Intervention de Jean-Paul Dufrègne

Séance en hémicycle du mercredi 19 juin 2019 à 21h30
Règlement du budget et approbation des comptes de l'année 2018 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Dufrègne :

Ainsi soldons-nous, ce jour, et de manière définitive, le budget 2018, et achevons la séquence budgétaire qui aura animé nos travaux ces dernières semaines. Beaucoup a d'ores et déjà été dit, tant en commission qu'en séance publique, notamment que le budget de l'État est déficitaire, et de manière plus importante qu'en 2017 – 8,3 milliards d'euros de plus.

Vous nous avez présenté vos différents arguments. Sans surprise, nous n'y souscrivons aucunement. La lecture du rapport de la Cour des comptes, mis en débat ici même lundi dernier, fait à nos yeux tomber bien des mythes, que vous alimentez et qui ont la vie dure en matière budgétaire.

Je n'ai pas pour habitude d'employer l'analogie à laquelle beaucoup ont recours en comparant l'État à un ménage ou à une entreprise lambda. Cette comparaison est largement biaisée, tronquée, la durée de vie d'un État n'étant pas celle d'un ménage ou d'une entreprise. Surtout, avec le niveau des impôts, l'État fixe lui-même son propre salaire, ce qui n'est pas le cas de la quasi-intégralité de nos concitoyens.

Une fois ces précautions légitimes prises, que s'est-il passé en 2018 ? Une nouvelle fois, nous entendons dire que l'État vit au-dessus de ses moyens, qu'il reste trop dépensier. Mais si, en 2018, l'État a dépensé plus qu'il n'en avait dans le portefeuille, ce n'est pas parce que ses dépenses ont flambé. Loin de là ! Car avec les coups portés à la politique du logement et à la cohésion des territoires du fait notamment des suppressions massives des contrats aidés et des baisses aveugles touchant l'APL, les dépenses publiques ont été littéralement cadenassées.

D'ailleurs, nos concitoyens l'ont très bien constaté : les moyens des politiques publiques sont mis sous tension extrême, ce qui est le signe d'un puissant recul de la puissance publique. L'état de santé de nos hôpitaux en est l'illustration la plus criante, la plus nette. Seul le courage des personnels hospitaliers permet d'éviter, pour le moment, la rupture.

Au fond, l'État n'a donc pas dépensé plus qu'en 2017. L'explication de la hausse du déficit budgétaire en 2018 n'est pas à aller chercher de ce côté-là.

À cet égard, la lecture du rapport de la Cour des comptes offre un éclairage tout à fait utile : le déficit budgétaire s'est dégradé de 8,3 milliards d'euros en 2018 en raison des baisses d'impôt massives, de l'ordre de 13,5 milliards d'euros, dont l'essentiel, – 11,3 milliards – , a été capté par les plus aisés et le secteur marchand. Voilà pourquoi, à la fin de 2017, nous avions qualifié ce projet de loi de finances pour 2018 de « budget des riches ». Les faits nous ont donné raison.

Voici le détail de ces 11,3 milliards d'euros de baisses d'impôts qui auront profité, je le répète, à un tout petit cercle.

Le CICE, qui coûtait déjà un « pognon de dingue », a vu sa facture augmenter de 3,5 milliards d'euros en 2018 pour atteindre 20 milliards d'euros. On cherche encore les effets positifs de ce crédit d'impôt sur l'emploi, l'industrie, les territoires et l'investissement. Quand bien même le CICE n'aura montré aucun signe d'efficacité, comme le rappelait d'ailleurs le dernier rapport de la Cour des comptes, vous avez décidé de le pérenniser. Pour 2019, année dite de transition, c'est même fromage et dessert, puisque l'ancienne et la nouvelle version du CIC se cumuleront, pour un coût total de 40 milliards d'euros.

Vous avez ensuite supprimé l'SF, creusant ainsi un trou de 3,2 milliards d'euros dans nos finances publiques. Mais, de même que pour le CICE, on se demande quels effets ont été obtenus. Où est passé le ruissellement ? Où en sont les fameuses évaluations tant promises ? Monsieur le ministre, je tiens cordialement à vous le rappeler : en commission des finances, vous vous êtes engagé à me transmettre des informations sur le profil des bénéficiaires de la suppression de l'ISF et sur les gains fiscaux qu'ils ont ainsi obtenus. Quand le ferez-vous ?

La même sollicitation s'appliquait au prélèvement forfaitaire unique, autre mesure fiscale phare de ce budget des riches, à l'origine d'une perte budgétaire de 1,6 milliard d'euros, soit 300 millions de plus que ce que la flat tax devait initialement coûter. Par quoi s'explique une telle dérive budgétaire ? Et qu'en sera-t-il pour 2019 ?

La baisse de l'impôt sur les sociétés a ensuite conduit à une diminution du produit de l'IS de l'ordre de 1,2 milliard d'euros, à laquelle s'ajoutent les effets de la suppression de la taxe à 3 % sur les dividendes, laquelle rapportait 1,8 milliard d'euros, mais n'a pas été remplacée.

Voilà donc le détail de ces 11,3 milliards d'euros de mesures fiscales, de cadeaux, octroyées sans contrepartie, sans engagements préalables, sans conditions : une véritable privatisation de nos finances publiques.

Je pourrais également parler des 2 milliards d'euros supplémentaires qu'aurait dû rapporter l'extension de la taxe sur les transactions financières aux opérations intraday, ces opérations hyperspéculatives effectuées au cours d'une même journée, et qui sont source de déstabilisation financière. Mais, tout dévoués à mener la bataille du Brexit en vue d'attirer les traders de la City de Londres, vous avez renoncé à cette mesure pourtant juste et attendue par nos concitoyens.

Avouons-le, mes chers collègues : 11,3 milliards, c'est un montant colossal. C'est l'équivalent des moyens cumulés que l'on alloue annuellement à la justice, aux prisons, à l'outremer, à l'asile et l'immigration, ainsi qu'à l'Institut national de la statistique et des études économiques.

Ce chiffre nous montre bien que notre pays n'est pas à l'os, qu'il dispose de moyens financiers, des moyens pour mener une autre politique, moderne, plus juste, plus ambitieuse, de progrès. Ces 11,3 milliards d'euros auraient pu – auraient dû – être alloués aux vrais besoins de notre pays. Ils l'ont été à ceux qui avaient déjà tant.

Voilà pourquoi nos concitoyens ont scandé « Justice fiscale ! » sur nos ronds-points, dans les réunions publiques et dans les cahiers de doléance. Vous leur avez répondu : « grand débat ».

Les annonces formulées par le Président de la République, puis par le Premier ministre la semaine dernière, nous permettent toutefois d'y voir plus clair. Ainsi fermez-vous la porte à la grande réforme fiscale tant attendue par nos concitoyens. Vous restez au milieu du gué et tout porte à croire que les changements promis s'apparenteront, une nouvelle fois, à un tour de passe-passe.

Vous annoncez par exemple vouloir baisser de 5 milliards le montant de l'impôt sur le revenu en concentrant sur les deux premières tranches les effets de cette mesure. Bien noté… Mais cela signifie que 50 % de nos concitoyens ne seront pas concernés, ceux qui ne paient pas l'impôt sur le revenu, notamment les plus fragiles. Vous vous obstinez, en effet, à ne toucher ni à la TVA ni à la CSG, qui pèsent pourtant lourd sur les ménages les plus modestes. Ces derniers resteront une nouvelle fois sur le bord de la route.

L'autre question posée est celle du financement de cette baisse d'impôt. Le point est fondamental : qui paiera la note ? En avril dernier, la majorité nous indiquait que ces 5 milliards seraient majoritairement compensés par la suppression de niches fiscales dont bénéficient les entreprises. Ce n'est plus le cas, puisque la réforme des niches fiscales ne devrait rapporter qu'un milliard. Les 4 milliards restant pourraient donc venir de nouvelles diminutions de crédits, appelées de leurs voeux par certains des orateurs qui viennent de s'exprimer, et qui viendront pénaliser celles et ceux qui ont besoin des services publics, en conformité avec votre leitmotiv : « moins d'impôt, moins de dépenses publiques ».

Pour financer les baisses d'impôts dont doivent bénéficier les classes moyennes, ces mêmes classes, outre les classes populaires, seraient donc mises à contribution. Question justice fiscale, il faudra repasser ! Voilà pourquoi nous craignons que tout cela ne s'apparente, une nouvelle fois, à un tour de passe-passe, à un énième jeu de bonneteau fiscal.

Car faire contribuer les plus riches et les grands groupes semble d'ores et déjà exclu. Monsieur le ministre, pourquoi ne pas instaurer de nouvelles tranches sur les hauts revenus ? Pourquoi ne pas revenir sur la suppression de l'ISF et la baisse d'impôt sur les dividendes et autres titres financiers ? Pourquoi ne pas agir efficacement contre l'évasion fiscale, comme nous vous le proposons ? Le Premier ministre est resté silencieux sur ce point, ce qui est peu compréhensible.

La question du financement se pose également depuis qu'a été confirmée la suppression totale de la taxe d'habitation. Sur ce sujet, vous n'avez pas encore rendu votre copie. Nous ne désespérons donc pas, même si nous sommes assez peu confiants, compte tenu des orientations budgétaires que vous avez prises depuis le début du quinquennat, et dont le présent projet de loi de règlement est l'illustration.

Au regard de ces différents éléments, vous comprendrez aisément pourquoi les députés communistes et le groupe GDR voteront contre ce projet de loi.

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