Intervention de Fiona Lazaar

Séance en hémicycle du mercredi 3 juillet 2019 à 15h00
Haine sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFiona Lazaar :

Laissez-moi vous parler aujourd'hui d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Un temps où l'on se demandait encore à quoi pouvait bien servir la touche « dièse » du téléphone. Un temps où l'on connaissait encore le bruit si singulier, rappelez-vous, du modem 56k lorsque l'on se connectait sur le web avec son abonnement Wanadoo, AOL ou Club Internet.

J'ai 33 ans et j'ai connu cette époque. Nous faisions des recherches sur AltaVista ou Lycos. Nous consultions notre boîte de messagerie Caramail à partir d'un ordinateur qui pouvait encore ressembler au Minitel. En ce temps-là, les téléphones portables ressemblaient à des calculettes de poche et l'iPhone n'existait pas. Les plus sociaux des réseaux s'appelaient Myspace et Skyblog.

Tout cela semble remonter à la préhistoire. C'était pourtant en 2004. En France, un Français sur trois seulement avait alors accès à internet à domicile. C'est cette année-là, en cette période de préhistoire du « réseau des réseaux » que l'Assemblée a voté la loi sur la confiance dans l'économie numérique, qui encadre, encore aujourd'hui, la responsabilité des hébergeurs de contenu sur internet.

Or, je crois que nous en sommes tous d'accord, internet a bien changé depuis cette fameuse année 2004. Facebook, alors, n'existait pas, non plus que les hashtags sur Twitter et les vidéos sur YouTube. Quinze ans plus tard, cette loi, qui se contente d'imposer aux hébergeurs d'agir « promptement » pour retirer les contenus manifestement illicites qui leur sont signalés, ne correspond plus à ses objectifs. Entre 2004 et aujourd'hui, il y a un monde.

Le web ayant changé, la loi, elle aussi, doit changer : pas plus qu'hier, nous ne pouvons accepter sur internet ce que nous n'acceptons pas dans la rue. Sur les réseaux, la violence est là, plus intense, plus générale, plus visible. Elle n'est plus l'apanage de quelques forums dédiés aux trolls. Chacun peut constater cette violence ou en être victime. On vient s'attaquer aux uns ou aux autres par raids en meute, très organisés. Derrière ces raids, il y a parfois des jeunes qui harcèlent un camarade. Nous avons permis, par la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, de sanctionner ces agissements. Mais il existe aussi des groupuscules politiques très organisés, qui sont à l'affût sur les réseaux et attaquent ceux qui pensent différemment d'eux, y compris les journalistes.

J'invite chacun à aller sur un réseau social : quelques minutes lui suffiront pour observer de multiples exemples de diffamation, d'atteinte à l'honneur et, pire encore, un flot continu d'insultes racistes, homophobes, antimusulmanes, antisémites ou sexistes. Comment pourrions-nous, face à ces comportements qui ont parfois des conséquences funestes, notamment chez les jeunes, rester immobiles ? Le monde avance, arrêtons de regarder passer les trains et prenons nos responsabilités.

De nombreux jeunes m'ont parlé de ce sujet. J'ai eu l'occasion, notamment lors d'un atelier de travail organisé, dans ma circonscription, avec une association de jeunes d'Argenteuil, de constater combien ceux-ci sont conscients du besoin de mettre de l'ordre dans ce qui ressemble de plus en plus au Far West. Je comprends et respecte l'attachement viscéral de certains de nos concitoyens à ce qu'est internet dans ses fondements et sa philosophie : un espace de liberté, un réseau décentralisé et ouvert. Cela, nul ne songe à le remettre en cause : nous souhaitons simplement que ce qui, en République, est interdit dans la rue le soit aussi sur les réseaux.

L'horizontalité d'internet, qui est une de ses forces, appelle une responsabilité partagée, dont les plateformes doivent prendre leur part. Demain, nous leur imposerons par le présent texte de retirer les contenus haineux vingt-quatre heures maximum après en avoir reçu le signalement. Ces contenus seront plus faciles à signaler grâce à un bouton unique, facilement reconnaissable par les utilisateurs. Les plateformes qui ne joueront pas le jeu s'exposeront à des sanctions financières extrêmement dissuasives, pouvant atteindre 4 % de leur chiffre d'affaires mondial.

Nous ne nous trompons pas de coupable : les auteurs de ces contenus seront sévèrement sanctionnés et, au besoin, leur anonymat pourra être levé. C'est un point que je crois important car, aujourd'hui, de nombreux faux comptes alimentent les haines et jettent de l'huile sur le feu, non sans arrière-pensées politiques parfois. Il faut sonner la fin de la récréation.

Voilà, mes chers collègues, pourquoi je défends avec fierté l'initiative de notre collègue Laetitia Avia, dont je salue la détermination et l'ouverture. Nous avons enrichi le texte en commission, et les groupes politiques d'opposition ont pu y contribuer à travers plusieurs amendements issus de leurs rangs. Il est temps, aujourd'hui, de faire table rase des clivages pour faire résonner à l'unisson dans cet hémicycle, et pas seulement par des discours, notre engagement contre la haine, contre toutes les haines, partout.

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