Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du jeudi 6 juin 2019 à 9h10
Commission des affaires européennes

Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'union douanière :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, merci de cette invitation au lendemain des élections européennes, mais surtout, pour être précis, au lendemain de notre conférence de presse et de l'annonce de nos recommandations au terme du « Semestre européen ». Vous avez parlé de l'Italie, madame la présidente, mais certaines recommandations ou évaluations peuvent concerner la France ; j'en dirai quelques mots.

Beaucoup redoutaient les résultats des élections européennes, beaucoup étaient déjà désespérés, et les commentaires sur la montée des populistes, le déclin continu de la participation et le désintérêt total pour l'Europe et les élections européennes étaient déjà prêts. En réalité, tout cela a été démenti par plusieurs bonnes nouvelles. La première est la participation, qui atteint un niveau record depuis vingt-cinq ans. C'est la première fois depuis 1994 que plus de 50 % des Européens participent au scrutin. Dans certains pays, notamment les pays d'Europe centrale et orientale, la participation a même doublé. C'est sans doute dû en partie à des contextes nationaux, c'est également dû à l'entrée de l'Europe dans le débat politique interne mais c'est aussi dû, sans aucun doute, à l'intérêt de nos concitoyens pour l'Europe et à la conscience qu'ils ont désormais du fait que les enjeux de leur vie quotidienne ne peuvent être traités et que les défis ne peuvent être relevés qu'à l'échelle européenne. Les Européens ont voulu faire entendre leur voix, peser sur le destin de l'Europe. Cela donne aussi aux membres du Parlement européen une forte légitimité qui renforce ce dernier comme coeur démocratique de l'Union ; il faut le signaler. Sans vouloir être irrévérencieux en quoi que ce soit, plus de citoyens français ont voté pour les élections européennes que pour les élections législatives en 2017. Il faudra donc arrêter de dire que ces députés européens sont des députés de deuxième catégorie, de deuxième zone, qui ne représentent rien ni personne, comme on aime à le faire, parfois, dans certaines capitales que vous connaissez, madame la présidente - je ne parle pas de Paris. Le Parlement européen a maintenant une vraie et forte légitimité.

Deuxième bonne nouvelle pour moi, n'en déplaise à certains, les pro-européens - appelons-les ainsi –, dans leur diversité, ont obtenu une très large majorité de 510 sièges sur 751. Les nationalistes avaient fait campagne en espérant une forme de raz-de-marée. Certains le craignaient, d'autres l'espéraient ; il n'a pas eu lieu. Du point de vue de ceux qui combattaient cette perspective, c'est tant mieux.

Il faut remarquer que la configuration du Parlement européen est bien sûr très différente de la configuration précédente. Depuis l'instauration de l'élection au suffrage universel du Parlement, une sorte de duopole entre les conservateurs du Parti populaire européen (PPE) et les sociaux-démocrates du Parti socialiste européen (PSE) avait la majorité. Incontestablement, ce duopole est battu en brèche : les deux partis reculent significativement, tandis que d'autres – les libéraux, les écologistes – progressent. Cela donne bien sûr une configuration plus fragmentée, mais aussi, je pense, plus intéressante pour le jeu politique européen ; c'est un social-démocrate qui le dit. Avec quelque 180 sièges, le Parti populaire européen a une assez faible avance sur le second, qui lui-même n'a pas une très forte avance sur le troisième. Cela veut dire – prenons les choses dans l'ordre, s'il s'agit d'envisager les conséquences du scrutin – qu'il revient maintenant aux leaders de désigner les responsables de l'Union européenne de demain : le président de la Commission européenne, bien sûr, dont le poste est le plus important et le plus convoité, mais aussi le président du Conseil européen, le président du Parlement européen, le Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. La Banque centrale européenne (BCE) est à la fois à l'intérieur et en dehors de ce jeu : je pense qu'il ne faut en aucun cas politiser le poste de président de la BCE. Il doit être laissé à l'écart de la question des poids relatifs des différents groupes.

Je me permets d'exprimer une position personnelle. Depuis quinze ans – trois mandats consécutifs – le Parti populaire européen préside la Commission. Il n'est jamais bon qu'un seul parti gouverne trop longtemps. Si les autres formations politiques étaient capables de s'entendre sur une plateforme mais aussi des responsables qui puissent incarner quelque chose de nouveau à l'échelle européenne, le commissaire européen, l'homme politique européen que je suis n'y verrait qu'avantages, tout simplement parce que ce serait une respiration démocratique et une autre façon de diriger l'Europe qu'aujourd'hui. Cependant, lors du Conseil européen du 28 mai dernier, les discussions n'ont fait que commencer. Nous pouvons imaginer qu'elles seront difficiles, et, effectivement, elles le seront. Elles peuvent aussi être longues, mais j'espère que ce ne sera pas le cas ; je ne souhaite pas du tout que le mandat de cette commission soit prolongé au-delà de son terme officiel, le 31 octobre prochain à minuit, ce qui est également la date prévue pour le Brexit.

Ce n'est pas parce que nous avons de bonnes nouvelles – plus de participation, victoire des pro-européens, une nouvelle respiration démocratique au sein du Parlement européen – que nous devons considérer que tout est fait. Ce sursaut ne doit pas être un sursis. Il est très important que celles et ceux qui ont à coeur le destin de l'Europe et en sont désormais responsables – y compris ceux qui seront à la tête des différentes institutions – sachent qu'ils ont le devoir de faire avancer l'Europe pendant les cinq prochaines années. Il faut que cette législature soit couronnée de succès et obtienne des résultats. Il faut qu'elle démontre aux Européens que ce n'est pas en vain qu'ils ont à nouveau apporté leur soutien aux forces politiques représentant la démocratie libérale. Les populistes, les nationalistes, l'extrême droite n'ont pas gagné ces élections, mais il serait quand même absurde, surtout dans un pays comme la France, d'ignorer que ces formations politiques sont très puissantes et que c'est le Rassemblement national qui est arrivé en tête dans notre pays, certes de peu, mais quand même. C'est un événement auquel il ne faut pas trop s'habituer car on ne sait pas ce qu'il peut préparer.

Je reviens maintenant à mes dossiers, à commencer par la situation économique de l'Union européenne.

Selon nos dernières prévisions, que j'ai rendues publiques le 7 mai dernier, les fondamentaux de l'économie européenne restent solides, malgré un ralentissement. Les produits intérieurs bruts (PIB) respectifs de tous les États membres, il faut le souligner, croîtront en 2019 et 2020, les investissements ont retrouvé leur niveau d'avant la crise et le taux d'emploi, indicateur déterminant, n'a jamais été aussi élevé : un nombre record d'Européens ont un emploi, ce qui ne signifie pas qu'ils ont tous un emploi de qualité – cela reste un combat majeur –, ni que le taux de chômage baisse ; il reste même élevé. La dette publique a globalement diminué ; elle n'a cependant pas diminué partout et je continue de penser que les pays dont la dette publique est élevée doivent faire des efforts pour la réduire. Enfin, la situation budgétaire des pays de la zone euro s'est considérablement améliorée. Lorsque j'ai présenté hier les résultats du Semestre européen, nous avons salué la fin de la procédure pour déficit excessif du dernier pays qui était dans cette situation après la crise de 2008, l'Espagne. Cela a duré dix ans. En 2011, vingt-quatre pays de l'Union européenne étaient en procédure de déficit excessif. Quand la Commission Juncker a pris ses fonctions il y en avait onze. Aujourd'hui, il n'y en a plus aucun. C'est tout de même le signe d'une amélioration considérable des finances publiques. La France est elle-même sortie de la procédure des déficits excessifs l'an dernier. Quand Jean-Claude Juncker a pris son mandat, il a qualifié cette Commission de Commission de la dernière chance – de la dernière chance économique. De ce point de vue, le défi est relevé, mais il reste beaucoup d'autres défis devant nous, et beaucoup d'autres urgences.

Il faut en même temps reconnaître que l'économie européenne a perdu de son dynamisme et nous avons légèrement revu nos prévisions de croissance à la baisse. Ce ralentissement a des causes extérieures, dont la première est connue : c'est l'escalade des tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis et la menace protectionniste. On en parlera dans les prochains jours – je pars moi-même demain au Japon, où se tient la réunion du G20 des ministres des finances. Cela s'explique aussi par des facteurs internes qu'il ne faut pas négliger. Je pense d'abord à la baisse de la production de voitures en Allemagne, sur laquelle je m'interroge. Elle paraît largement conjoncturelle – nous attendons une reprise de la croissance en Allemagne dès la fin de l'année 2019 et en 2020 – mais des facteurs structurels ne pourraient-ils expliquer un ralentissement de la production de véhicules qui s'annoncerait plus durable ? S'y ajoutent les conséquences économiques du Brexit, d'autant plus difficiles à prévoir que personne ne sait rien de ce que seront la nature et le calendrier de cette sortie. La vie politique britannique connaît plus que des incertitudes : un désordre. Il y a enfin la situation budgétaire de certains États membres, en premier lieu l'Italie. Pour résumer, l'économie européenne se montre résiliente, mais les risques demeurent importants.

Il est donc crucial que les États membres ne relâchent pas leurs efforts de réforme, de modernisation de l'économie, leurs efforts en faveur de la fluidité du marché du travail, de la protection sociale et de la capacité d'investissement. La Commission européenne s'efforce d'accompagner les États membres dans ce chantier. C'est l'objet même du « paquet » de printemps du Semestre européen adopté hier, qui comprend des recommandations par pays et des décisions budgétaires importantes. Je voudrais que l'on en retienne plusieurs messages.

Le premier, je l'ai déjà dit, c'est la fin du cycle de procédures de déficit excessif entamé durant la crise financière. Bravo à nos amis espagnols ! C'était très important.

Le deuxième message, c'est que la Commission invite les États membres à conduire des investissements riches en croissance et en emplois. Nous avons formulé des recommandations ciblées qui visent les défis prioritaires auxquels chaque État membre doit faire face. Nous recommandons ainsi à la France d'améliorer l'égalité des chances dans l'accès au marché du travail et de poursuivre les efforts de simplification du système fiscal. Je ne me prononce pas sur la baisse ou la hausse des impôts mais, ayant une petite expérience de la fiscalité, je pense qu'une bonne fiscalité n'est pas confiscatoire, qu'elle est juste et qu'elle est lisible. Si ces trois critères ne sont pas réunis, on perd la bataille de l'opinion : il faut en être tout à fait conscient. Nous recommandons aussi d'améliorer l'efficacité de l'aide publique à la recherche et au développement, en particulier dans les domaines de la transition énergétique et de la connectivité à large bande.

Le troisième message, c'est que la Commission a pris des décisions importantes sur un certain nombre de cas sensibles en matière budgétaire. Il y a toute une série de situations sur lesquelles je passe, notamment la situation de la Hongrie et celle de la Roumanie, dont nous considérons qu'elles ne réduisent pas suffisamment leur déficit, alors que leur situation économique est très favorable ; ces pays sont hors de la zone euro. Je me concentre sur la zone euro et les rapports, fondés sur l'article 126, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, que nous avons adoptés à propos de quatre États membres – la Belgique, l'Italie, Chypre et la France – et dans lesquels sont examinées les raisons qui ont mené à un non-respect apparent des critères de la discipline budgétaire en matière de dette ou en matière de déficit ou dans les deux matières. En réalité, ces situations sont toutes assez différentes. C'est pour cela que j'ai privilégié tout au long de mon mandat de commissaire une application intelligente des règles budgétaires européennes.

Pour la France, notre rapport conclut, au terme d'une analyse approfondie, que les deux critères de la défense du déficit et la dette sont en réalité respectés. Nous ne recommandons donc aucune forme de procédure à l'égard de la France. En ce qui concerne le déficit, le dépassement de la limite de 3 % du PIB projeté pour 2019 sera limité – il atteindra 3,1 %, nous retenons le même chiffre que le gouvernement français – et temporaire, puisqu'il ne devrait pas excéder un an. Cette augmentation est due au remplacement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) par des baisses de cotisations pérennes, opération que l'on appelle un one-off en jargon bruxellois, ce qui veut dire en français qu'elle a un impact ponctuel – de 0,9 % en 2019. Dès 2020, le déficit revient donc largement en dessous des 3 % du PIB : il sera de 2,2 %, et cela pourrait être un peu mieux compte tenu de la croissance. En ce qui concerne la dette, la France a respecté en 2018 ses engagements au titre du « bras préventif » du Pacte de stabilité et de croissance, avec un effort structurel de 0,2 point, qui est globalement conforme. Cela constitue pour la Commission un facteur suffisant pour ne pas aller plus loin dans la procédure. Si la dette se stabilise, ce qui est effectivement une bonne nouvelle, je pense toutefois qu'il est temps maintenant d'engager sa réduction. En effet, même s'il est possible aujourd'hui de s'endetter à des taux tellement faibles que c'est totalement indolore, on ne peut penser que cette situation est éternelle. Des efforts structurels plus substantiels sont donc absolument nécessaires. Nous aurons des échanges à ce propos au moment de l'avant-projet de budget pour 2020, puisque c'est la commission actuelle qui l'examinera. Je pense vraiment qu'il est de l'intérêt de tous que la dette publique française se réduise et que l'effort structurel soit plus marqué.

Pour Chypre, la situation est totalement ubuesque. Le déficit était monté à 4,8 % du PIB en 2018, mais uniquement à cause des mesures de redressement du secteur financier. Dès les années 2019 et 2020, les comptes publics chypriotes seront excédentaires. Le déficit étant supérieur à 3,5 % sur un an, une lecture littérale des textes aurait dû conduire à une procédure de déficit excessif, mais la Commission sait être flexible. Quel sens cela aurait-il eu d'ouvrir une telle procédure alors que le budget est déjà excédentaire ? Nous avons jugé plus sage de nous épargner ce ridicule ; l'ouverture d'une procédure n'était ni nécessaire ni pertinente.

Nous avons considéré que la situation de la Belgique était trop borderline pour que nous concluions avec certitude que le critère relatif à la dette n'était pas respecté. Je sais que cette formule est un peu alambiquée. Elle signifie qu'en réalité cela « flirte » avec la limite et que cela ne justifie pas de sanctions, même si nous aimerions que les choses soient un peu plus claires. L'effort structurel est proche de zéro en 2018, et devrait l'être en 2019 ; c'est insuffisant. Des incertitudes demeurent sur le caractère structurel de certaines recettes, mais le déficit est faible – 0,7 % du PIB en 2018 – et la dette décline tout de même. Nous ne considérons donc pas que nous sommes face à une violation caractérisée des règles du Pacte de stabilité et de croissance, mais la Belgique continue vraiment de surfer sur la ligne de crête. Il ne serait pas plus mal qu'un gouvernement belge prenne des dispositions qui permettent des situations plus nettes.

Évidemment, c'est la situation italienne – vous l'avez dit, madame la présidente - qui a retenu toute l'attention. Elle est tout à fait différente. Les données pour 2018, puisque nous nous fondons toujours sur celles de l'année précédente, sont problématiques à deux titres. D'une part, le niveau de la dette publique augmente encore, pour atteindre 132 % du PIB. D'autre part, le déficit structurel, plutôt que de diminuer de 0,3 % du PIB, comme le recommandait le Conseil, a grimpé de 0,1 point. Nous avons donc considéré que le critère relatif à la dette n'était pas respecté et que l'ouverture d'une procédure de déficit excessif était justifiée. J'ajoute que nous l'avons fait en considérant les années 2019 et 2020 : nous ne voyons pas le déficit structurel se réduire en 2019, et le déficit nominal devrait crever le plafond des 3 % du PIB, pour atteindre environ 3,5 %. Le compte n'est donc bon ni pour 2018, ni pour 2019, ni pour 2020.

La balle est désormais dans le camp des États membres, et dans le camp italien d'abord. Depuis le début de mon mandat, ma philosophie est que les sanctions sont toujours un échec : un échec pour les règles, un échec pour le pays sanctionné. J'ai toujours souhaité les éviter. Et je pense que nous nous portons mieux avec une Italie qui est au coeur de la zone euro et prend les mesures nécessaires pour assainir ses finances publiques qu'avec un pays qui se trouverait dans une procédure de déficit excessif à cause de sa dette. Je continue donc de parler avec les autorités italiennes. Le président du Conseil italien s'est exprimé hier, j'ai eu de nombreux entretiens avec le ministre des finances italien, et je le reverrai à Fukuoka. Il est important que les Italiens nous fournissent des éléments et des données de nature à infirmer l'idée que l'Italie n'est pas « dans les clous » pour les années 2019 et 2020. La balle est aussi dans le camp des autres États membres. Une espèce de mise en scène désagréable mais facile voudrait que ce soit un match – Bruxelles contre Rome, la Commission européenne contre le gouvernement italien, Salvini contre moi –, mais ce n'en est pas un ! La Commission est dans son rôle. Elle fait une analyse factuelle de la situation budgétaire, elle la transmet au Conseil. Maintenant, c'est le comité économique et financier du Conseil qui est saisi du dossier, et qui le transmettra à l'Eurogroupe, qui se réunit la semaine prochaine, à Luxembourg. Ensuite, si le Conseil nous demande de faire une recommandation pour une procédure de déficit excessif, nous le ferons, et c'est le Conseil qui prendra la décision au mois de juillet prochain. Pardonnez-moi d'être si technique et précis, mais cela signifie que ce n'est pas la Commission qui décide d'ouvrir une procédure ; la Commission instruit le dossier et ce sont les États membres qui décident. L'Italie doit comprendre qu'elle fait partie d'un ensemble qui a adopté des règles et qu'elle doit les respecter. Nombre de nos concitoyens, partout en Europe, ont fait des sacrifices pour assainir les finances publiques. L'Italie ne peut pas rester à part.

J'aimerais insister sur le cas de la Grèce. Nous avons adopté hier le troisième rapport de surveillance renforcée. La Grèce est sortie de son programme. Elle le fait de manière « globalement positive », comme on dit, et a enregistré en 2018 un excédent budgétaire pour la troisième année consécutive. Elle a pris des mesures supplémentaires en faveur de la réduction de la dette d'environ 970 millions d'euros. Tout cela est bien, mais notre rapport fait état d'un certain nombre de retards dans la mise en oeuvre de certaines réformes et, très clairement, les efforts doivent se poursuivre, quel que soit le prochain gouvernement – des élections se tiennent le 7 juillet prochain. La Commission continuera d'accompagner la Grèce sur la voie de la croissance durable et nous poursuivrons le dialogue.

Pour renforcer l'économie européenne, les travaux d'approfondissement de l'Union économique et monétaire doivent s'accélérer dans les mois et les années qui viennent. Je salue le fait que les membres du Conseil européen soient parvenus à un accord lors du sommet de la zone euro du mois de décembre dernier. Il a alors été convenu de créer une sorte de filet de sécurité, le backstop, pour le fonds de résolution unique, qui doit intervenir en cas de faillite bancaire, et de réformer le mécanisme européen de stabilité pour mieux protéger les État membres en temps de crise. Ils se sont aussi mis d'accord sur le principe d'un instrument budgétaire en faveur de la compétitivité et de la convergence en zone euro – budgetary instrument for convergence and competitiveness (BICC). C'est vraiment la meilleure façon de faire comprendre que ce n'est pas un vrai budget de la zone euro et de perdre nos concitoyens dans des sigles incompréhensibles, mais c'est un premier pas, nécessaire, vers ce budget de la zone euro que j'appelle de mes voeux depuis longtemps.

Il faut reconnaître qu'à ce stade les discussions entre les ministres des finances sont difficiles et que nous sommes loin de nous mettre d'accord sur les modalités d'un tel instrument. J'espère qu'on pourra progresser lors de l'Eurogroupe de la semaine prochaine, à temps pour qu'un accord soit trouvé entre les responsables européens à l'occasion du sommet de la zone euro du 20 juin, qui se déroulera en même temps qu'un Conseil européen qui pourra procéder aux nominations. Il vaudrait donc mieux, tout de même, que le dossier ait été bien instruit, parce que l'énergie – politique et cérébrale – des responsables se focalisera peut-être sur d'autres sujets importants ; celui-ci est important, mais il est plus formel.

À titre personnel et à plus long terme, j'identifie trois pistes de réforme de l'Union économique et monétaire.

La première est la mise en place d'une véritable fonction de stabilisation pour amortir les chocs économiques. Soyons clairs : la convergence et la compétitivité sont très importantes, mais le point majeur est la stabilisation. Il faut un vrai budget qui puisse réduire les divergences.

La deuxième est la démocratisation, avec la création d'un poste de ministre des finances de la zone euro, responsable devant le Parlement européen. Je continue de penser que cette forme de responsabilité démocratique est indispensable.

Je me présente devant votre commission comme je le fais dans d'autres pays. Je serai dans quinze jours aux Pays-Bas, où je m'attends à une vraie partie de plaisir, un accueil chaleureux de la part de vos collègues néerlandais qui estiment que la Commission est en tout point sérieuse dans son travail. Le contrôle parlementaire est fondamental. Or, aujourd'hui, l'Eurogroupe échappe à tout contrôle parlementaire. Alors que je me suis rendu devant la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen des dizaines de fois, le président de l'Eurogroupe s'y est rendu, je pense, deux fois en cinq ans… C'est pourtant là que sont prises des décisions qui affectent le sort personnel de dizaines de millions de nos concitoyens.

La troisième est la révision des règles budgétaires européennes. Elles doivent évoluer vers plus de flexibilité et plus de simplicité pour soutenir la croissance dans tous les États membres. Nous avons maintenant une assez longue expérience de nos règles. Robustes et pertinentes, elles produisent des effets, mais elles sont quand même devenues trop complexes et illisibles ; en outre, elles sont parfois économiquement contestables. Tout cela doit être révisé. Ce n'est pas à la Commission de le faire, mais elle fera son travail. Nous livrerons un rapport avant la fin de notre mandat, qui permettra à la prochaine Commission et aux États membres de réfléchir à ce qu'il faut faire.

Je vous présente rapidement les derniers progrès réalisés dans la lutte contre la fraude et l'optimisation fiscale, dont j'ai fait la priorité de mon mandat de commissaire à la fiscalité. Depuis notre dernière rencontre, les vingt-huit ministres des finances ont adopté une version révisée de la liste noire européenne des paradis fiscaux mondiaux. C'est un véritable succès européen, qui s'apprécie par le fait que plus de cent régimes fiscaux dommageables ont été abolis, que soixante pays ont modifié leur fiscalité pour la rendre plus transparente, que beaucoup d'entre eux ont rejoint les travaux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière de transparence fiscale. C'est une procédure de dialogue qui a porté ses fruits.

J'ai coutume de dire que beaucoup de ministres et de Premiers ministres ont découvert que la Commission existe. J'ai ainsi reçu dans mon bureau de nombreux Premiers ministres, des Caraïbes par exemple, venus uniquement pour parler de ce sujet. Pourquoi ? Tout le monde parle de sanctions, de listes noires... Ce qui est important, c'est l'effet sur la réputation. Beaucoup de pays font des efforts considérables pour éviter d'être inscrits sur de telles listes. Et point n'est besoin d'aller dans les Caraïbes pour en trouver des exemples : notre voisin la Suisse a fait voter, je m'en réjouis, à une très large majorité, je m'en réjouis aussi, des réformes fiscales qui ont mis ce pays en conformité avec les standards internationaux. De même, le Maroc, où j'étais il y a quelque temps, a aboli un certain nombre de régimes dommageables. Il faut poursuivre.

Les choses avancent en matière de fiscalité numérique, je ne vous l'apprends pas. Évidemment, les propositions que la Commission a pu faire, en totale harmonie avec la France, se sont heurtées au verrou de la règle de l'unanimité. Je pense que la fin de ce verrou doit être l'une des grandes causes des prochaines années. Nombreuses sont les formations politiques au sein desquelles on parle d'harmonisation sociale ou fiscale, mais on ne parviendra à rien de solide tant que le veto d'un seul pourra faire échec à la volonté de tous. Il est maintenant fondamental d'en faire une vraie cause. Cela ne se fera ni en un jour ni sur toutes les matières fiscales ou sociales, mais il faut y insister. C'est en effet la condition sine qua non pour que nous puissions nous doter d'une fiscalité de l'énergie digne de ce nom, d'une véritable fiscalité européenne du numérique et de cette assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés dont nos entreprises ont besoin, pour que nous puissions réformer le régime de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Le dernier scandale en date révèle à ceux qui l'ignoraient l'existence d'une fraude de 50 milliards d'euros, la fraude transfrontalière à la TVA, dite « carrousel ». Franchement, cela ne m'a rien appris. Je salue le rôle des médias, mais une proposition est sur la table du Conseil depuis un an et demi, très simple : traiter les opérations transfrontalières comme les opérations nationales. Cela abolirait le carrousel et réduirait probablement cette fraude de 40 ou 45 milliards d'euros. Il faut que le Conseil s'en saisisse et que cela puisse se faire dans des conditions démocratiques. Ce n'est plus supportable. Au terme de mon mandat de commissaire à la fiscalité, je vois que nous avons beaucoup fait dans la lutte contre l'évasion fiscale – notre track record est fantastique. En revanche, la règle de l'unanimité empêche les réformes structurelles fiscales. Voyez ce qui s'est passé à propos de la fiscalité du numérique. Nous avons été bloqués par quatre pays, qui doivent représenter 8 % de la population et 8 % des droits de vote.

Nous travaillons maintenant au niveau de l'OCDE, et nous examinerons à Fukuoka des propositions dont l'élaboration progresse, dans le cadre de l'OCDE. Nous travaillons aussi au plan national, et le Parlement français adopte une taxe sur le numérique. Je m'en réjouis parce que je crois celle-ci compatible avec la proposition de la Commission, « fongible » avec une approche internationale et mondiale, et qu'elle peut préfigurer une approche européenne. Je ne vois donc pas de contradiction entre l'approche européenne et l'approche nationale.

Le « paquet » que j'ai présenté hier inclut également une nouvelle étape dans la correction de certaines pratiques fiscales dommageables pour les sociétés et les économies européennes. Quand nous avons travaillé sur la liste noire de paradis fiscaux, certains journalistes, certains médias ou certaines organisations non gouvernementales (ONG) ont pu nous dire que nous nous moquions du monde en prétendant qu'il n'y avait pas de paradis fiscaux, car il en existait évidemment. J'ai toujours répondu que non : il n'y a pas de paradis fiscal dans l'Union européenne. Au regard des standards de bonne gouvernance fiscale internationale – l'échange automatique d'informations, l'application des normes BEPS (based erosion and profit shifting) et l'absence de taux d'imposition zéro –, il n'y a pas de paradis fiscal dans l'Union européenne. Si nous ne considérons pas ces standards, c'est de l'évaluation subjective ou au doigt mouillé, et ce n'est pas comme cela que nous devons travailler. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de problème dans l'Union européenne.

Pour la première fois, hier, nous avons fait une recommandation – avec une dimension légale, donc – à certains pays, leur demandant de corriger certains déséquilibres. Cela me paraît très important, et je veux y insister devant vous. Nous avons estimé que six États membres identifiés sur la base d'un examen approfondi de leurs règles fiscales et de données économiques ne faisaient pas suffisamment d'efforts dans la lutte contre l'optimisation fiscale et la planification fiscale agressive. L'an dernier, nous considérions sept pays – ce n'était pas une recommandation proprement dite. L'un des pays a fait les efforts demandés : la Belgique. Deux autres vont dans la bonne direction : les Pays-Bas et l'Irlande, qui ont compris qu'il fallait sortir de cette situation. Les quatre autres en sont quand même encore très loin.

Les recommandations d'hier sont le volet européen complémentaire de la liste noire des paradis fiscaux. Ce n'est pas sur le même plan mais nous soulignons aussi l'existence de problèmes dans l'Union européenne. La Commission européenne ne protège pas les États européens, elle n'est pas là pour défendre je ne sais quelle corporation ; elle veut être rigoureuse. Elle estime qu'il y a, d'un côté, des États tiers qui peuvent être caractérisées comme des paradis fiscaux et, de l'autre, des États membres de l'Union européenne qui doivent corriger des manquements en matière de lutte contre la planification fiscale agressive.

Les élections européennes ont donné une nouvelle chance à l'Union européenne. Il ne faut pas la gâcher. Je pense que les questions que j'ai évoquées devant vous resteront des questions fondamentales : la question économique bien sûr, la question sociale, la question démocratique évidemment, et la question environnementale, car, s'il existe effectivement une urgence économique et une urgence sociale, l'urgence climatique est pressante, brûlante, notamment pour notre jeunesse. Nous devons évidemment y être très attentifs. Nous verrons bien ce que sera le programme de travail de la prochaine Commission, mais je pense que ces quatre questions sont au coeur de ce qu'elle doit entreprendre.

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