Intervention de éric Trappier

Réunion du mercredi 22 mai 2019 à 16h40
Commission de la défense nationale et des forces armées

éric Trappier, président-directeur général de Dassault Aviation :

Pour ce qui est des exportations vers l'Arabie saoudite, Dassault n'a pas conclu de contrats avec cet État et je ne saurai donc vous répondre sur ce point. Tout ce que je sais, c'est ce que je lis dans la presse, comme vous, à savoir que l'avion Typhoon vendu à l'Arabie saoudite par les Britanniques est actuellement bloqué en raison de la problématique allemande. Pour notre part, nous ne subissons aucun blocage.

En ce qui concerne le Falcon 6X, la problématique est un peu différente : il s'agit en l'occurrence de déterminer ce qu'il est utile de faire aller du militaire vers le civil, et vice versa. En la matière, nous estimons que la modernisation de la société résultant du développement des technologies numériques doit profiter aussi bien au civil qu'au militaire – nous ne faisons aucune différence entre les deux dans la manière de concevoir et de fabriquer nos avions. De même, dans le domaine du soutien, nous rapprochons les équipes civiles et militaires afin de pouvoir faire bénéficier les militaires de ce qu'on a fait pour le civil.

Le développement du 6X contribue, lui aussi, à la modernisation de la société, puisque nous profitons des nouveaux programmes pour améliorer notre compétitivité. Je rappelle que, quand nous nous battons pour vendre des Falcon, nous faisons face en Europe à deux concurrents fabriquant des avions d'affaires de cette catégorie, l'un américain et l'autre canadien : autant dire que notre tâche est compliquée, car il est beaucoup plus facile d'avoir une bonne productivité aux États-Unis, pour les nombreuses raisons que vous connaissez. Il nous revient donc de compenser ce manque de compétitivité par d'autres choses, notamment la qualité de main-d'oeuvre et de formation, mais aussi en tirant le meilleur parti du numérique comme facteur de mutation compétitive de la société.

Si tout ce qui est gagné en compétitivité sur le Falcon se retrouve immédiatement sur le Rafale, il n'en est pas de même en matière de technologies, car les technologies civiles et militaires sont un peu différentes. En revanche, les savoir-faire sont les mêmes, et se transmettent naturellement d'un secteur à l'autre : par exemple, une équipe d'aérodynamiciens peut travailler tantôt sur le Falcon, tantôt sur le Rafale. Les technologies militaires comprennent des spécificités nécessitant des démonstrateurs ou des programmes pour être entretenues. C'est le cas, ainsi, du supersonique ou de la furtivité, qui ne se retrouvent jamais dans les avions civils.

Pour ce qui est de l'export du SCAF et de sa rentabilité, je commencerai par dire qu'il n'y a pas de notion de rentabilité, pas de business plan dans le militaire. Les États financent intégralement le développement, et l'export qui vient après permet de maintenir les chaînes de production – en les renforçant ou en les diminuant, en fonction du volume d'export. Le retour pour le pays concerné, c'est l'emploi. Quand on fabrique deux fois plus de Rafale grâce à l'export, il est évident qu'on embauche plus et qu'on fait davantage travailler la sous-traitance : il y a donc un retour immédiat sur la France, puisque le Rafale est exclusivement fabriqué en France, chez Dassault mais aussi chez nos amis de Thales et de Safran, et sur toute la supply chain composée de 400 sociétés qui contribuent au Rafale.

Évidemment, si on fait travailler plus de monde, on paye un peu plus d'impôts, ce qui fait que de l'argent retourne aussi aux collectivités locales, qui perçoivent des taxes. Outre que cela bénéficie à la communauté économique, cela permet d'avoir un équilibre avec le civil et nous aide ainsi à faire face à la problématique de compétitivité que nous connaissons, principalement avec nos amis américains. Je le répète, il n'y a pas de business plan car s'il y en avait un, il pourrait mettre en péril l'existence des sociétés composant la supply chain : par exemple, si, après avoir annoncé qu'il fallait 300 avions à l'export, nous n'en faisions que 100, il est évident que les sociétés dépendant de nos commandes ne tiendraient pas le coup – et une société qui coule, cela peut aboutir à remettre en cause certains programmes tels que le Rafale, ce qui ne peut se concevoir.

Les procédures relatives à l'export ne sont pas les mêmes en France et en Allemagne. Il revient aux deux États d'en discuter et d'échanger – je sais que le président Bridey y contribue avec le Parlement. Si en France, c'est l'exécutif qui décide – sous le contrôle du Parlement, par le biais d'une commission interministérielle et en ayant consulté les armées – en Allemagne, la décision revient au Bundestag – c'est-à-dire aux parlementaires, mais aussi aux partis.

En France, l'industrie de défense, malgré tout, qu'elle soit aéronautique, terrestre ou navale, contribue fortement à l'emploi dans les régions. Là où il y a beaucoup d'emploi, il y a moins de contestation, car ce que veulent les gens, c'est de l'emploi. L'Allemagne est donc moins sensible à cet égard, étant au plein emploi.

Il faudra utiliser les industriels allemands pour parler dans leurs régions et expliquer l'intérêt de l'exportation. Cela passe par un accord du type Debré-Schmidt, souple, en confiance, et peut-être faut-il que la France prenne une certaine responsabilité quand elle exporte dans certains pays, pour justifier de ses choix vis-à-vis de ses partenaires allemands. Il faudra le matérialiser à l'avance. Mais il n'y aura pas de coopération et de construction européenne sans une certaine confiance entre les pays.

S'agissant du projet « nEUROn », la réponse est oui : il peut contribuer à ce qui pourrait demain être un SCAF, c'est-à-dire un ensemble de systèmes. Il y a l'avion de combat mais il pourra y avoir des drones et autres. C'est un développement qui s'est fait sans l'Allemagne. Il existe un savoir-faire français dans le domaine, qui pourra intéresser le programme.

S'agissant du man-machine teaming, nous sommes dans la phase d'exécution, avec des start-ups et des PME en train de développer des choses. L'intelligence artificielle est un grand sujet. Il en existe de plusieurs types, il faut faire attention aux appellations génériques. Le but aujourd'hui est l'automatisation d'un certain nombre de fonctions pour parvenir à réaliser une mission qu'il y ait ou non un pilote dans l'avion. Dans tous les cas, il y aura un contrôle humain sur cette intelligence artificielle ; la machine est un outil et ne décide pas toute seule de ce qu'elle fait, elle décide en fonction d'un certain nombre de critères programmés et pilotés par la main et surtout le cerveau de l'homme. Il faut donc rassurer nos populations ; c'est vrai dans le domaine des armements mais aussi dans celui des transports. De la même manière, les avions civils seront de plus en plus « pilotés automatiquement », entre guillemets, mais c'est déjà en réalité le cas en grande partie. Le système de commande de vol sur un avion civil aujourd'hui est très difficile à piloter sans l'homme et il faut absolument mettre en place les logiques qui permettent au pilote de bien comprendre ce qui se passe.

S'agissant du Rafale, si le premier avion SCAF ou NGF arrive en 2040, le Rafale vivra bien sûr encore longtemps. Regardez le Mirage 2000 : le Rafale est entré en service en 2006 et nous avons encore beaucoup de Mirage 2000 qui volent en 2019. À mon sens, des Rafale continueront de voler longtemps après 2040. Il faut néanmoins déjà se positionner sur des ambitions : 2040 paraît une ambition jouable avec nos amis allemands.

S'agissant du coût d'un programme de nouvelle génération, si je regarde du côté de nos amis américains, cela coûtera des sommes inatteignables par les Français et les Allemands réunis, voire avec d'autres Européens qui les rejoindraient. Nous savons que nous n'aurons jamais ces budgets, nous le ferons donc pour beaucoup moins cher. Je rappelle qu'un Rafale a coûté, en développement, neuf milliards pour la version « marine », là où un F-35 a coûté au moins dix fois plus. Nous avons donc une marge de manoeuvre. Ce ne sont pas tout à fait les mêmes performances, c'est vrai, car la génération est un peu différente, mais cela se rapproche tout de même beaucoup. Les lois de programmation devront, de part et d'autre du Rhin, être capables de préparer le développement de ces grands systèmes ; il y va de notre indépendance nationale ou du moins de la souveraineté européenne de demain.

S'agissant du porte-avions, je rappelle qu'Annegret Kramp-Karrenbauer, qui a pris les rênes de la CDU, a parlé d'un porte-avion européen : les Allemands progressent donc dans le domaine. Je pense qu'il est nécessaire d'avoir une enveloppe de besoins, ce qui ne veut pas dire que l'on prenne tous les besoins partout en Europe, car on ferait alors des avions chers et dont nous aurions du mal à maîtriser le développement. Il faut être raisonnable au début – ambitieux et raisonnable – et ensuite tenir la ligne. Cela passe par la nécessité que les états-majors se parlent entre eux et par une vraie maîtrise d'oeuvre, car il faut que celui qui dise « on va y arriver » soit crédible. Chez Dassault, c'est quelque chose d'important : si nous vous disons que nous savons le faire, nous le ferons, et si nous disons que nous ne savons pas le faire, il faut nous croire aussi, cela veut dire que nous n'y arriverons pas. C'est dans ce dialogue qu'il faudra lancer le développement du programme. Nous disons aujourd'hui qu'avant de savoir combien cela va coûter et ce que nous ferons vraiment in fine, il convient de lancer des démonstrateurs pour vérifier jusqu'où l'on peut aller en termes de développement de la technologie ainsi que pour apprécier le retour entre ce que la technologie apporte et les besoins opérationnels. Ce qui est certain, c'est que les systèmes d'armes adverses progressent, en particulier les systèmes russes, et demain chinois ; nous voyons donc déjà à peu près où nous irons dans les années à venir. Les capacités de déni d'accès vont, semble-t-il, aller en progressant avec la dissémination de systèmes russes de type S400, c'est donc bien la capacité d'entrer en premier dans un conflit qui sera posée pour la France et l'Europe. C'est cette question qu'il nous faudra adresser en développant les produits les plus performants.

Je ne pense pas que nous ayons une position arrogante envers la Belgique. J'ai été voir les journalistes et leur ai parlé. Si l'arrogance consiste à dire qu'un appel d'offres est écrit pour le F-35, c'est vrai. Je peux justifier de ce que je dis : c'est écrit, factuel. Les autorités belges ont feint d'ignorer qu'un sondage indiquait que 70 % de la population ne voulait pas d'un avion américain. Cela n'a pas été dit.

Sur l'affaire Agusta, je tiens à clarifier les choses : ce sont des avions F-16 et non des avions Dassault. Plus précisément, le scandale portait sur des hélicoptères et sur la modernisation des F-16 en Belgique.

Le Rafale, je vous rassure, vole dans l'orage, mais quand vous faites, en temps de paix, un exercice au fin fond de l'Indonésie, que les avions doivent revenir au porte-avions et que passe par là un ouragan, on dit aux avions : « Attendez que ça passe. » Les avions ont donc été détournés vers le terrain le plus proche, en Indonésie, pays ami, en attendant que le grain passe, car ça chahutait dur. Les avions sont des avions de combat qui sont faits pour aller d'un point à un autre à travers toutes sortes d'intempéries ou même à travers les gros cumulus de ces régions. Ils sont résistants à la foudre, à la grêle, mais ce n'est pas la peine de prendre des risques, car on sait que les conditions climatiques peuvent être très dures dans ces secteurs. Quand la météo est aussi défavorable, il est également plus difficile de retrouver le porte-avions et même d'apponter. Il se serait agi de FA-18, ç'aurait été pareil.

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