Intervention de Frédéric Reiss

Séance en hémicycle du mercredi 3 juillet 2019 à 15h00
Haine sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Reiss :

Ce texte hors normes interroge en effet notre vivre ensemble : il doit s'inscrire dans les valeurs de la République ainsi que dans le cadre juridique en vigueur ; il doit définir le champ d'application des mesures envisagées et des injonctions judiciaires.

Quelle stratégie faut-il adopter pour lutter contre les contenus haineux sur la toile ? Le patron du réseau social Facebook appelle désormais les États à intervenir pour réguler internet, ce qui n'est pas sans nous interroger. Dans un récent dossier de L'Express, on pouvait lire : « La créature Facebook semble avoir échappé au contrôle de ses géniteurs et suscite l'inquiétude des autorités et des gouvernements du monde entier. Accusé d'amplifier la propagation de discours malveillants et de faciliter l'apologie du terrorisme et la manipulation de l'opinion publique, le réseau social ne cesse de se défendre. » C'est ainsi qu'il a cherché la « collaboration avec le gouvernement français. »

La prudence est donc de mise, d'autant que Roger McNamee, ex-conseiller de Mark Zuckerberg, a été très critique vis-à-vis de son ancien patron. Évoquant la lutte contre les contenus haineux, il a estimé que ce sujet est celui de Facebook, et non celui du gouvernement français. Il a affirmé que « la société Facebook doit prendre ses responsabilités et régler les problèmes auxquels elle a donné naissance ».

J'ai déposé un amendement d'appel visant à reconnaître que la lutte contre les contenus haineux sur internet passe par la mise en place de projets concertés au niveau européen. Ainsi, s'agissant du RGPD – règlement général sur la protection des données – , les ministres européens ont souligné à Elseneur, en 2018, l'importance d'une adhésion rapide par le plus grand nombre de parties à la Convention 108 + – pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel – du Conseil de l'Europe, afin de faciliter la création d'un régime juridique global de protection des données. Dans la lutte contre les contenus haineux sur internet, il faudrait s'en inspirer.

Dans sa résolution du 15 juin 2017 sur les plateformes en ligne et le marché unique numérique, le Parlement européen, demandait déjà aux plateformes une attitude proactive afin de « renforcer leurs mesures de lutte contre les contenus en ligne illégaux et dangereux ». Cela fut confirmé par le Conseil européen des 22 et 23 juin 2017, préoccupé par les attaques terroristes dans l'Union européenne et la diffusion de la propagande terroriste en ligne.

Depuis 2017, la Suède est allée plus loin : une association de juristes suédois traque les propos incitant à la haine, répréhensibles par la loi suédoise, et dénoncent leurs auteurs à la police. Certains ont déjà été reconnus coupables et ont dû payer des amendes de plusieurs milliers de couronnes – de quoi dissuader ceux qui répandent gratuitement et anonymement leur haine sur les réseaux sociaux.

Pour mieux coordonner des initiatives prises en ordre dispersé, je préconise, dans un rapport que je suis en train de rédiger au Conseil de l'Europe, la création d'un ombudsman, soit une sorte de médiateur, une institution qui aurait les compétences et l'autorité nécessaires à l'évaluation des contenus licites ou illicites qui circulent sur la toile. Cette institution qui, tout en étant indépendante, s'inscrirait dans le cadre juridique des différents pays, pourrait être consultée par les plateformes en cas de doute, et rendre une recommandation rapide de retrait des contenus incriminés. Cela pourrait devenir un système gagnant-gagnant pour les États et les plateformes ; ces dernières en auraient la charge financière, mais éviteraient, en contrepartie, de lourdes sanctions. Ce serait une réponse au rôle un peu ambigu dévolu au CSA dans cette proposition de loi.

La question de la régulation et des sanctions liées au déréférencement de contenus haineux est évidemment centrale. Malgré une politique affichée d'autorégulation, de détection automatique par des algorithmes sophistiqués, les grands acteurs du net sont loin d'être exemplaires. La dernière évaluation du code de bonne conduite européen contre les discours de haine illégaux en ligne révèle que Twitter a examiné les demandes de retrait de contenus en moins de vingt-quatre heures dans 88,3 % des cas. Du côté de Facebook, on revendique le fait d'avoir supprimé 99,5 % des contenus de propagande terroriste avant même tout signalement.

Toutefois, pour les contenus incitant à la haine, l'affaire s'annonce beaucoup plus délicate. C'est pourquoi il faut faire porter aux géants du net la responsabilité de supprimer tout contenu illicite signalé, dans un délai de vingt-quatre heures, et selon les modalités définies par l'article 1er de cette proposition de loi. Le rôle du CSA, défini au chapitre III, est évidemment primordial. L'article 4 définit sa mission et la procédure qu'il devra suivre avant le prononcé d'une sanction. Aujourd'hui, nous n'avons pas idée du nombre de situations qu'il aura à examiner ni de la fréquence des mises en demeure qu'il devra prononcer. Ce qui est sûr, c'est qu'il aura besoin de moyens humains et financiers pour faire face à ces nouvelles missions.

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