Intervention de Patricia Lemoine

Séance en hémicycle du jeudi 4 juillet 2019 à 9h30
Taxe sur les services numériques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatricia Lemoine :

Après trois mois de discussion à l'Assemblée nationale et au Sénat, les députés et sénateurs, réunis en CMP le 26 juin dernier, ont trouvé un compromis sur le projet de loi portant création d'une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés.

L'objectif général de ce texte est évidemment louable. Au regard des bénéfices vertigineux engrangés par les géants du numérique, la redistribution des richesses prend un sens particulièrement concret. La volonté du Gouvernement d'intégrer plus fortement les entreprises géantes du numérique, plus communément nommées GAFA, dans le champ de la contribution fiscale, relève du bon sens autant que du besoin d'apporter une réponse aux attentes de nos concitoyens en matière de justice fiscale.

Cependant, les nombreux débats de ces trois derniers mois, que ce soit à l'Assemblée nationale ou au Sénat, ont mis en exergue certaines difficultés techniques et juridiques.

Le texte vise à instaurer une taxe de 3 % sur le chiffre d'affaires réalisé par ces entreprises. Seules seraient concernées celles dont le chiffre d'affaires est supérieur à 750 millions d'euros au titre des services fournis au niveau mondial et à 25 millions d'euros au titre des services fournis en France. Notre groupe s'était tout d'abord interrogé sur l'efficacité concrète du dispositif, notamment au regard du nombre d'entreprises concernées – une trentaine de groupes – et des recettes escomptées – environ 400 millions d'euros, montant qui reste incertain malgré les apports de la CMP.

À cet égard, le mécanisme de recouvrement de la taxe demeurait imprécis, car le texte initial ne déterminait pas les modalités relatives à la localisation des utilisateurs en France. Le Sénat avait d'ailleurs renvoyé à un décret en Conseil d'État la fixation de ces modalités. Sur ce point, je tiens à saluer la solution apportée par la CMP qui, face à la rigidité du procédé, a préféré insérer à l'alinéa 27 de l'article 1er une définition précise de l'utilisateur d'une interface numérique localisée en France. Néanmoins, le recouvrement de la taxe risque de rester complexe, car l'accès aux données pertinentes reposera principalement sur un système de déclaration par les entreprises ciblées, sur lequel il est permis de s'interroger.

S'agissant du caractère provisoire de la taxe, un long débat s'était installé sur la nécessité de tenir compte ou non des travaux de l'OCDE, qui pourraient aboutir à une taxe similaire à l'échelle internationale. À ce sujet, notre groupe avait défendu l'idée d'une entrée en vigueur de la taxe à partir de 2021 si les travaux de l'OCDE n'aboutissaient pas d'ici là. De son côté, le Sénat préférait que la taxe ne s'applique qu'entre 2019 et 2021.

La CMP a supprimé la limitation à trois ans de l'application de la taxe et a prévu expressément que le rapport remis chaque année par le Gouvernement sur l'état d'avancement des négociations internationales indique la date à laquelle la solution internationale coordonnée se substituera à la taxe nationale. Il s'agit d'une belle avancée. Un cadre juridique plus contraignant aurait peut-être été préférable, mais nous ne doutons pas que le Gouvernement abrogera effectivement cette taxe en cas d'adoption du dispositif envisagé par l'OCDE.

Je tiens également à saluer certaines avancées apportées par le Sénat et conservées par la CMP. Je pense notamment à la question de la conformité juridique au droit européen. Le dispositif devrait faire l'objet d'une notification préalable à la Commission européenne. Cependant, nous saluons l'obligation faite au Gouvernement de remettre au Parlement, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la loi, un rapport indiquant les raisons pour lesquelles la taxe n'aurait pas été notifiée à la Commission européenne.

En revanche, la suppression du mécanisme de compensation autorisant les redevables à imputer le montant de la TSN sur celui de la C3S est regrettable, car elle peut conduire à une forme inacceptable de double imposition.

Par ailleurs, je regrette la modification de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés. Je crains qu'elle n'alimente un sentiment d'insécurité chez les entrepreneurs autant que chez les investisseurs étrangers, alors que nous avons plus que jamais besoin de stabilité pour restaurer un climat de confiance.

En conclusion, si les recettes de la taxe et la sécurité juridique du dispositif demeurent incertaines, l'objectif recherché d'une meilleure justice fiscale est louable. Les apports du compromis trouvé en CMP sont appréciables, mais restent insuffisants. Dès lors, les avis sont partagés au sein du groupe UDI et indépendants : la majorité de ses membres s'abstiendront ; à titre personnel, je soutiendrai le projet de loi, car il est grand temps d'agir.

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