Intervention de Frédérique Dumas

Séance en hémicycle du mercredi 3 juillet 2019 à 15h00
Haine sur internet — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

En matière de haine sur internet, il faut répéter combien il est difficile de qualifier les infractions : 80 à 90 % des contenus concernés sont manifestement illicites, mais tout le problème est la zone grise. C'est la difficulté que pose l'article 1er.

Je l'ai dit s'agissant du champ d'application de l'incitation à la haine raciale qui a été modifié quatre fois en quinze ans. Je souhaite donner d'autres exemples afin que la situation soit enfin comprise et que l'on cesse de répéter en boucle que la proposition de loi résout le problème.

Le problème est le même s'agissant de la notion d'injure. On s'imagine que l'on a affaire à une catégorie juridique qui tombe sous le sens, et qu'un modérateur privé sera à même de gérer les situations en vingt-quatre heures, mais les frontières de l'injure sont délicates et les zones grises sont larges. On peut citer le cas retentissant des caricatures de Mahomet : il y a douze ans, le tribunal correctionnel de Paris avait estimé en première instance que la qualification d'injure envers les musulmans pouvait être retenue s'agissant du dessin montrant Mahomet avec une bombe dans son turban, même si Charlie Hebdo était par ailleurs relaxé au titre de sa bonne foi. Cette analyse sera ensuite infirmée par la cour d'appel.

Plus récemment, en 2018, il a fallu aller jusqu'en cassation pour trancher la qualification à donner à l'expression « Fuck Church », peinte sur la poitrine dénudée de plusieurs Femen. L'injure envers les catholiques n'a finalement pas été retenue.

Depuis plus de deux cents ans, le modèle de régulation de la liberté d'expression passe par la constatation d'un abus et par sa sanction par le juge judiciaire, gardien des libertés fondamentales. Ce modèle est issu de la Déclaration des droits de l'homme de 1789. Il a par la suite été repris dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dans laquelle le législateur a inséré, en 1972, des dispositions visant à lutter contre le racisme et l'antisémitisme, puis, en 2004, des dispositions visant à lutter contre le sexisme et l'homophobie. Vous ne pouvez pas vous contenter aujourd'hui d'invoquer la nécessité de réagir rapidement ou la difficulté de qualification par le juge et les autorités administratives pour charger les plateformes de faire ce travail en si peu de temps.

Certains ont dit que l'article 1er constituait le coeur du réacteur ; mais être au coeur du réacteur, ce serait plutôt s'attaquer aux racines du mal et à ce qui provoque la haine au lieu d'essayer d'endiguer un flot qui, à terme, ne peut pas l'être.

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