Intervention de Jean-Michel Clément

Réunion du mercredi 22 mai 2019 à 17h05
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément, rapporteur :

Nous sommes saisis d'un accord de remise de personnes poursuivies ou condamnées, autrement dit un accord d'extradition, avec la Région administrative spéciale (RAS) de Hong Kong. Notre commission est habituée à ce type d'accord bilatéral, qui comprend toujours certaines clauses-types. La France est partie à plus d'une soixantaine d'accords bilatéraux en matière d'extradition. En Asie, notre pays est déjà lié à la Chine et à la Corée du Sud.

Quel est l'intérêt de ce type d'accord ? Le droit français, et plus précisément le code de procédure pénale, définit le cadre applicable par défaut en matière d'extradition. Un accord bilatéral n'est donc pas nécessaire pour permettre la remise de personnes vers ou depuis un autre État. Mais lors d'une extradition sans accord bilatéral, l'application du droit français se trouve confrontée à un autre droit national, ce qui peut générer des conflits de législation et compliquer in fine l'extradition.

Un accord bilatéral a pour objectif de faciliter la procédure d'extradition. En contrepartie, un tel accord doit être protecteur des droits et libertés de nos concitoyens et des étrangers. Ce type d'accord fixe donc le cadre juridique de l'extradition en combinant ces deux exigences. Sur le fond, il conduit les parties à se mettre d'accord sur des règles et des garanties communes, notamment les motifs de refus d'extrader qui sont au coeur de la négociation. Sur la forme, il détermine les modes et les modalités de communication entre les parties ce qui permet de fluidifier les échanges.

Quelles sont les spécificités de cet accord avec Hong Kong ? Contrairement à la plupart des accords bilatéraux, cette convention a été conclue avec un territoire qui n'est pas un État souverain. Depuis la rétrocession en 1997, Hong Kong a le statut de RAS de la République populaire de Chine (RPC).

Pour autant, en vertu du principe « un pays, deux systèmes », Hong Kong est une entité qui jouit d'une grande autonomie par rapport à la RPC. Ce haut degré d'autonomie est garanti par la Loi fondamentale – la Basic Law –, qui sert de constitution à l'ancienne colonie britannique. Parce qu'il s'agit d'un État de droit, Hong Kong reste une place forte de l'économie asiatique, notamment pour les entreprises françaises. Elle est encore aujourd'hui la troisième place financière au monde. Cette autonomie, à laquelle sont profondément attachés les habitants de Hong Kong, se retrouve, d'une part, dans sa capacité à conclure des accords bilatéraux avec des États tiers, et notamment des conventions d'entraide judiciaire, et d'autre part, dans l'organisation de son système judiciaire, pénal et carcéral.

Grâce à cette autonomie, la France et Hong Kong coopèrent déjà dans le domaine de la justice pénale. La France est notamment liée à Hong Kong par un accord sur le transfèrement de prisonniers. Jusqu'à récemment, cette coopération incluait la remise de personnes poursuivies ou condamnées. Toutefois, lors de deux arrêts rendus en 2012, la Cour de cassation a estimé que Hong Kong n'avait pas le statut d'État souverain qui, en vertu du code de procédure pénale, autorise à pratiquer des extraditions. La nouvelle convention a donc pour objet principal de combler un « vide juridique » afin de permettre la reprise des extraditions avec Hong Kong. Dans les faits, le nombre d'individus susceptibles d'être concernés est très marginal, ce qui ne remet pas en cause l'utilité de la convention à long terme.

Cette convention est l'occasion d'attirer l'attention de notre commission sur une situation préoccupante : la reprise en main de Hong Kong – de sa vie politique, sa presse, ses universités – par la RPC. Ce durcissement n'est pas nouveau. En 2014, lors du « mouvement des parapluies », des centaines de milliers de Hongkongais manifestaient pour s'opposer au projet du gouvernement chinois de limiter le suffrage universel pour l'élection du chef de l'exécutif. Ce mouvement n'a jamais complètement disparu de la vie politique hongkongaise.

J'ai pu le constater lors d'un déplacement sur place à l'occasion duquel les personnes rencontrées m'ont fait part de leurs craintes. Pour qui connaît un peu la Chine, il est évident que notre conception de la démocratie se heurte à une autre réalité. En Chine, comme me l'expliquait un dignitaire chinois, les droits économiques priment sur tous les autres.

L'ingérence de la Chine au sein du système judiciaire est particulièrement inquiétante. Dans sa forme la plus brutale, cette pression se traduit par des enlèvements sur le territoire autonome. Dans sa forme plus douce, elle est visible au travers des avis donnés par l'Assemblée nationale populaire pour orienter l'issue des instances en cours à Hong Kong. Depuis quelque temps, un projet de loi qui vise à permettre l'extradition de personnes vers la Chine est en cours de discussion à Hong Kong. Il a entraîné les manifestations les plus importantes dans la région autonome depuis 2014. Nous devons y être vigilants.

Je souhaite toutefois rassurer notre commission sur un point : les risques que la pression chinoise fait peser sur les relations entre la France et Hong Kong en matière d'extradition sont maîtrisés. L'accord d'extradition avec Hong Kong, comme celui qui nous lie déjà à la Chine, comprend les garde-fous classiques dans ce type d'accord pour se prémunir contre la menace d'arbitraire ou d'ingérence. Il prévoit l'exclusion des infractions politiques, l'interdiction d'extrader une personne qui risque la peine de mort ou encore l'interdiction de poursuivre ou punir une personne pour des infractions distinctes de celles qui ont motivé sa remise. Dans le cadre de chaque demande d'extradition, nos autorités diplomatiques et judiciaires évalueront les risques liés aux atteintes à l'autonomie judiciaire de Hong Kong.

Compte tenu de ces garanties, j'appelle la commission à autoriser la ratification de cette convention.

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