. Par comparaison, le montant moyen des offres remises sur le dialogue concurrentiel de Dunkerque est de 50 euros du mégawattheure. Si vous souhaitez acheter une maison à 200 000 euros, que vous l'achetez, après négociation, à 150 000 euros, et que, six mois plus tard, la maison voisine est vendue à 50 000 euros, vous avez peut-être manqué une bonne affaire...

Pour vous convaincre, monsieur le ministre, je vais vous citer un court extrait d'une note adressée au cabinet du Premier ministre sur le résultat de cette renégociation. J'y ai eu accès, après avoir effectué un contrôle sur pièces et sur place dans les locaux de votre ministère. Je cite le négociateur de Dunkerque : « Le Gouvernement, s'il conserve pour priorité de faire évoluer le mix énergétique, décidera logiquement de confirmer les six projets […]. S'il privilégie sa politique de redressement des finances publiques et de stabilisation de la dette publique, le Gouvernement assumera la responsabilité politique d'annuler les appels d'offres et de relancer la procédure en escomptant de meilleurs prix. » En d'autres termes, le Gouvernement a fait son choix : oui aux éoliennes, non à la politique de redressement des finances publiques !

Monsieur le ministre, dans ce dossier, il faut rouvrir les discussions. L'éolien en mer mérite d'être soutenu, mais en renégociant les contrats passés, en éloignant des côtes les prochains parcs et en prenant soin de nos pêcheurs. Monsieur le ministre, l'éolien terrestre est une folie budgétaire et environnementale, à laquelle il convient de mettre un terme. Les chiffres que j'ai donnés ne sont pas les miens, mais ceux d'une autorité administrative indépendante. Un débat serein et objectif d'évaluation des politiques publiques doit s'ouvrir.

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