Intervention de Adeline Hazan

Réunion du mercredi 22 mai 2019 à 9h35
Commission des affaires sociales

Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

S'agissant des détenus atteints de troubles mentaux, madame Levy, je crois avoir déjà un peu répondu. Le système mis en place à la suite de la loi de 1994 et les évolutions législatives intervenues depuis dans les strates de structures de soins ne suffisent pas. C'est particulièrement le cas pour les UHSA. Il est important de lancer la deuxième tranche du programme de construction. De manière plus générale, il importe d'incarcérer moins les personnes atteintes maladies mentales, ce qui implique une réforme de la comparution immédiate.

Très peu d'établissements – seulement 15 % – comportent une nurserie. Je suis favorable à ce que leur nombre augmente, mais je ne pense pas qu'il faille en créer partout car on aboutirait à des situations où il n'y aurait qu'une ou deux femmes en face-à-face avec leur bébé. Il faut une taille suffisante pour qu'il y ait plusieurs enfants qui puissent interagir entre eux et des interventions extérieures. La nurserie de Fleury-Merogis, qui est importante, reçoit ainsi la visite de médecins de la protection maternelle et infantile et de divers professionnels.

Madame Ramassamy, madame Guion-Firmin, nous envoyons chaque année une mission outre-mer et nous constatons à chaque fois défaillances et dégradations, comme si les établissements de ces territoires étaient considérés comme la cinquième roue du carrosse.

Monsieur Delatte, il faudrait davantage de lieux comme celui que vous avez cité car ils permettent d'innover dans la prise en charge des personnes privées de liberté.

Madame Wonner, il est clair que l'hospitalisation en cas de péril imminent, qui suppose une procédure beaucoup plus allégée en matière de certificats médicaux, est en grande partie responsable de l'augmentation forte des hospitalisations sous contrainte ces dernières années. Je ne suis pas sûre que la création de cette disposition ait été une bonne idée. Le législateur pourra peut-être se poser la question de savoir s'il faut ou non la supprimer. Elle évite en effet aux directeurs d'établissement ou aux médecins de chercher un tiers, ce qui fait que l'hospitalisation se fait avec moins de garanties. Il serait bon d'évaluer l'application de cette mesure.

S'agissant de Hopsyweb, je suis d'accord avec vous pour dire que ce décret est fondamentalement anormal. L'intrusion assez récente dans le domaine psychiatrique d'impératifs de fichage, de surveillance au prétexte de récoler des informations sur les personnes susceptibles d'être radicalisées me paraît extrêmement inquiétante. Il faut que nous soyons extrêmement vigilants sur ce point.

Nous avons publié un avis relatif à la prise en compte des situations de perte d'autonomie dues à l'âge et aux handicaps physiques dans les établissements pénitentiaires. Nous ne voulons surtout pas que soient créés des établissements spécifiques pour les personnes âgées ou dépendantes, ce serait autant de ghettos de personnes vulnérables. J'ai visité des établissements où il n'y avait pas de conventions entre le conseil départemental et l'établissement pénitentiaire et les personnes qui en avaient besoin ne pouvaient pas recevoir une aide à domicile – même en prison, on peut en bénéficier. Il faudrait renforcer les moyens à destination de ces personnes et voir aussi si on ne peut pas faire de suspensions de peine. On voit en prison des personnes très malades, parfois atteintes de cancers, dont la peine court encore sur des années alors qu'elles ont 70 ou 75 ans. Quel sens cela a-t-il de les maintenir en incarcération ? Aucun, d'autant qu'il n'y a pas de risque de renouvellement d'infraction dans la plupart des cas. On ferait mieux de suspendre leur peine et de les accompagner au lieu de les laisser périr en prison.

Monsieur Hammouche, vous vous étonnez des dysfonctionnements que nous avons constatés dans le fonctionnement des commissions départementales des soins psychiatriques. Mais ces dysfonctionnements sont nombreux ; parfois, la commission ne se réunit pas. Les agences régionales de santé doivent donc être vigilantes. À ce propos, je ne veux pas mettre en accusation l'ensemble des ARS – ce serait beaucoup trop sévère –, mais il se trouve que les établissements que nous avons signalés dans le cadre de recommandations d'urgence – à Bourg-en-Bresse, en 2016, et à Saint-Étienne, en 2018 – avaient fait l'objet, un mois auparavant, de visites de l'ARS et, souvent, également de la Haute Autorité de santé (HAS). Je crois donc que nos contrôles n'ont pas le même objet. Au reste, il me semble que, parfois, les ARS ne se déplacent pas : elles effectuent un suivi sur dossier. Et, lorsqu'elles se rendent dans les établissements, je ne suis pas du tout certaine qu'elles interrogent les patients. On ne peut donc pas se contenter de leurs contrôles, car ils sont insuffisants, en tout cas en ce qui concerne le respect des droits fondamentaux des personnes. Il en va de même pour la HAS : il nous arrive de visiter des établissements dans lesquels la situation, en matière de respect des droits fondamentaux, est assez dramatique. Pourtant, la HAS y est passée un ou deux mois auparavant. Là encore, nos contrôles ne portent pas sur les mêmes éléments : l'accréditation par la Haute autorité de santé dépend davantage de l'examen d'un dossier et d'éléments de chiffrage que de la façon dont sont traitées les personnes.

Monsieur Borowczyk, vous m'avez interrogée sur la surpopulation carcérale. Je pourrais vous répondre longuement, mais je ne suis pas certaine que nous en ayons le temps. Il me semble tout de même que c'est principalement, mais – vous avez raison – pas exclusivement, dans les établissements surpeuplés que le taux de suicide est important. J'ajouterai cependant un bémol à ce constat, puisque Fleury-Mérogis a connu une vague de suicides alors que le taux de surpopulation n'y est « que » de 140 %, au lieu, souvent, de 200 % en région parisienne. En tout état de cause, la surpopulation crée des tensions et le choc carcéral est plus important dans une maison d'arrêt surpeuplée. Néanmoins, il est vrai que des personnes neurasthéniques, voire dépressives, se retrouvent parfois seules dans des établissements dont le fonctionnement est assez déshumanisé. Nous le constatons nous-mêmes, du reste, car lorsque nous contrôlons ce type d'établissements modernes, nous rencontrons très peu de surveillants – l'ouverture des portes se fait à distance, par exemple – alors que, dans les petites maisons d'arrêt vétustes, on serre la main du surveillant et on en profite pour discuter avec lui. Ce sont les deux extrêmes. Comment agir dans ce domaine ? D'abord en repérant mieux les personnes vulnérables, évidemment.

Madame Vidal, les extractions sont un véritable problème, que nous dénonçons année après année. Pourquoi ? Lorsqu'un détenu arrive en prison, on évalue son niveau de dangerosité, classé de 1 à 4. S'il est classé au niveau 1, c'est-à-dire considéré comme non dangereux, il peut, s'il est extrait pour une hospitalisation, ne faire l'objet d'aucune surveillance dans la salle d'examen et, surtout, se faire enlever ses menottes. Or, il s'avère que les surveillants ont très peur de ce qui peut se passer, de sorte que, la plupart du temps, ces détenus classés non dangereux se voient appliquer les mesures réservées aux détenus classés au niveau 2 ou 3. Ils restent donc attachés et, très souvent, les surveillants sont présents dans la salle d'examen. J'ai déjà rencontré trois gardes des sceaux depuis ma prise de fonctions et, à chaque fois que j'ai abordé ce sujet avec l'un d'eux, il a écarquillé les yeux. Mais il y a encore plus dramatique, c'est la situation des femmes qui accouchent. La loi de 2009 interdit qu'une surveillante soit présente dans la salle lorsqu'une détenue subit des examens gynécologiques ou accouche. Or, nous avons constaté à plusieurs reprises qu'une surveillante était présente en ces circonstances, non pas parce que la détenue était dangereuse, mais parce que, la salle de l'hôpital étant dépourvue de barreaux, on ne veut pas prendre le moindre risque. Lorsqu'on demande aux responsables de l'administration pénitentiaire s'ils ont souvent vu des femmes qui viennent d'accoucher couper le cordon, laisser leur bébé et sauter par la fenêtre, ils nous répondent que cela pourrait arriver... Heureusement, cette situation est exceptionnelle, mais c'est illégal : la loi l'interdit. Encore une fois, je l'ai rappelé aux différents gardes des sceaux, qui, je le répète, n'en croyaient pas leurs oreilles.

S'agissant des mineurs en centre de rétention, je propose que, dès lors qu'il s'agit d'une famille avec enfants, lesquels sont souvent en bas âge, on ne sépare pas les membres de la famille et on les assigne à résidence. Car, si on les place en rétention, c'est aussi parce que c'est plus confortable pour la police aux frontières (PAF), qui les a ainsi sous la main. On nous répondra que s'ils sont assignés à résidence, ils peuvent fuir. Certes, mais le risque zéro n'existe pas. Au demeurant, il est rare que des parents qui ont de tout petits enfants prennent la fuite.

Monsieur Perrut, vous m'avez interrogée sur la chaîne de la maladie mentale et la psychothérapie institutionnelle. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, il s'agit de faire en sorte que l'hospitalisation sans consentement ne soit pas privilégiée et, si elle s'avère nécessaire, qu'elle s'inscrive dans un parcours. En effet, il convient d'abord de prendre en charge la personne qui présente des troubles dans le cadre d'un centre médico-psychologique, par exemple, puis si, le cas échéant, elle doit être hospitalisée sans son consentement, de s'assurer qu'il n'y a pas de rupture de suivi et qu'elle peut être reprise en charge par les mêmes médecins, ou par d'autres – mais, du fait de la sectorisation, ce sont souvent les mêmes –, en milieu ouvert.

En ce qui concerne les mineurs non accompagnés, vous avez indiqué qu'ils étaient surreprésentés au sein de la population des mineurs incarcérés. De fait, lors des visites des Établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) que nous avons effectuées au cours de cette année, nous avons constaté non seulement qu'ils représentaient 50 % des détenus, mais qu'ils avaient été incarcérés pour des faits qui ne sont pas graves et pour lesquels, à l'évidence, aucun d'entre eux n'aurait été incarcéré s'il n'avait pas été un mineur non accompagné. Nous avons vu des jeunes, délinquants primaires, incarcérés pour le vol d'un scooter… À la « décharge » des magistrats, il me semble que leur intention est tout autant de les protéger que de les sanctionner. Ils se disent probablement que ces mineurs sont victimes de traites et qu'au moins, pendant leur incarcération, ils seront soignés et protégés. À mon avis, c'est inutile, car ils ne restent en détention que trois ou quatre mois et le problème se pose à nouveau à leur sortie. Toute la politique de prise en charge de ces mineurs est donc à revoir. À ma connaissance, leur trajectoire n'a pas fait l'objet d'études : on ne sait pas ce qu'ils deviennent. Il est vrai que l'explosion de ce phénomène est relativement récente.

Madame Robert, beaucoup des centres éducatifs fermés – pas tous, heureusement – ne fonctionnent pas correctement ; de nombreuses choses sont à revoir. Quant à la décision de la garde des Sceaux, j'aurais préféré – je le lui ai dit – qu'on modifie la façon de prendre en charge les mineurs dans les centres existants plutôt que d'en lancer vingt autres.

Par ailleurs, je ne suis pas certaine que l'avis du Conseil constitutionnel ait des répercussions – même s'il devrait en avoir – sur le placement des enfants en centre de rétention. Cette question pourrait être réglée très facilement. Le Président de la République m'a demandé, à ce sujet, si une nouvelle loi serait nécessaire. Je lui ai répondu non : il suffit que le ministre de l'intérieur publie une circulaire indiquant que les familles ne peuvent faire l'objet que d'une assignation à résidence.

Monsieur Lurton, vous souhaitez savoir quel jugement je porte sur la politique de lutte contre la surpopulation carcérale. Je me suis souvent exprimée à ce sujet : mon avis est plutôt négatif. À l'évidence, la construction de 6 000 à 7 000 places était nécessaire, au moins pour satisfaire les besoins. Mais l'annonce d'un projet de construction de 15 000 places, même répartie sur deux quinquennats, ne me semble pas une bonne idée car, c'est prouvé, plus on construit de places de prison, plus on enferme. Depuis trente ans, on a doublé le nombre de places de prison et, pourtant, la surpopulation n'a jamais été aussi importante, ce qui signifie qu'on a rempli les prisons. La solution consiste, me semble-t-il, à privilégier les alternatives à l'incarcération et donc à donner davantage de moyens aux services de probation. Cela rejoint ce que je disais sur la comparution immédiate : il aurait fallu modifier toutes ces procédures de jugement rapide qui remplissent les prisons de courtes peines, qui sont les plus désocialisantes.

Monsieur Belhaddad, vous avez relevé que, dans notre rapport, nous indiquions que nous poursuivions un troisième tour de visites, qui doit aboutir à un troisième rapport, après ceux de 2015 et de 2016, dans lesquels nous avions porté un jugement plutôt sévère sur les unités dédiées. Cette fois, il s'agit, non plus d'unités dédiées, mais de quartiers d'évaluation de la radicalisation ou de prévention de la radicalisation. Une équipe du contrôle est donc en train de faire le tour de ces établissements, et nous publierons un rapport au mois de septembre ou d'octobre. À ce jour, je n'ai pas, sur ce point, un avis suffisamment précis pour pouvoir vous le livrer.

Quant à la formation professionnelle, il s'agit en effet d'une problématique extrêmement importante. La réforme des compétences n'a pas été une bonne nouvelle, en tout cas pour les détenus. On a vu ce qui s'était passé en Île-de-France ou dans d'autres régions, où cela a été supprimé puis rétabli. Or, vous avez parfaitement raison, la formation professionnelle et le travail sont absolument essentiels pour la réinsertion.

Madame Fabre, je suis absolument d'accord avec vous sur la question de la mixité. Je vous renvoie, du reste, à un avis, publié sur notre site, sur la prise en charge des femmes détenues, dans lequel nous préconisons précisément les mesures que vous avez suggérées. Actuellement, les textes disposent que, dans les établissements pénitentiaires, les activités ne doivent pas être mixtes, sauf dérogation. Les quelques chefs d'établissement qui ont eu le courage d'organiser des activités mixtes ont bien vu que, même si, notamment à Gradignan, le personnel avait émis quelques réserves, tout s'était bien passé. Nous recommandons donc que l'on renverse le principe actuel et que la règle soit la mixité, sans pour autant obliger les femmes vulnérables ou celles qui ne le veulent pas à participer à des ateliers mixtes.

Madame Vignon, vous avez tout à fait raison, les rémunérations en prison sont tellement faibles que les pensions de retraite le sont également. Aucune étude n'a été consacrée à ce sujet, mais je crois que le problème doit être traité en amont. Comme nous l'avons indiqué dans un avis sur le travail et la formation professionnelle, publié au Journal officiel et disponible sur notre site, il faut revaloriser le travail des détenus, car il est indigne de les rémunérer à hauteur de 45 % du SMIC horaire – soit le minimum fixé dans les textes –, voire moins dans certains établissements. Certes, on ne peut pas les payer au SMIC car, dans ce cas, les entreprises ne feront plus appel aux établissements pénitentiaires.

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