Intervention de Alain David

Séance en hémicycle du lundi 17 juin 2019 à 21h30
Intérêt général dans la fonction publique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain David :

Il y a quelques semaines, le 28 mai, le Gouvernement faisait adopter, après engagement de la procédure accélérée, le projet de loi de transformation de la fonction publique. Pendant l'examen du texte, le Gouvernement et la majorité se sont escrimés à le réduire à sa dimension technique et à esquiver les questions fondamentales qu'il posait. La proposition de résolution de nos collègues du groupe La France insoumise vient donc à propos, afin d'essayer d'éviter une rupture douloureuse et lourde de conséquences pour le fonctionnement de notre fonction publique.

Comme les orateurs du groupe des députés socialistes et apparentés l'avaient rappelé à cette occasion, la fonction publique est le fruit d'une longue histoire, faite de compromis savamment construits. Elle a été forgée par de grandes lois, qui sont des cathédrales républicaines – on peut penser à celles de 1946, 1983 et 1984.

Le statut et le droit de la fonction publique ont quelque chose à voir avec l'émancipation individuelle, avec le progrès politique, avec l'intérêt général, avec les libertés publiques, avec une conception très française du service public. C'est la raison d'être du statut et des principes qui la fondent. Loin d'être le privilège des fonctionnaires, ce statut est d'abord et avant tout la condition d'un exercice républicain de l'action publique et la garantie du respect de l'intérêt général.

Il est toujours utile de rappeler les principes de la fonction publique. Le premier d'entre eux est l'égalité. L'entrée dans la fonction publique se fait par la voie du concours, lequel garantit l'égal accès aux emplois publics et la sélection par la compétence. Le concours permet de concilier la sélection des plus aptes et la démocratisation de la fonction publique. Il est le meilleur rempart contre le favoritisme et le clientélisme.

Le deuxième principe est l'indépendance. Les fonctionnaires doivent être protégés de la conjoncture et de l'arbitraire politique. La fonction publique française repose ainsi sur le système dit de la carrière, dans lequel le grade est distinct de l'emploi.

Le troisième principe est la citoyenneté. Les fonctionnaires sont des citoyens qui disposent des mêmes droits et des mêmes devoirs que les autres citoyens – liberté d'opinion, droit syndical et droit de grève – qui se concilient avec des obligations propres à la fonction publique en matière de neutralité, de déontologie, de discrétion ou d'information du public.

Or avec cette réforme, qui n'est pas qu'une addition de dispositions techniques, de mesures de simplification ou de coordination, nous assistons à une rupture avec l'histoire longue de la fonction publique. En ouvrant très largement la possibilité de recourir au contrat, le Gouvernement n'abolit certes pas le statut, mais la majorité fait le choix de la banalisation de la fonction publique et de l'exercice de l'État et, in fine, celui de l'affaiblissement de l'action publique.

Le contrat est présenté comme un modèle de modernité et le pivot de l'efficacité de l'action publique, là où devrait être pointé le risque de sa corruption. Le statut n'est pas protecteur en premier lieu des agents, il est, avant tout, protecteur de l'ordre républicain et de l'intérêt général. Avec le contrat, le Gouvernement a fait le choix du court terme, alors que l'urgence climatique par exemple commande la continuité de l'action publique et appelle à reconsidérer le temps long comme terrain de projets.

Avec le contrat, concurrent du concours, le Gouvernement a pris le risque de l'arbitraire, de la rupture d'égalité et du clientélisme dans le recrutement. Avec l'ouverture au contrat de la très grande majorité des emplois de direction des trois versants de la fonction publique, le risque est grand d'une confusion entre les intérêts publics et privés, à la faveur du pantouflage ou du rétro-pantouflage, et d'un affaiblissement des perspectives d'évolution professionnelle des fonctionnaires.

Avec le contrat et ses avatars, avec la possibilité de recourir aux ruptures conventionnelles ou de déplacer d'office certains fonctionnaires dans le privé en cas d'externalisation, le Gouvernement a ouvert la voie au rétrécissement de l'action publique, là où se pose de façon inédite la question de son extension.

Enfin, le récent projet de loi a affaibli comme jamais le dialogue social au sein de la fonction publique en fusionnant certaines instances, alors même que, par exemple, la santé au travail est un enjeu primordial.

Pour toutes ces raisons, la proposition de résolution de nos collègues mérite la plus grande attention. Comme ceux-ci le font observer, nos services publics ne tiennent debout que grâce au dévouement des nombreux agents engagés pour le bien commun. Après plus de dix ans de RGPP et de MAP, auxquelles ont succédé les travaux opaques du CAP 2022, il semble urgent d'aller vers un moratoire empêchant le démantèlement de nouveaux services publics. En effet, les réformes qui se sont enchaînées n'ont fait que dégrader les services publics, en contribuant notamment à renforcer les inégalités territoriales.

Les pistes suggérées dans la proposition de résolution sont toutes pertinentes. Comment contester par exemple la nécessité impérieuse d'analyser les conséquences concrètes sur la vie de nos concitoyens de ces longues années d'affaiblissement des services publics ? Comment ne pas constater les économies indûment réalisées sur le dos des agents publics par des années de gel du point d'indice ?

Les syndicats ne s'y trompent pas. Les neuf organisations de la fonction publique avaient rejeté unanimement le projet de loi. Elles avaient unanimement appelé à une journée d'action le 9 mai dernier.

Une autre approche, plus respectueuse, serait pourtant possible. Il serait envisageable de redonner du sens au statut de fonctionnaire, sous l'angle d'un accompagnement qualitatif des carrières. On pourrait ainsi revoir le déroulement des concours et de la formation initiale pour mieux ouvrir la fonction publique sur la société d'aujourd'hui, renforcer le rôle de la formation continue – car des fonctionnaires formés tout au long de leur vie apportent de la souplesse à la gestion des ressources humaines – , engager une réflexion sur l'instauration d'un « Erasmus des fonctions publiques » et rapprocher l'organisation des corps des trois fonctions publiques, pour une vraie mobilité inter-versants.

C'est cette vision qu'avait soutenue le groupe des députés socialistes et apparentés lors de l'examen du projet de loi. Ce sont toujours ces pistes que nous préconisons d'explorer.

Nos collègues auteurs, co-auteurs et signataires de la proposition de résolution ont raison d'aborder ce sujet peu après nos travaux, alors que le Sénat vient de s'emparer du texte. Il est encore temps d'éviter les dérives les plus contestables. En tout état de cause, le groupe des députés socialistes et apparentés apportera son soutien à la proposition de résolution.

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