Intervention de Fabien Roussel

Séance en hémicycle du lundi 17 juin 2019 à 21h30
Lutte contre la fraude et l'évasion fiscales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFabien Roussel :

Telle est l'ambition de la présente proposition de résolution, celle d'afficher un objectif ambitieux : 0 % de fraude fiscale, zéro impunité.

Nous formulons pour cela une série de propositions très concrètes.

D'abord, faire de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale la grande priorité nationale de l'année 2020. Mobilisons l'ensemble de la société – citoyens, élus, entreprises, associations, ONG, syndicats et médias – pour sensibiliser, informer et mener des actions de prévention. La fraude et l'évasion fiscales sont des coups de poignard portés au pacte républicain, au bien commun, à la fraternité, à l'égalité et à la liberté. Mobilisons donc le plus largement possible pour que cesse ce mal qui ronge notre société.

D'abord, en ayant les coudées franches pour agir. C'est le sens de notre proposition : une réforme constitutionnelle pour donner à la lutte les moyens qu'elle exige.

Il s'agit, d'abord, de faire primer l'éthique fiscale sur la sacro-sainte liberté d'entreprendre. De fait, en l'état, le Conseil constitutionnel a déjà censuré des mesures de lutte contre les paradis fiscaux au motif qu'elles portaient atteinte à la liberté d'entreprendre – je pense ici aux mesures de transparence fiscale des grands groupes, que nous avons adoptées ici, mais qui ont été censurées ensuite, ou encore à ma proposition d'interdire aux banques de s'installer dans les paradis fiscaux, rejetée au nom de ce même principe.

Monsieur le ministre, je vous invite à lire le récit palpitant d'un fiscaliste travaillant pour un cabinet d'investissement à Jersey, qui s'est mis au service de la DGSE, la Direction générale de la sécurité extérieure : Là où est l'argent, Un espion français au coeur des paradis fiscaux, de Maxime Renahy. Cet espion raconte qu'il a personnellement assisté, à Jersey, dans ce cabinet, à la vente de l'usine Samsonite par un fonds d'investissement américain géré par Mitt Romney, le sénateur républicain : 106 millions d'euros de mise au départ ; deux ans plus tard, 950 millions récupérés, 200 salariés sur le carreau en 2007 et, entre nous soit dit, Marine Le Pen élue en 2012.

L'auteur de ce livre révèle que nous confions nos enfants aux crèches Babilou, financées par le fonds Alpha, implanté lui aussi à Jersey. Il raconte que nos parents sont accueillis dans les EHPAD – établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes – appartenant aux groupes EMERA ou DomusVi, dont les actionnaires sont les Émirats arabes unis et dont le siège est lui aussi à Jersey. Comme vous le voyez, nous sommes tous concernés par ces zones offshore, ces paradis fiscaux. C'est pourquoi nous proposons la création d'un ministère dédié à la lutte contre l'évasion fiscale. Il ferait travailler ensemble des services qui peuvent aujourd'hui être éclatés, notamment, entre Bercy et le ministère de la justice. Ce tout nouveau ministère prendrait ses fonctions en présentant une loi-cadre qui concrétiserait la grande priorité publique nationale pour 2020.

Cette loi ambitionnerait de donner de nouveaux pouvoirs à l'administration fiscale et à la justice.

Elle donnerait aussi des moyens aux associations en matière d'investigation. Elle donnerait des pouvoirs nouveaux aux représentants des salariés et aux syndicats pour lutter contre les pratiques fiscales nocives. Je pense ici aux syndicats mobilisés chez McDonald's et bien d'autres, qui voient les richesses produites par leurs salariés s'évaporer vers les paradis fiscaux par le biais de ces prix de transfert. Cela doit cesser !

D'autres projets de loi pourraient être présentés dans la foulée, proposant des solutions innovantes et ambitieuses, telles que le prélèvement à la source des bénéfices des multinationales. Vous l'avez fait pour les ménages : faisons-le pour les grandes entreprises, avant qu'elles n'aillent placer leur argent là où la fiscalité est faible ou nulle. Nous en avons déjà parlé ici mais, à chaque fois, vous répondez que cette disposition serait compliquée à mettre en oeuvre à cause des nombreuses conventions fiscales établies avec tous les pays de l'Union européenne. Eh bien ! commençons par un bout : les pays de l'Union européenne reconnus comme des paradis fiscaux notoires, tels que l'Irlande, les Pays-Bas ou le Luxembourg.

Nous devons également renforcer la protection des lanceurs d'alerte, qui parfois risquent leur vie, et aller de l'avant à propos des aviseurs fiscaux, à la lumière des travaux réalisés par notre collègue Christine Pires Beaune.

Par ailleurs, paradis fiscaux et défense de l'environnement sont intimement liés, d'abord parce que l'évasion fiscale nous prive de moyens financiers pour relever le défi climatique, mais aussi parce que les entreprises qui sont à l'origine de la déforestation de l'Amazonie, des marées noires ou de l'exploitation illégale de certaines de nos ressources naturelles – leur principale activité – ont souvent leur siège dans ces zones offshore reconnues pour leur opacité. Impossible, lors des catastrophes naturelles, de retrouver les propriétaires et de traquer les responsables !

Ces paradis fiscaux doivent donc être interdits et clairement inscrits sur une liste noire, afin de pousser ces pays à se conformer à un minimum de règles. En l'état, en effet, la liste française, calée sur la liste européenne, est bidon, nulle – mais vous le savez et nous l'avons assez dénoncé ici. Quand serons-nous enfin à la hauteur et à la pointe de ce combat ? Notre droit donne par ailleurs de la valeur à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Avançons pour définir des critères de responsabilité fiscale, qui pourraient être pris en considération, par exemple, dans les marchés publics. Mettons en jeu la réputation de ces entreprises : ce serait terriblement efficace !

Nous proposons ensuite d'instaurer, non pas une police, mais bien une armée fiscale. Il faut augmenter les effectifs des finances publiques et des douanes, et former ces personnels. Cela ne coûtera rien aux finances publiques, car ces postes rapportent plus qu'ils ne coûtent !

Nous proposons ensuite la création d'un observatoire indépendant, composé d'experts de divers horizons, afin d'appuyer le Parlement dans ses missions. Le ministre Darmanin s'est montré ouvert à cette proposition. Ou en est-on ?

Au niveau mondial, l'OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques – , travaille et avance sur ces questions, mais les pays en développement restent encore bien trop souvent sur le bord de la route. Ils perdent chaque année 125 milliards d'euros du fait de la fraude et de l'évasion fiscales. Associons-les au niveau des Nations unies, organisons une COP fiscale sur le modèle de la COP environnementale et rénovons nos conventions fiscales pour mettre ces pays sur un pied d'égalité.

Il est temps, mes chers collègues, de nous attaquer enfin à ce fléau qui ronge le vivre-ensemble. Il nous revient de faire vivre le principe d'égalité de tous face à l'impôt et de mettre les richesses produites au service de l'être humain et de la planète. Tel est le sens de cette proposition de résolution que je vous invite à voter.

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