Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du jeudi 4 juillet 2019 à 9h30
Taxe sur les services numériques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

L'histoire de ce projet de loi est celle d'un faux-semblant, et je ne partage pas l'optimisme affiché par la plupart des orateurs précédents. Face au problème scandaleux et grandissant de l'optimisation fiscale pratiquée par des multinationales de plus en plus puissantes, les ambitions du projet de loi n'ont cessé de se réduire, si bien que l'on élude en définitive le coeur du problème.

Plutôt que de faire en sorte que tout le monde respecte enfin les mêmes règles du jeu, nous nous retrouvons avec une taxe qui ne s'appliquera qu'à des activités très spécifiques du numérique, comme la publicité ciblée en ligne. En outre, cette taxe ne sera due qu'à partir d'un niveau extrêmement élevé de chiffre d'affaires, ce seuil permettant à beaucoup de très grosses entreprises de passer entre les mailles du filet. Comme si, à moins de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires mondial, nous avions affaire à de petites entreprises qu'il faudrait épargner !

Non, ce sont bien toutes les multinationales qui auraient dû être concernées, puisque toutes peuvent recourir aux techniques de transfert de bénéfices et éviter ainsi de payer une grande partie des impôts qu'elles nous doivent. Pis encore, les quelques entreprises qui entrent dans le champ du projet de loi n'auront même pas de compte à rendre sur l'ensemble de leurs bénéfices réellement réalisés en France ; nous avions repris cette proposition d'un amendement adopté quasiment à l'unanimité au Sénat, mais vous l'avez repoussée.

Or, nous le savons, les PME françaises sont taxées en moyenne à 23 %, quand les GAFA le sont à seulement 9 %, bien qu'ils engrangent des milliards d'euros de bénéfices chaque année. Cette nouvelle taxe comblera-t-elle ce gouffre inégalitaire ? La réponse est évidemment non, tout le monde le sait ici.

Comment peut-on se féliciter d'une mesurette aussi superficielle, tout en reconnaissant l'immensité du problème ? Avec ce texte, le Gouvernement suit sa logique habituelle : de la même manière, il nous dit que la question de l'urgence climatique est essentielle, tout en approuvant la signature de l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur.

La proposition qui nous est soumise ressemble davantage à une transaction amiable avec les GAFA qu'à un dispositif fiscal réellement contraignant. Comment peut-on admettre que les Françaises et les Français soient pillés de milliards d'euros tous les ans par des ultrariches et que l'on se contente de demander gentiment aux voleurs de rendre une petite part du butin, à peine 400 millions d'euros en tout ?

Comble de l'ironie, les entreprises concernées, notamment Amazon, vous narguent d'ores et déjà en prévenant qu'elles sont prêtes à répercuter la taxe sur les consommateurs. Non seulement elles ne seront toujours pas taxées à hauteur de leurs profits, mais elles prévoient de ne quasiment rien débourser.

Mentionnons ce message absolument extraordinaire de leur compagnie d'avocats, qui leur sert de lobby : elle prévient que personne ne sait vraiment comment Bercy va faire pour contrôler les rentrées fiscales associées à cette taxe. Autrement dit, elle rassure ses clients, les GAFA.

Malgré la gravité de la situation, vous avez choisi d'ignorer totalement les amendements que le groupe de La France insoumise proposait. Ils auraient pourtant pu aider à faire de cette taxe de pacotille un véritable outil contre l'évasion fiscale et la toute-puissance des grandes multinationales.

Le problème des paradis fiscaux, par exemple, continue d'être ignoré. Pourtant, les techniques d'optimisation fiscale qui nous posent problème reposent en grande partie sur leur fonctionnement et sur la possibilité de s'y domicilier. Au lieu de prendre en compte cet enjeu incontournable, la majorité a insisté sur la nécessité d'obtenir un accord au niveau de l'Union européenne. On sait à présent que c'est un faux espoir et le prétexte parfait pour retarder, ou en tout cas limiter, l'effet réel du projet de loi.

Aujourd'hui, ce n'est plus l'accord des Vingt-Sept que nous attendons avant d'agir réellement, mais tout bonnement celui de l'OCDE. Le monde tout entier devrait ainsi se mettre d'accord avant que la France ne se permette de taxer correctement les bénéfices sur son propre territoire. Ces explications et procédés reviennent à mettre en cause notre souveraineté ; on oublie le poids international que notre pays acquerrait en adoptant des mesures exemplaires. Notre pays n'a jamais été aussi grand que lorsqu'il a fait preuve d'audace. Nous devrions ouvrir la voie de manière beaucoup plus radicale.

À l'heure où une entreprise comme Apple paye tout juste 19 millions d'euros d'impôts en France, pour un chiffre d'affaires mondial d'environ 195,5 milliards, à l'heure où une société comme Facebook projette sa domination toujours plus loin en annonçant un projet de cryptomonnaie qui devrait susciter les interrogations et l'inquiétude des États, vous faites la triste démonstration de l'incapacité de ces derniers.

La Terre brûle. On a relevé hier, dans le Gard, une température de 45 degrés. Nous ne pouvons plus nous offrir le luxe d'une politique des petits pas. Quel est le rapport avec notre sujet, me direz-vous ? Le voilà : les milliards qu'ils nous volent sont aussi ceux qui nous manquent pour la transition écologique. Nous sommes en guerre contre un système qui nous met en péril. Des mesures radicales s'imposent, loin des rendez-vous manqués comme celui-ci. C'est pourquoi nous nous abstiendrons.

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