Intervention de Baptiste Cohen

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 14h35
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Baptiste Cohen, directeur projet pôle protection de l'enfance de la fondation Apprentis d'Auteuil :

Ce diagnostic sur le dysfonctionnement et le manque de lisibilité est-il partagé ? Si c'est le cas, qu'on le dise, qu'on l'écrive et qu'on analyse les propositions. Mais on ne peut pas continuer de dire que c'est un faux problème et qu'on verra plus tard.

Pour les MNA, comme pour d'autres sujets, on constate des tensions interinstitutionnelles, y compris dans la mise en oeuvre de la protection de l'enfance. Dans les départements, la crainte, voire quelquefois la frilosité, n'est pas complètement illégitime du point de vue des individus : devant les problématiques de mise en danger, arrive un moment où les départements se sentent aussi mis en danger ou pourraient se sentir mis en danger par des situations dont ils n'auraient pas mesuré l'importance. Aller devant le juge dédouane tout le monde. La justice prend une décision – bonne ou mauvaise –, même si elle n'est pas toujours mise en oeuvre… Faut-il vraiment mettre les moyens afin que ces décisions soient mises en oeuvre ? Le nombre de mesures judiciaires est-il considéré comme pertinent ? L'État, qui veut réguler la protection de l'enfance, doit indiquer s'il considère qu'il s'agit d'un problème ou si sa temporalité est différente – un jour, ce sera mis en oeuvre.

J'ai quitté la métropole il y a six ans pour travailler dans les départements français de l'océan Indien et sur des territoires de coopération. À l'époque, mille mesures de placement n'étaient pas appliquées en France. Aujourd'hui, les chiffres sont sans commune mesure ! Les données mises en avant par les magistrats sur les différents territoires semblent sérieuses et le nombre de mesures non mises en oeuvre est donc un vrai problème. Il faut indiquer si l'on considère que ces dysfonctionnements sont sérieux, car ils ont des conséquences à l'échelle individuelle.

On ne sait pas le faire en France mais d'autres pays développent l'expérimentation sociale. Ainsi, on pourrait imaginer qu'une région – pour pas rester au niveau départemental, pour des raisons politiques – se dise : en trois ou cinq ans, nous allons drastiquement faire baisser le nombre de mesures prises par les juges et nous fixer un véritable objectif de politique sociale, dans le cadre d'une réflexion collective – avec les familles et les jeunes. Il faut faire quelque chose de sérieux, à la mesure de la gravité sociale et éducative du sujet. Il faut tester autre chose, mais ce n'est pas dans l'air du temps. Pour changer les choses, on attend d'avoir une idée miraculeuse, consensuelle et financée ! On risque d'attendre longtemps…

Enfin, il faut être prospectif. Si on constate un vrai problème, avec de vraies conséquences et qu'on ne sait pas comment faire, il faut se projeter à long terme . Certes, au quotidien, nous contribuons à l'effort de la nation et cette préoccupation est légitime, mais nous devons aussi nous interroger : quels sont les problèmes que la société va devoir prendre en compte dans les cinq à dix prochaines années ? Malheureusement, nous ne savons même pas combien d'enfants ont été financièrement pris en charge au cours des cinq dernières années. Dans ce contexte, comment se projeter? Nous devons nous doter de moyens d'études sérieux. Faute de quoi, année après année, problème après problème, les tensions vont persister entre les acteurs – État, départements, juges.

Dans l'amendement « jeune majeur », une durée minimale de prise en charge est prévue pour éviter les placements d'aubaine de dernière minute décidés par des magistrats. C'est peut-être une bonne idée, mais il faudrait en discuter pour savoir si la seule manière de coordonner les efforts est de réaliser des tours de force. Il faut basculer vers une politique de concertation et de dialogue. Mais, pour cela, il faut accepter de travailler en marge des préoccupations quotidiennes, douloureuses, qui sont en permanence sous nos yeux, et se donner les moyens d'une lecture probablement plus expérimentale et prospective.

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