Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du lundi 3 juin 2019 à 15h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse :

Mme Dalloz m'a interrogé sur l'équité dans la répartition des moyens entre le privé et le public. Bien entendu, nous appliquons strictement la loi Debré ! Vous savez que le système français repose sur un équilibre, dit « 80-20 », et que nous travaillons à ce que cet équilibre soit préservé à tous égards, du côté des effectifs comme d'un point de vue financier. À cet égard, je voudrais dire que, depuis 2017, nous avons mis une forme de garrot sur les fuites vers le privé. Autrement dit, ce que vous avez affirmé sur l'augmentation des effectifs dans le privé vaut moins, ou même plus du tout, depuis la rentrée 2018. C'est un premier point. Je pense que, même si ce n'est pas un indicateur LOLF, c'est un indicateur intéressant qui nous renseigne sur l'attractivité du service public, qui n'est peut-être pas si mal défendu par les politiques actuelles.

Le fait qu'il y ait une augmentation pour le premier degré par rapport au second degré correspond à une politique complètement assumée. Il n'y a pas de doute sur ce point : c'est une priorité qui a une très grande rationalité et une très grande logique quand on analyse un peu la situation. Comme vous le savez, la France a un retard par rapport aux autres pays de l'OCDE en ce qui concerne l'école primaire, mais ce n'est pas le cas pour l'enseignement secondaire. Il est donc normal d'investir davantage. Ce que nous faisons pour l'école primaire, par ailleurs, nous le faisons aussi pour l'enseignement secondaire si les élèves arrivent en sixième en maîtrisant bien les savoirs fondamentaux.

Il est exact que le premier degré de l'enseignement privé bénéficie parfois moins – pas dans une proportion de 80-20 – des nouvelles mesures que nous adoptons. C'est particulièrement vrai pour l'éducation prioritaire. Le dédoublement, par exemple, ne concerne pas l'enseignement privé, ce qui se voit nécessairement sur le plan budgétaire. L'avantage d'être beaucoup critiqué est que les critiques se répondent. J'ai eu à affronter, à l'occasion de la loi pour une école de la confiance, l'accusation de vouloir avantager le privé au travers de l'instruction obligatoire à trois ans, qui était prônée par ailleurs par ceux qui adressent cette critique, mais vous me reprochez vous-même le fait que le privé ne soit pas assez avantagé. Il y a peut-être un débat à organiser... Dans ce domaine aussi, nous sommes sur une ligne que je qualifierais d'équilibre. Il faut également savoir que les AESH qui sont affectés dans le privé, d'une manière équitable, le sont dans le cadre du programme 230 Vie de l'élève. Cela a pu conduire à des trajectoires différenciées que vous avez constatées, mais la loi Debré est parfaitement respectée et l'équilibre 80-20 l'est aussi.

J'ai lu votre argumentaire, monsieur Juanico. Selon vous, le SNU serait redondant par rapport à ce que nous devrions faire dans le cadre de l'école. On peut prendre cette question sous l'angle budgétaire, mais aussi et d'abord sous l'angle éducatif. Je pense non seulement que le SNU ne sera pas redondant mais qu'il deviendra une sorte de point de repère majeur en amont et en aval. Le SNU va concerner des jeunes de 16 ans : cela enverra un signal vers l'amont, notamment le collège, sur les enjeux de l'engagement. Sur ce point, nous sommes d'accord : il faut encourager l'engagement des élèves dans des causes altruistes et d'intérêt général, l'exemple typique étant celui de l'environnement, au sujet duquel je ferai d'ailleurs des annonces très prochainement, à la suite des concertations qui ont eu lieu avec les lycéens au cours des deux derniers mois. On doit promouvoir l'engagement au stade du collège, je suis d'accord avec vous, tout en étant attentif à toutes les formes d'engagement – le SNU mais également le service civique. J'ai en tête les critiques qui ont accompagné la naissance de ce dernier, comme d'autres naissances. Or, aujourd'hui, on entend surtout défendre le service civique et je me réjouis que vous le fassiez. Je ne doute pas que l'on défendra le SNU dans quelques années au cas où il y aurait des menaces budgétaires pesant sur lui. C'est simplement une question de chronologie et de patience...

Nous servons la même cause dans les deux cas, c'est-à-dire l'esprit républicain : il s'agit de susciter un sens de l'engagement chez nos élèves. Là où nous allons nous retrouver, monsieur le député, c'est sur la nécessité de le faire. Faut-il, pour cela, appliquer le parcours « citoyen » tel qu'il a été conçu dans le cadre de la circulaire de 2016 ? Une expertise menée par la DGESCO conduit à considérer que le parcours « citoyen » est un peu lourd. On peut souvent avoir de bonnes idées, avec de bonnes intentions, mais il existe un risque d'accumulation : il y a déjà le livret scolaire qui est complexe. Avoir un livret « citoyen » peut être intéressant – ma réponse ne constitue donc pas une fin de non-recevoir – mais il faut tout mettre à plat. Nous parlons beaucoup de parcours sport et santé avec les ministres compétents. Ce sont de bonnes idées, mais on doit faire attention, comme avec les cartables, à ne pas tout alourdir à l'excès. Je vous rejoins complètement sur le fond, c'est-à-dire sur la nécessité d'avoir un parcours cohérent pour l'élève en ce qui concerne l'engagement civique. On doit pouvoir le valoriser dans le cadre du brevet. Nous allons d'ailleurs mener des discussions en 2019 et 2020 dans la perspective d'une évolution du brevet en juin 2021 : on pourra prendre en compte les enjeux civiques et on retrouvera certainement des idées qui figurent dans le parcours « citoyen », mais d'une manière permettant de ne pas trop alourdir le système.

Je passe à l'intervention de Mme Rubin, qui a critiqué une logique d'évaluation perpétuelle et a émis un doute sur sa pertinence pour juger la maîtrise des savoirs. C'est évidemment un point très important et très intéressant. Je lis souvent des critiques de ce type. Certaines d'entre elles, mais pas nécessairement la vôtre, sont vraiment très caricaturales : on voit dans l'évaluation une espèce de discours managérial traduisant une volonté de gérer le système scolaire selon une vision comptable ou chiffrée. Ce ne sont pas des gros mots, mais il ne s'agit évidemment pas de notre idée. Notre système scolaire n'est pas guetté par le risque d'une évaluation perpétuelle mais plutôt par celui d'avoir beaucoup de trous dans la raquette, dont les premières victimes sont les élèves les plus défavorisés.

C'est le sens d'une des mesures prévues par la loi pour une école de la confiance : grâce au conseil de l'évaluation, chaque école, chaque collège et chaque lycée pourront bénéficier d'une évaluation, à commencer par une autoévaluation. C'est un outil de progrès social : si nous n'agissons pas ainsi, il restera des trous dans la raquette et ce sont toujours les plus défavorisés qui pâtissent, je l'ai dit. Je crois donc qu'il faut être attentif au discours que l'on tient sur cette question. Toute évaluation n'est pas bonne en soi, bien sûr, mais il est certain que l'absence d'évaluation est mauvaise en elle-même. Ce que nous avons développé ces dernières années s'est beaucoup concentré sur le CP et le CE1, mais il y a aussi des évaluations au début de la sixième et de la seconde. Elles sont toutes faites pour venir en aide à l'élève, d'abord et avant tout. C'est leur première utilité. Mais cela nous permet aussi d'avoir des données qui sont beaucoup plus fiables.

J'en profite pour répondre dès maintenant à une question de M. de Courson, qui a évoqué l'évaluation à la fin du CE2. Il s'agit déjà d'une évaluation par échantillons, dont la fiabilité est moins grande, je le reconnais, que celle des évaluations réalisées au CP et au CE1. Outre que ces évaluations ont été conçues avec le Conseil scientifique de l'éducation nationale, elles donnent une vision à 360 degrés des compétences attendues pour les savoirs fondamentaux. C'est un progrès absolument considérable grâce au levier que cela représente pour chacun des élèves. Nous ne sommes qu'au tout début du processus, qui existe depuis un an. Il y a eu des tirs multiples, de différentes origines, y compris votre mouvement, mais je maintiens que c'est un facteur de progrès fondamental sur le plan pédagogique mais aussi social. Si vous me permettez de reprendre cette expression : l'histoire jugera. L'évaluation est une des clefs du progrès pédagogique et social, mais elle est également utile dans le cadre des travaux menés ici. Cela me permettra de me présenter en étant plus à l'aise devant vous au cours des prochaines années lorsque vous me poserez à nouveau des questions sur l'annualité des indicateurs – elle existe pour le CE1 – et leur fiabilité.

Vous avez fait preuve d'un pessimisme doublé de soupçon – le soupçon étant au service du pessimisme, à moins que ce ne soit l'inverse –, que je ne partage pas.

Pour ma part, je ne suis pas pessimiste. Il est vrai que nous avons des objectifs ambitieux d'amélioration des objectifs en REP et en REP+, et ce n'est pas en jouant sur les indicateurs que nous les atteindrons – puisque je crois que c'est ce que sous-entendait l'une des questions. Il est hors de question de changer de méthode. En revanche, il est exact que la mesure volontariste de dédoublement des classes de CP et de CE1 doit nous permettre d'atteindre notre objectif de réduction des inégalités entre les REP et les REP+, d'une part, et le reste du système scolaire, d'autre part.

Même si les premiers indicateurs sont très encourageants, nous avons reçu un certain nombre de critiques. Je dois dire que j'examine toujours les critiques qui nous sont faites avec attention, car elles peuvent être très utiles lorsqu'elles sont constructives. Mais certaines critiques – et je ne parle pas des vôtres – me stupéfient par l'espèce de joie mauvaise qui les anime. On a l'impression que certaines personnes ont envie de nous voir échouer, pour avoir le plaisir de critiquer le Gouvernement. Pour ma part, je considère que nous devrions oeuvrer tous ensemble à la réussite de ces politiques publiques.

Et c'est la même chose sur bien des sujets : j'ai vu des gens essayer de démontrer qu'avec la réforme du lycée, les élèves de seconde n'auraient pas vraiment le choix et que cette réforme aboutirait en réalité à la reconduction des anciennes séries. Nous avons fait des enquêtes très fiables qui montrent que cela n'est pas vrai. L'espèce de joie mauvaise de ceux qui ont envie que cela ne marche pas me stupéfie. Elle en dit long sur l'état de défiance de notre société. Je me battrai jusqu'au bout pour qu'il en soit autrement. La critique, qu'elle vienne des milieux politiques, syndicaux ou médiatiques, est une chose normale. Mais il serait souhaitable qu'elle serve, comme c'est le cas dans d'autres pays, à faire avancer les choses, et pas seulement à dire que le Gouvernement fait fausse route, surtout lorsqu'il fait des choses que l'on aurait bien aimé faire soi-même.

Les taux d'encadrement en REP sont bons et je vous remercie de l'avoir souligné, madame la députée. Vous soulignez néanmoins une diminution de l'ancienneté des professeurs et vous avez raison de vous intéresser à ce facteur, car il est juste de dire que la pérennité des équipes et l'ancienneté des professeurs sont des facteurs de réussite en REP et en REP+. Le rajeunissement des équipes est, en réalité, un effet de notre politique volontariste : pour réaliser le dédoublement des classes, nous avons fait venir un grand nombre de professeurs en REP et en REP+, ce qui a fait baisser la moyenne d'âge. Nous travaillons par ailleurs, ainsi que vous le demandez, à renforcer le taux d'encadrement et à améliorer l'attractivité des postes en REP+. L'une des mesures-clefs pour améliorer cette attractivité est la prime de 1 000 euros, qui sera portée à 2 000 euros à la rentrée prochaine. Cette prime permet non seulement d'attirer, mais de fidéliser les professeurs.

Madame Faucillon, vous m'interrogez également sur l'Observatoire du pouvoir d'achat des professeurs, dont j'ai effectivement annoncé la création. Je vous remercie de votre question, car cela me donne l'occasion de vous dire que la direction générale des ressources humaines a achevé le travail technique préparatoire. J'organiserai, avant la fin de l'année scolaire, une première réunion avec les représentants des organisations syndicales pour leur présenter le socle d'organisation de cet observatoire. Je vous confirme par ailleurs que nous travaillons activement à améliorer la rémunération des professeurs, même si j'ai été surpris d'entendre le contraire ces derniers jours. Il s'agit évidemment d'un travail de longue haleine – et la commission des finances en sait quelque chose – puisque cela nécessite une planification, une vision pluriannuelle et des interactions avec nos collègues et amis de Bercy.

Tout cela prend du temps, il faut bien l'admettre, mais ce qu'il ne faut pas sous-estimer, c'est, premièrement, que nous avons reconnu l'importance de ce sujet et, deuxièmement, que le Président de la République a lui-même fait des annonces en ce sens lors de sa conférence de presse, tout en expliquant qu'il faudrait articuler cette réforme à celle des retraites, de façon à trouver une solution juste et équitable. Je comprends qu'il puisse y avoir de l'impatience, mais je ne comprends pas, en revanche, que l'on fasse comme si tout cela n'avait pas eu lieu : à mes yeux, la conférence de presse du Président de la République est un premier pas essentiel.

Du reste, nous n'avons pas attendu cela pour procéder à de premières revalorisations, en honorant parfois l'engagement d'anciens gouvernements. Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur le rythme de mise en oeuvre de nos annonces, notamment sur les augmentations en début, en milieu et en fin de carrière. Je confirme les chiffres que vous avez donnés : en 2021-2022, un professeur des écoles débutant gagnera, chaque année, 1 000 euros de plus qu'au début du quinquennat. Cette augmentation sera évidemment plus importante pour un professeur en fin de carrière : elle dépassera 2 000 euros. Ceci n'est pas exclusif d'autres augmentations et, comme l'un d'entre vous l'a rappelé, nous avons déjà contribué à augmenter le pouvoir d'achat des professeurs par la politique des heures supplémentaires. Vous le voyez, nous combinons une politique d'augmentation universelle, par les mesures de carrière, et des mesures plus ponctuelles, comme les heures supplémentaires, ou spécifiques, comme les primes en REP+.

Monsieur El Guerrab, vous m'avez demandé pourquoi les recommandations de la Cour des comptes n'étaient pas mises en oeuvre. Il se trouve que nous avons reçu récemment – et c'est suffisamment rare pour être noté – un satisfecit de la Cour des comptes au sujet de notre politique de l'éducation prioritaire. Elle a souligné que nos décisions en la matière étaient conformes à ses préconisations.

Vous avez évoqué six recommandations de la Cour des comptes et je ne peux pas vous répondre sur tous les points. Je vous propose donc de vous adresser certaines réponses par écrit. Vous soulevez le problème du refus de détachement des personnels du ministère de l'éducation nationale à l'AEFE. C'est un problème que nous connaissons bien : il est dû au fait que deux objectifs, l'un et l'autre tout à fait valables, peuvent parfois entrer en contradiction : celui de détacher des professeurs pour enseigner dans des lycées français à l'étranger, d'une part ; celui de disposer, en France, des moyens humains nécessaires à chaque rentrée scolaire, d'autre part. Si un rectorat envoie un professeur de mathématiques au bout du monde et qu'il lui manque un professeur de mathématiques à la rentrée, il y a un problème. Nous essayons d'aborder cette question de la manière la plus juste possible, mais il y a parfois des arbitrages à faire.

Cela étant dit, nous essayons de ne pas diminuer le nombre de détachements du ministère de l'éducation nationale. Surtout, nous avons une stratégie à moyen et à long terme, notamment avec la réforme de la formation des professeurs : nous voulons faire en sorte que les jeunes professeurs puissent aller davantage à l'étranger, mais pour des séjours plus courts. Au début du mois de juillet, le Président de la République s'exprimera lui-même sur les enjeux de l'évolution de l'AEFE et de l'enseignement français à l'étranger. Des décisions seront prises en matière de gestion des ressources humaines pour remédier à ce problème structurel.

Madame Dubois, vous m'interrogez sur le pourcentage de professeurs spécialisés en ULIS. La situation est comparable à celle que nous connaissons dans le réseau d'éducation prioritaire : nous avons multiplié les ULIS, mais le rythme de formation des professeurs spécialisés n'a pas suivi. Nous devons à présent – et nous avons prévu de le faire pour les années 2019 et 2020 – renforcer la formation des professeurs spécialisés en ULIS. Vous avez également évoqué la fin des recrutements dans l'académie de Créteil : je n'ai pas eu connaissance de ce problème et vais m'en informer. Nous avons, normalement, une politique de recrutement tout au long de l'année, qui doit nous permettre de répondre aux besoins.

Enfin, s'agissant des questions de Mme Charvier sur l'attractivité du métier, j'ai en partie répondu en parlant de la rémunération et du rythme du rattrapage, ainsi que de la gestion des ressources humaines de proximité. Nous avons donc bien une stratégie visant à renforcer l'attractivité du métier, qui passe en effet par les trois facteurs que vous avez rappelés : le métier lui-même, la gestion des ressources humaines de proximité et la rémunération.

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