Intervention de Philippe Dunoyer

Séance en hémicycle du jeudi 4 juillet 2019 à 9h30
Protocole additionnel de nagoya-kuala lumpur — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Dunoyer :

Nous nous apprêtons à autoriser la ratification d'un protocole additionnel sur la prévention des risques biotechnologiques. Ce traité s'inscrit dans la droite ligne des engagements pris par la France au niveau international, depuis la convention de Rio sur la diversité biologique de 1992.

L'objectif du protocole de Nagoya-Kuala Lumpur est d'élaborer des règles et procédures internationales en matière de responsabilité et de réparation, lorsque des dommages sont causés par des mouvements transfrontières d'organismes vivants modifiés – une catégorie un peu plus large que les OGM car ils visent également des modifications biologiques autres que génétiques.

Je m'empresse de signaler que, comme M. Hutin, je ne suis pas un spécialiste de ces dossiers éminemment techniques. Toutefois, avec votre autorisation, madame la secrétaire d'État, je vous propose un petit voyage sur le territoire calédonien, dont je suis issu, pour essayer de mesurer les effets concrets de ce protocole international, parfois un peu complexe à lire.

Concrètement, les risques auxquels les OGM nous exposent sont, je crois, de trois ordres.

Premier risque : leur propagation incontrôlée dans l'agriculture, par erreur, par méconnaissance, parfois par hasard, avec des effets possibles, notamment sur l'écosystème.

Dans les années 2000, la Nouvelle-Calédonie a importé d'Hawaï deux variétés de papaye : la sunset et la sunrise. Or, la culture de la papaye OGM étant très développée sur cet archipel états-unien, on s'est aperçu que la Nouvelle-Calédonie cultivait, par méconnaissance, des papayes contaminées aux OGM. C'est du moins ce que révèlent des tests pratiqués par les douanes de Hong Kong, qui refusent désormais les papayes calédoniennes. Il y a donc un travail à mener localement pour replanter des papayes non modifiées, et l'impact sur l'agriculture locale est non négligeable.

De toute évidence, on peut affirmer, au-delà de cet exemple calédonien, que de nombreux autres territoires ultramarins, gros importateurs d'aliments et de semences venant de pays extérieurs à l'Union européenne – d'Asie pour les territoires du Pacifique, des États-Unis pour ceux des Caraïbes – sont également concernés par la présence d'OGM importés qui prolifèrent.

L'introduction d'OVM sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie peut parfois répondre à une cause tout à fait légitime. Par exemple, pour lutter contre l'épidémie de dengue, qui contamine chaque année des milliers de personnes et dont certaines décèdent – cette arbovirose a tué deux personnes depuis janvier – , la Nouvelle-Calédonie va expérimenter un lâcher de colonie de moustiques biologiquement modifiés. Le procédé, déjà expérimenté en Australie, est simple. On inocule la bactérie wolbachia à une colonie locale de moustiques élevés en batterie, si j'ose dire, à l'Institut Pasteur. Cette bactérie transmissible génétiquement affecte la capacité du moustique à transmettre les germes pathogènes de la dengue, du zika et du chikungunya. Une fois disséminés sur le territoire – le lâcher est prévu pour le 10 juillet, dans quelques jours – , ces moustiques modifiés se reproduiront avec des moustiques sauvages : au fil du temps, la totalité des moustiques seront donc porteurs de la bactérie wolbachia, réduisant ainsi à néant, je l'espère, le risque d'épidémie de dengue et d'autres virus transmis par les moustiques.

Pour le Haut Conseil des biotechnologies, cette technique utilise un OVM et tombe donc sous le coup de la directive européenne de 2001. Nécessité faisant loi, face aux drames sanitaires que causent les arboviroses transmises par les moustiques, la Nouvelle-Calédonie prend donc le risque qu'une espèce de moustiques modifiés remplace totalement, à terme, une espèce de moustiques endémiques. Les effets, évidemment bénéfiques à court terme, sont inconnus à long terme. Toujours est-il que le remplacement d'espèces endémiques par des espèces modifiées est un premier risque, contre lequel il faut pouvoir engager la responsabilité d'un État.

Deuxième risque de l'introduction d'OVM : l'impact sur la fertilité de la terre et l'environnement. Les OGM étant conçus pour résister aux herbicides, ils permettent, par endroits, un épandage massif dans les cultures. Or, si la plante résiste, le sol, qui abrite et nourrit les insectes et les vers, devient stérile sous l'effet de l'herbicide, sans compter que les OGM produisent également, avec une graine qui finira par remonter, une molécule qui tue les insectes nuisibles. Cependant, en faisant disparaître les insectes, on fait également disparaître une grosse part de la nourriture des oiseaux et des amphibiens, donc de ceux qui pollinisent les plantes et permettent leur reproduction. Une étude récente a montré que l'Europe a perdu 76 % de ses insectes et 400 millions d'oiseaux. Selon Greenpeace, 75 % de la production mondiale de nourriture dépend de l'activité des abeilles et autres bourdons.

Le modèle de l'agriculture intensive, fortement consommateur d'herbicides et d'OGM, qui leur sont résistants, doit donc être interrogé au regard des impacts qu'il induit sur la destruction de la biodiversité. C'est la raison pour laquelle, au-delà de notre participation au protocole de Carthagène, nous estimons que le principe de précaution visant à ne pas autoriser les cultures OGM et à interdire l'utilisation de certaines molécules comme le glyphosate ou les insecticides néonicotinoïdes, reste essentiel pour assurer la biosécurité en France.

Troisième risque : la culture de quelques semences OGM favorise également la monoculture, au détriment de la diversité des cultures. C'est aussi un enjeu ultramarin – pardon d'être aussi insistant, mais c'est une réalité locale. L'autonomie de ces territoires repose sur leur capacité à être autosuffisant en matière alimentaire, donc à produire une diversité de denrées alimentaires.

Face aux risques liés à l'introduction des organismes vivants modifiés, le protocole fixe d'abord un principe proche de « pollueur-payeur », prévoyant que les États parties exigent des opérateurs qu'ils appliquent des mesures d'intervention en cas de dommages ou de risque de dommages. La responsabilité du dommage incombe donc à l'État qui exporte ses OVM, non à celui qui les importe – ce principe a fait l'objet d'une longue négociation. Il s'agit d'une responsabilité sans faute.

Ensuite, le protocole vise à faciliter le transfert et l'utilisation sans danger des OVM, afin de permettre la prévention et la réparation des dommages résultant des mouvements transfrontières d'autres organismes vivants modifiés.

Le groupe UDI et indépendants souscrit donc pleinement à cette proposition de ratification, mais il tient à formuler quelques remarques, dont certaines ont déjà été évoquées, sur la portée réelle de cet accord.

Premièrement, les exigences du présent protocole additionnel ont déjà été introduites dans le droit communautaire par la directive relative à la responsabilité environnementale de 2004, transposée dans notre code de l'environnement en 2013. Il n'a donc pas de portée en matière d'échanges agricoles avec nos principaux partenaires européens.

En revanche – c'est ma deuxième remarque – , les grands pays exportateurs d'OVM en France et en Europe comme les États-Unis, le Canada ou l'Argentine ne sont pas parties à l'accord, vous l'avez dit, madame la présidente de la commission. Rappelons que les États-Unis cultivent à eux seuls des OGM sur 74 millions d'hectares, soit plus de deux fois la surface agricole cultivée en France, et l'Argentine 24 millions.

Troisièmement, on pourrait penser que la France est faiblement exposée aux dommages visés par le protocole, puisque les cultures OGM ne sont pas autorisées sur son territoire. Cependant, en réalité, elle importe 4 millions de tonnes de plantes transgéniques par an – notamment pour l'alimentation animale et l'industrie agroalimentaire – , facteurs potentiels de risque. De même, sur les territoires ultramarins, la surveillance des OGM doit être plus volontariste. C'est un vrai sujet sur ces territoires, qui pourtant participent en premier lieu à l'extraordinaire biodiversité de la France.

La participation de la France au club de Carthagène prend donc tout son sens. C'est pourquoi les élus du groupe UDI et indépendants voteront pour ce texte sans réserve, témoignant de leur volonté d'avancer sur les travaux relatifs à la biosécurité et en faveur de la préservation de la biodiversité.

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