Intervention de Bruno le Maire

Séance en hémicycle du jeudi 4 juillet 2019 à 9h30
Taxe sur les services numériques — Présentation

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

On critique souvent la longueur des procédures parlementaires. Raison de plus pour nous réjouir quand nous sommes capables, tous ensemble, de décider vite sur des sujets d'intérêt général, comme la taxation des géants du numérique, objet du texte que nous examinons aujourd'hui.

Je salue le sens des responsabilités dont ont fait preuve les députés et les sénateurs sur ce texte.

Responsabilité, d'abord, pour nos finances publiques, puisqu'ils ont voté en faveur du décalage de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 250 millions d'euros. Rappelons-le : ce choix ne change rien à notre détermination à mener une politique de l'offre, ni au maintien de notre objectif – que je confirme – de parvenir, pour toutes les entreprises sans exception, à un taux d'impôt sur les sociétés de 25 % d'ici à la fin du quinquennat, en 2022.

Je confirme aux entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 250 millions d'euros que le taux de leur IS baissera bien dès 2020, pour se fixer à un niveau que je préciserai dans quelques jours. Pour les autres entreprises, le taux sera bien ramené de 31 % à 28 %, et le taux réduit de 15 % sera évidemment maintenu pour les plus petites entreprises. Par conséquent, tous nos engagements seront préservés, notamment, je le répète, celui de parvenir à un taux d'IS de 25 % pour toutes les entreprises françaises, d'ici à 2022. C'est une question de crédibilité. C'est aussi une question d'attractivité du territoire français. Celui-ci est devenu, je le rappelle, le plus attractif d'Europe pour les investissements étrangers.

Responsabilité, également, pour rétablir la justice fiscale face aux géants du numérique. Vous le savez, c'est un combat que je mène depuis deux ans, au niveau européen, au niveau du G7 et du G20, ainsi qu'au niveau de l'OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques. La semaine dernière, avec le Président de la République, nous avons encore franchi une nouvelle étape, puisque les chefs d'État du G20 ont accepté d'endosser les conclusions sur la fiscalité du numérique que leur avaient remises les ministres des finances.

La proposition que nous examinons aujourd'hui a suscité de nombreux débats : sur le périmètre de la taxe, sur son bornage dans le temps ou sur sa solidité juridique. Ces échanges utiles ont permis à la France d'améliorer sa proposition et d'être leader en matière de taxation du numérique, sur des bases solides, crédibles et convaincantes.

Je salue le travail des rapporteurs, qui ont su trouver une solution d'équilibre, de surcroît solide.

Doutant de la solidité juridique de notre dispositif national, les sénateurs ont longuement débattu sur ce point. Conformément à la volonté de la Haute Assemblée, nous remettrons un rapport sur la conformité de notre taxe avec le droit européen. Pour ma part, je n'ai jamais douté de la solidité juridique de notre dispositif, mais je pense que ce rapport peut être utile.

Je rappelle simplement qu'au niveau national, le Conseil d'État a validé le projet de loi. Au niveau européen, la taxe proposée est largement inspirée des travaux menés pendant deux ans par les spécialistes fiscaux de la Commission européenne. C'est un choix politique : la taxe nationale a le même périmètre, le même taux et des seuils comparables à ceux proposés dans la proposition de directive européenne. Nous avons seulement choisi, par souci de cohérence, de restreindre l'application de ces seuils au seul chiffre d'affaires numérique. Les seuils d'assujettissement seront donc de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires numérique au niveau mondial et de 25 millions d'euros de chiffre d'affaires numérique au niveau national.

Certains, je le sais, jugent ces garanties juridiques encore insuffisantes. Je vous en propose donc une nouvelle : je souhaite qu'une fois voté, le texte soit soumis et validé par le Conseil constitutionnel. Cela renforcera notre dispositif, cela renforcera notre taxe nationale sur les géants du numérique et cela renforcera notre position politique dans les instances du G7, du G20 et de l'OCDE pour mener ce combat sur la taxation des activités numériques.

Vous avez également apporté une solution d'équilibre concernant le bornage dans le temps. J'ai insisté, pendant tous les débats, sur la nécessité absolue de ne pas limiter à trois ans la validité de la taxe que nous créons. Cette décision aurait relevé d'un désarmement unilatéral : en annonçant à l'avance que la taxe n'aurait que trois ans d'existence, nous nous serions privés d'un levier de négociation indispensable dans nos discussions au sein du G7, du G20 ou de l'OCDE. Nos adversaires se seraient servi de cette faiblesse pour ralentir les négociations internationales et nous empêcher d'atteindre notre objectif : parvenir à un consensus d'ici à 2020, au sein de l'ODCE, sur la taxation des activités numériques.

Des inquiétudes demeurent, je le sais, quant à l'aspect temporaire du dispositif. Je le répète depuis des mois : notre taxe nationale est nécessaire pour donner le mouvement et inspirer les autres États.

Dès que nous aurons une solution équivalente dans le cadre de l'OCDE, nous retirerons notre taxe nationale. Nous remettrons un rapport annuel présentant l'état d'avancement des négociations internationales et les perspectives de suppression de la taxe nationale. Je rappelle que notre espoir est de parvenir à un accord au sein de l'OCDE d'ici à 2020, afin d'instaurer une taxation internationale en 2020.

Les prochaines semaines seront décisives pour atteindre ces objectifs. Nous avançons à bon rythme dans les négociations internationales. Au niveau de l'Union européenne, vingt-quatre États sur vingt-huit sont désormais convaincus. Certains ont d'ailleurs instauré, comme la France, une taxation nationale.

Les experts et les fiscalistes de l'OCDE travaillent sur la meilleure solution technique à mettre en place pour créer cette nouvelle fiscalité internationale. Cette solution n'a pas vocation à simplement nous permettre de taxer les services numériques : elle tend à bâtir la fiscalité du XXIe siècle, qui permettra de taxer toutes les activités relatives au numérique – non seulement les entreprises du numérique, qui créent de la valeur uniquement à partir des données, de leur revente ou de leur collecte, mais aussi toutes les entreprises qui utilisent le numérique pour la commercialisation de leurs produits et font de celui-ci un instrument de création de valeur. La clé, pour le XXIe siècle, est de savoir comment taxer de manière juste et efficace cette activité numérique, créatrice de valeur. C'est dans cet objectif que l'OCDE doit intervenir d'ici à quelques mois.

Au G20, le Président de la République et moi-même avons continué à convaincre nos partenaires et arrêté un programme de travail pour les mois à venir.

Les prochaines semaines seront décisives. À la fin du mois de juillet, lors du G7 des ministres des finances, à Chantilly, nous avancerons sur une meilleure définition des critères d'une nouvelle taxation internationale, ainsi que sur la question de la taxation minimale des grandes multinationales, afin de lutter contre l'évasion fiscale. Nous présenterons ces solutions, définies par les ministres des finances, lors du sommet des chefs d'État du G7, à Biarritz au mois d'août. Ainsi, nous sommes sur le point de convaincre les pays les plus puissants du monde – qu'ils soient membres du G7, du G20 ou de l'Union européenne – de la nécessité d'avancer dans cette direction.

Avant de conclure cette intervention, j'aimerais rappeler l'enjeu de la taxation du numérique. Il est double.

Il s'agit d'abord de construire la fiscalité du XXIe siècle. Nous ne pouvons pas, compte tenu de la valeur créée par les données personnelles et l'économie numérique, conserver une fiscalité assise uniquement sur la réalisation de produits manufacturés. C'est incohérent, inefficace et profondément injuste. Nous voulons construire la fiscalité du XXIe siècle, qui doit être plus juste et tenir compte de la création considérable de valeur résultant de l'utilisation et de la commercialisation des données personnelles.

La fiscalité du XXIe siècle doit aussi être plus efficace. Je refuse fermement toute évasion fiscale. En tant que ministre de l'économie et des finances, je ne peux pas accepter que de grandes multinationales réalisent des profits en France et les délocalisent dans des paradis fiscaux pour échapper à l'impôt.

La solution, c'est la taxation minimale, afin que ces profits ne soient pas taxés à 2 %, 4 % ou 6 %, alors même qu'ils devraient l'être au taux de l'impôt sur les sociétés en vigueur en France. Nous allons y travailler. J'ai bon espoir que, d'ici à la mi-juillet, un accord intervienne dans le cadre du G7 sur les principes qui doivent la régir, notamment sur l'instauration d'une fourchette de taux d'imposition. Puis, d'ici à quelques mois, nous définirons ces taux, afin d'introduire dès 2020 une taxation minimale des grandes multinationales.

Je rappelle que nos partenaires américains en ont d'ores et déjà introduit une, à un taux d'un peu plus de 13 %. Ce que les États-Unis sont capables de faire, les autres pays du G7 et l'Union européenne devraient également être capables de le faire, par souci d'efficacité fiscale et pour lutter contre l'évasion fiscale, qui révolte, à juste titre, nos compatriotes.

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