Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du mercredi 19 juin 2019 à 15h00
Indemnisation des victimes du valproate de sodium — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Je tiens d'abord à saluer l'obstination de notre collègue Véronique Louwagie : avec la Dépakine, cent fois sur le métier elle remet son ouvrage parlementaire ; et le groupe La France insoumise votera sa proposition de résolution.

Je voudrais surtout saluer la combattante de cette cause, celle qui a sorti les victimes du silence et de l'oubli : Marine Martin, la présidente de l'APESAC, que vous avez citée, madame Louwagie. Quand je la rencontre, je me demande : comment fait-elle ? Comment fait-elle, avec sa propre maladie, l'épilepsie, et ses deux enfants autistes, pour, en plus, diriger son association ? Comment fait-elle pour courir les conférences de presse, intervenir dans les assemblées générales d'actionnaires et arpenter les couloirs du Parlement ? Comment fait-elle, aussi et surtout, pour ne pas se laisser endormir, menacer ou racheter par cent bouches ministérielles, officielles, industrielles qui lui murmurent, ou qui lui grondent, que « tout va bien », que « tout va s'arranger » ? Où trouve-t-elle cette énergie ?

Je la croise en pointillés ; nous sommes toujours pressés, elle comme moi. La première fois, je lui ai demandé : « Depuis quand Sanofi sait ? » Elle m'a répondu : « Pour l'autisme, je me suis procuré les données internes à Sanofi, ça les a beaucoup mis en colère. Dès les années 80, ils savent parfaitement, ils savent que ça engendre des cas d'autisme. »

C'est le premier scandale, conjugué au passé : Sanofi savait. Depuis trente ans, Sanofi savait. Sanofi savait pour les patients ; Sanofi savait aussi pour les salariés de ses usines ; Sanofi savait également pour les voisins de ses usines.

Ce scandale en cache un deuxième, conjugué au présent : Sanofi refuse de payer. Au printemps dernier, l'ANSM et la CNAM ont rendu une étude qui estime qu'entre 16 000 et 30 000 enfants seraient atteints de troubles neurodéveloppementaux précoces parce que leur mère a continué, enceinte, à prendre de la Dépakine. Des scientifiques ayant délivré leur verdict, que fait alors Sanofi ? Son mea culpa ? L'industriel provisionne-t-il des milliards pour indemniser les familles ? Aucunement : dans un communiqué, le groupe annonce qu'il refuse de payer et « conteste fermement les estimations mentionnées dans le rapport ».

Dans le cas de Camille, qui présente un syndrome malformatif général, des anomalies des membres supérieurs et une microphtalmie, Sanofi est condamné par la justice. Que décide la firme ? De faire appel. Et quand la cour d'appel d'Orléans, à son tour, confirme le jugement et le condamne à trois millions de dommages et intérêts, notant que « le produit n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre », que fait le laboratoire ? Il se pourvoit en cassation.

Fermons les yeux… Imaginons cette horreur, chers collègues : que vous, que moi, un jour, en voiture, renversions un enfant, que celui-ci en garde des séquelles à vie, qu'il soit handicapé, traumatisé... Rien que d'y songer, j'en tremble ! Comment vivre avec ce drame, avec cette ombre au coeur ? Je ferais alors tout mon possible, et vous aussi, j'en suis convaincu, pour réparer le peu qui soit réparable, pour guérir de ma honte, avec un chèque si besoin. Eux ont sur leur conscience – mais quelle conscience ? – des milliers, des dizaines de milliers de bébés et d'enfants handicapés, traumatisés, avec des séquelles à vie, des dysmorphies faciales, des malformations des membres, des problèmes cardiaques. À genoux, on devrait les voir ! À genoux devant Marine ! À genoux devant Camille ! À genoux et mendiant leur pardon.

À la place de cette supplique, ils biaisent, ils rusent, avec des avocats et du bla-bla, ils fuient leur culpabilité. Ce sont des psychopathes coupables de délit de fuite, des psychopathes du profit. On devrait les trouver en garde à vue, mais, au lieu de cela, où les trouve-t-on ? Dans les palais de la République, dans les salons de l'Élysée, où Serge Weinberg a assisté à l'intronisation du Président. C'est dans ces mêmes salons que le Dolder, le lobby de l'industrie pharmaceutique, a tenu ses assises, avec, en tête, Olivier Brandicourt, directeur général de Sanofi.

Sanofi perçoit toujours, chaque année, des centaines de millions au titre du crédit impôt recherche, quand bien même ils la détruisent, leur recherche, et des centaines de millions au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, quand bien même ils en détruisent, des emplois.

Et, ce qui me paraît le sommet de l'hypocrisie, la ministre des solidarités et de la santé a assisté en février dernier à une réunion de la Fondation Sanofi Espoir, qui prétend venir en aide aux personnes vulnérables – « l'entreprise pharmaceutique s'organise pour aider les personnes les plus vulnérables », a-t-on lu dans un article de presse. Mesurons-nous la honte ? Ces voyous voudraient, en plus, qu'on leur délivre des certificats de bienfaisance ! Ils cherchent à se faire passer pour une association caritative ! Qu'ils payent, déjà ! Qu'ils paient pour leurs propres dégâts !

Dès lors, tant qu'ils fuient leurs responsabilités, tant qu'ils ne réclament pas le pardon à leurs victimes, tant qu'ils font payer leurs crimes par l'État, par vous, par moi, par les Français, nous devrions les bannir ! Les bannir de nos carnets d'adresses ; les bannir de toute cérémonie officielle ; les bannir du versement de fonds publics. Or voilà le troisième scandale : la complicité de l'État.

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