Intervention de éric Trappier

Réunion du mercredi 22 mai 2019 à 16h40
Commission de la défense nationale et des forces armées

éric Trappier, président-directeur général de Dassault Aviation :

Je répondrai d'abord sur la Belgique, dont le cas est un peu différent du Canada.

Quand nous avons reçu l'appel d'offres, nous nous sommes rendus compte de ce qu'il était taillé pour le F-35. Nous avons donc échangé avec l'État, en particulier avec la ministre des Armées. Nous avons considéré qu'il fallait malgré tout tenter notre chance, en dehors de l'appel d'offres, tant il nous semblait impensable que la Belgique pays hôte du coeur politique et institutionnel de l'Europe puisse se doter d'un matériel américain. Nous avons donc joué le jeu. Nous nous sommes tous mobilisés pour faire une offre qui, premièrement, était une offre d'État à État et, deuxièmement, incluait un grand partenariat industriel dans le cadre duquel non seulement Dassault, mais aussi ses sous-traitants et ses partenaires Thales et Safran, qui possèdent tous des industries en Belgique seraient capables de se mobiliser pour générer un potentiel de développement dans le pays, tant dans le secteur militaire que dans le secteur civil.

Les militaires belges étaient tout à fait en faveur des Américains. En outre, comme cela ne vous a sans doute pas échappé, la situation politique en Belgique est un peu compliquée, puisque les divisions entre les partis se doublent de clivages entre les sensibilités wallone, flamande et bruxelloise… Après un combat assez âpre, le Premier ministre belge a été obligé, peu avant les élections, de se rendre à l'évidence, à savoir qu'il lui faudrait suivre les militaires, qui soutenaient par principe le matériel américain. Au vu des conditions qui nous ont été faites, nous pouvons dire que le jeu était pipé d'avance.

En fait, dès le début, nous savions qu'ils accorderaient les contrats d'avions aux Américains, les blindés aux Français, et que, dans le domaine naval, et notamment dans le domaine de la guerre des mines, le jeu serait plus ouvert. Une espèce de répartition s'opère ainsi. Évidemment, si vous le dites aux autorités belges, elles vous répondront qu'il n'en est rien et qu'il s'agissait de vrais appels d'offres, que les Français auraient pu tous les remporter. En vérité, les Américains se taillent la part du lion, parce qu'un contrat de F-35, ce n'est pas tout à fait pareil qu'un contrat de blindés qui doit tourner autour d'un milliard d'euros. Les avions, cela représente beaucoup, beaucoup, beaucoup plus. Les Américains ne s'y trompent jamais, eux qui poussent en premier leurs avions de combat.

Dans le domaine de l'environnement, nous n'avons pas attendu pour agir qu'il y ait une pression qui s'exerce sur le sujet. Au sein de la profession, nous travaillons en coordination, parce qu'une société seule ne peut pas faire grand-chose. Nous travaillons, au sein du conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC), sur des standards d'environnement, en nous appuyant sur ce qui a été défini dans le Grenelle de l'environnement, notamment en fixant un certain nombre d'étapes-clés de réduction d'émission de carbone.

Evidemment, cela ne concerne pas simplement Dassault, mais aussi Airbus, Safran et les motoristes. Dans le cadre de l'initiative technologique conjointe Clean Sky, dans ses trois phases successives, nous travaillons à définir des avions et des moteurs qui ont une consommation très réduite. Enfin, nous développons l'usage du biofioul. Je reviens de Suisse, où nous avion envoyé plusieurs de nos Falcon volant au biofioul. Le problème du biofioul n'est donc plus celui des motoristes ni des avionneurs, mais celui de la filière de fabrication de ce carburant et de leur filière de distribution, qui est en train de se développer. C'était le thème du salon tenu à Genève : comment accélérer la mise en place de ces biofiouls ?

Je pense que c'est par la pratique. Pour faire Paris-Genève avec nos Falcon, nous avons cependant dû passer par Caen ! C'est l'endroit le plus proche de Paris où l'on peut trouver du biofioul. Vous voyez donc qu'il y a encore un peu de travail à faire… Je pense qu'il faut se tourner vers les fabricants de carburant et de biofioul pour en améliorer la distribution. La problématique est un peu la même que pour les voitures électriques. Tant que manque un réseau fort de bornes, nous connaîtrons toujours des restrictions de disponibilité. L'infrastructure est donc très importante pour aller vers une réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Dans le domaine militaire, malheureusement, c'est un petit peu différent. Les performances qu'on nous demande sont des performances opérationnelles : il faut que le moteur pousse le plus possible, il faut que l'avion aille le plus vite possible… Ces exigences sont presque antinomiques avec les exigences de sobriété énergétique. Mais j'observerai que les vols d'avions militaires représentent tout de même une part très marginale des vols, comparés à l'ensemble des vols commerciaux dans le monde.

Pour le bruit, la question est encore peu plus difficile. Nous essayons déjà de réduire le bruit des avions de combat pour des raisons opérationnelles, et non pour des raisons environnementales. S'agissant des avions civils, il faut prendre en compte les normes des aéroports du monde entier. À l'aéroport de Hong-Kong, par exemple, les avions se posent assez près des maisons d'habitation et les normes de bruit s'en trouvent renforcées. Nous nous adaptons et veillons à ce que, dans nos nouveaux avions, les normes en matière de bruit extérieur des moteurs soient respectées. Cela représente un gros travail, qui va se poursuivre.

Quant aux énergies alternatives, j'ai déjà parlé des biofiouls. Dans le domaine de l'électricité, les batteries vont constituer un sujet d'études. Je ne suis pas complètement persuadé que, d'ici dix ans, nous arrivions à fabriquer un A320 ou un Falcon totalement électrique, car il faudrait sans doute de trop grosses batteries, même si les producteurs de batteries progressent vite. Les normes édictées par les agences de certification deviennent de plus en plus exigeantes et c'est bien normal. Il faudra donc que les batteries respectent toutes ces normes de fiabilité et de sécurité. Nous sommes en marche dans la direction des énergies alternatives. Nous y travaillons sérieusement. Car nous connaissons les attentes environnementales de la population. On y vient petit à petit, sans nous contenter de seulement les accompagner.

J'en viens aux engagements pris dans le cadre de la réduction des émissions carbone. Ce sera un grand sujet. Pourvu que tout le monde joue le jeu ! Je rappelle que, dans l'aéronautique, un tout petit pays qui est un grand acteur de l'aéronautique s'appelle les États-Unis d'Amérique ! Or ils ne sont pas tout à fait sur le même terrain de jeu. Il faudra aussi des progrès de ce côté-là.

Voyez-vous, aux États-Unis, on n'hésite pas à parler de supersoniques commerciaux, ce qu'on s'interdit en France. Nous avons pourtant chez Dassault toutes les compétences pour en fabriquer et nos ingénieurs en rêvent depuis des années, après le Concorde. Je suis cependant obligé de les maintenir dans un sentiment de frustration. Quand je m'interroge pour savoir si on peut dire qu'on va faire un Paris-New York beaucoup plus rapide, mais qui va consommer quatre fois plus, les Américains estiment que cela ne pose aucun problème. À leurs yeux, on changera simplement les normes ! C'est ce qu'ils disent aujourd'hui.

Je voudrais d'ailleurs être sûr que les agences en charge de l'environnement en France et en Europe disent aux Américains que ce n'est pas possible, car certains commencent à dire que si les Américains le font, ils suivront… Il ne faudrait pas nous brider en matière d'avion supersonique, pour ensuite s'aligner sur les standards US et acheter des avions supersoniques américains !

Quant à l'export, je pense qu'il ne s'agit pas d'une problématique simplement industrielle et économique, mais aussi politique. De grands partenaires comptent sur nous, d'une certaine manière, parce qu'ils n'ont pas développé d'industrie autonome de défense. À leurs yeux, la France, peut-être demain l'Europe, pourra mieux équilibrer le rapport de forces existant entre les différentes grandes puissances. Je pense donc que l'export doit aussi être vu en termes de relations stratégiques avec les pays vers lesquels on exporte.

Mais ce n'est pas à moi de dire avec qui il faut avoir des relations stratégiques. C'est le rôle de l'État. C'est la fonction qu'il remplit quand il nous autorise à exporter pour développer une relation.

S'agissant de l'emploi de moteurs du SCAF pour l'appareil de l'aéronavale, je ne crois pas qu'un avion à décollage vertical soit vraiment un avion de combat. Les Américains, n'ont développé ce type d'avion que pour les marine corps. Nous, nous n'avons pas ce type de force en Europe. La version marine du F-35 est une version qui comporte le moteur de l'armée de l'air permettant à l'avion de décoller d'un porte-avions. À titre indicatif, le tonnage d'un porte-avions américain est plus du double de celui du Charles-de-Gaulle. Nous avons donc affaire à de gros avions de combat sur de gros porte-avions.

Il faut donc penser le SCAF, comme on a pensé le Rafale, pour être un avion polyvalent capable de remplir l'ensemble des missions qui relèvent de l'armée de l'air française et de la marine nationale, y compris dans sa mission de dissuasion nucléaire aéroportée.

Sur le Rafale MLU, la date fixée n'est qu'une date théorique. Aujourd'hui, il n'y a pas de programme MLU, ni étudié, ni lancé. Je pense que nous allons attendre la clause dite de revoyure et la prochaine feuille de route. Les ingénieurs ont pour rôle de proposer des améliorations plus lourdes du Rafale, par rapport à ce qui est un F4. Le SCAF offre déjà plus de furtivité. Faudra-t-il mettre aussi plus de furtivité dans un futur standard du Rafale ? La question se posera.

Quant au programme et au calendrier du SCAF, il faudrait d'abord savoir quand sera le point de départ, le « T zéro ». Nous espérions en obtenir un des démonstrateurs le plus vite possible. On l'espérait pour le Bourget ; ce sera peut-être un peu après. Si nous l'obtenons cette année, on devrait pouvoir faire voler un premier avion en 2026 et fabriquer le premier avion opérationnel pour 2040. Ce n'est pas un « timing » serré.

Mais il faut vingt ans pour mûrir ces technologies, s'assurer des besoins opérationnels et développer le moteur et les futurs éléments électroniques qui seront intégrés à l'avion. Les démonstrateurs permettent de valider une option avant de lancer en série, ce qui est beaucoup mieux que de lancer en série pour s'apercevoir qu'on n'a pas forcément bien fait du premier coup et devoir vivre avec les défauts constatés. Voilà tout ce que je puis vous dire pour le calendrier théorique. Pourvu qu'on démarre cette année.

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