Intervention de Pascal Brindeau

Réunion du mardi 11 juin 2019 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Brindeau, rapporteur :

Nous sommes appelés à ratifier le protocole additionnel à la Charte européenne sur l'autonomie locale sur le droit des citoyens de participer aux affaires des collectivités. Ce protocole additionnel a été adopté en novembre 2009 et immédiatement signé par la France. Il est entré en vigueur en 2012, après ratification par 8 États membres du Conseil de l'Europe. Ce n'est qu'en mars dernier que le Sénat l'a examiné, et c'est à présent notre tour, de sorte que nous pouvons espérer qu'il entrera en vigueur dans notre pays pour son dixième anniversaire…

Avant d'aborder le protocole qui nous intéresse aujourd'hui, je voudrais vous parler rapidement de la Charte dont il est le prolongement : il s'agit de la Charte européenne sur l'autonomie locale. Lorsqu'elle a été adoptée par les États membres du Conseil de l'Europe, en 1985, cette charte était un texte d'avant-garde en matière de reconnaissance des droits des collectivités locales. À l'échelle internationale, c'était une première, et en France, nous n'avions pas encore poussé assez loin le principe de décentralisation pour pouvoir la ratifier à droit constant. Il a fallu attendre les années 2000 pour que nos règles constitutionnelles et législatives soient en conformité avec le principe d'autonomie locale énoncé par la Charte. C'est essentiellement la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 sur l'organisation décentralisée de la République qui nous a permis de franchir ce pas.

Aujourd'hui encore, le respect du principe d'autonomie locale dans toute son exigence ne peut être considéré comme un acquis définitif, en France et, plus généralement, en Europe. Dans mon rapport, j'évoque une situation qui me semble assez fragile s'agissant de l'autonomie financière des collectivités territoriales françaises, avec les évolutions intervenues au cours des dernières années : baisse drastique des dotations financières de l'État, principe de contractualisation et donc d'encadrement des dépenses de fonctionnement de celles-ci, suppression de la taxe d'habitation, et donc, à venir, une modification du régime fiscal des collectivités locales… Au total, il me semble que cette autonomie financière est aujourd'hui quelque peu affaiblie en France. Nous devons donc rester vigilants sur ce point.

Mais tel n'est pas le sujet du protocole qui nous intéresse aujourd'hui. Ce protocole porte sur le droit des citoyens de participer aux affaires des collectivités locales. L'idée maîtresse qui le sous-tend est qu'une démocratie locale vivante et véritable est le meilleur gage de bonne santé pour tout État démocratique. Le protocole vise donc à garantir concrètement le droit des citoyens de participer aux affaires publiques locales. Que recouvre ce droit ? Le protocole le définit comme « le droit de s'efforcer de déterminer ou d'influencer l'exercice des compétences de la collectivité locale ». Il ne se cantonne pas au droit d'élire ou de se faire élire en tant que membre d'un conseil délibérant. D'ailleurs, le droit de participer n'est pas reconnu qu'aux électeurs, mais plus largement aux citoyens. Le protocole impose aux États de mettre en place des mécanismes garantissant la participation effective des citoyens aux affaires locales. Il ne cite pas ces mécanismes de manière exhaustive ; ce ne serait pas envisageable, tant la diversité possible est infinie. En revanche, il en donne des exemples : consultations, référendums, pétitions, accès aux documents publics, etc.

Que penser de ce protocole au regard de notre Constitution et de notre législation nationale ? La France peut le ratifier sans difficulté. En effet, les réformes du début des années 2000 que j'ai évoquées permettent de satisfaire intégralement aux exigences du protocole. En particulier, la révision constitutionnelle de 2003 a introduit dans la Constitution un article 72-1 qui institue plusieurs mécanismes de participation à destination des électeurs des collectivités territoriales : droit de pétition ; mécanisme du référendum local à l'initiative des conseils locaux, avec une valeur décisionnelle ; consultation des électeurs des collectivités dans certains cas de figure.

Nous pouvons évidemment nous féliciter que la France ait déjà introduit tous ces mécanismes dans son droit interne. Ils sont par ailleurs complétés par de nombreux autres dispositifs plus ou moins formalisés, avec des situations très différentes d'une collectivité locale à l'autre. Je pense notamment aux conseils de quartier, obligatoires pour certaines strates de collectivités, aux budgets participatifs, et enfin à toutes les initiatives informelles qui foisonnent : réunions publiques, sondages, enquêtes, etc.

Vous l'aurez compris, en France, la démocratie locale dispose déjà d'un nombre important d'outils. Et pourtant, nous ne pouvons pas ne pas voir qu'il existe un vrai contraste entre ces dispositifs nombreux et variés et la persistance chez nos concitoyens d'un sentiment important de frustration, quant à leur insuffisante association aux décisions publiques. Il s'agit, à l'évidence, d'un point focal du mouvement des gilets jaunes, dont l'un des slogans scandés est l'appel à une « démocratie citoyenne » et à l'instauration d'un référendum d'initiative citoyenne. C'est l'un des sujets de fond qui est ressorti du Grand débat. Une démocratie citoyenne, c'est une démocratie où le citoyen se sent acteur du changement, où il a le sentiment d'être associé aux décisions qui engagent la collectivité et ; plus généralement, son avenir.

Le fait est qu'aujourd'hui les Français, en tous cas un nombre important de Français, n'ont pas ce sentiment. Je pense qu'il est très important que nous entendions et comprenions bien cette revendication de nos compatriotes, et que nous cherchions à y répondre pas tous les moyens. La révision constitutionnelle à venir va nous en fournir l'occasion, et j'espère que nous saurons trouver de vraies réponses. Je crois que ce chantier est évidemment plus facile à conduire à l'échelle locale, du fait de la proximité naturelle qui s'établit entre les élus et les citoyens à ce niveau. C'est en ce sens que la ratification de ce protocole est intéressante pour notre pays aujourd'hui : elle nous incite à revisiter les dispositifs de participation mis en place dans nos collectivités territoriales à la lumière du désir de meilleure association qui s'exprime.

Sans doute pouvons-nous améliorer certains dispositifs en place pour les rendre plus souples, plus accessibles. Nous pourrions, par exemple, assouplir les critères de recours au référendum local et l'ouvrir à l'initiative citoyenne, ou élargir le droit de pétition, par exemple. Je crois pourtant que nous devrons d'abord veiller à effectuer le bon diagnostic, c'est-à-dire à bien évaluer le niveau d'appropriation des différents moyens de participation existants dans les différentes collectivités. À travers mes travaux sur ce protocole, il m'a semblé qu'à l'échelle nationale, cette évaluation faisait un peu défaut. Je n'ai pas vraiment pu obtenir un bilan de ces dispositifs, ce qui me semblerait pourtant très utile. Quoi qu'il en soit, je trouve évidemment indispensable que nous ratifiions sans tarder le protocole qui nous est soumis, car la démocratie locale est sans conteste une bonne chose, et nous devons la promouvoir au sein du Conseil de l'Europe.

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