Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du jeudi 4 juillet 2019 à 9h30
Protocole additionnel de nagoya-kuala lumpur — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

On m'a souvent reproché mon archaïsme – c'est curieux, pour un homme qui s'inscrit dans la tradition de l'humanisme des Lumières – en me rétorquant que les cultures ont été modifiées de tous temps. Certes, mais dans le temps long, si bien que les êtres humains ont pu vérifier les effets de ces modifications et se sont adaptés ou ont disparu ! Rappelons que tout le monde n'est pas sorti indemne des modifications de cultures ! D'ailleurs, les cartes des migrations des populations depuis les âges profonds en Europe montrent que, dans un certain nombre de pays, des maladies sont directement liées à la consommation de produits qui n'ont jamais été assimilés par les populations concernées. Je n'insisterai pas sur l'exemple tragique de l'alcool : dans certaines zones, des gens meurent au premier gramme d'alcool absorbé. En Europe, certaines farines, le lait ou d'autres produits provoquent encore des maladies dans des poches des populations qui ne peuvent pas les assimiler.

Par conséquent, il est vain de prétendre que la modification d'une culture est un acte innocent dont tout le monde sort indemne. Non, c'est faux : cela emporte toujours des conséquences et cela provoque des maladies. Aujourd'hui, par exemple, les allergies au gluten sont le résultat direct de sélections effectuées sur les produits à base de farine.

Mais revenons au protocole qui nous occupe ce matin. Le danger, c'est que l'Europe est totalement dépendante des importations de soja. Sur les 33 millions de tonnes de cette plante que nous consommons chaque année – c'est beaucoup – , 96 % arrivent de l'extérieur et 90 % sont utilisées pour la production animale.

Si nous importons du soja, c'est parce que c'est la seule production agricole qui n'a pas été incluse dans les mesures protectionnistes de la PAC – politique agricole commune – initiale. C'était une exigence américaine. Aussi, le soja est la seule culture pour laquelle nous ne sommes jamais arrivés à nous mettre à flot et à être autosuffisants. Cela prouve d'ailleurs l'intérêt d'un protectionnisme comme la PAC, qui a permis à l'Europe de devenir autosuffisante en moins de trente ans dans le domaine alimentaire, sauf pour le soja.

Et pourquoi consommons-nous du soja ? C'est la technique de transformation des protéines la plus absurde que l'on puisse imaginer puisqu'il s'agit de transformer une protéine végétale que contient le soja pour produire une protéine animale, voyez-vous, selon un rendement décroissant : au lieu de produire 1 gramme de protéines animales pour 1 gramme de protéines végétales, on subit un taux de rendement affreux, de l'ordre de 50 %, c'est-à-dire que 2 grammes de protéines végétales sont nécessaires pour produire 1 gramme de protéines animales. Cette pratique absurde est liée à nos modes de consommation. Il faudra un jour mettre un terme à la production de protéines carnées pour l'alimentation du bétail. Cela prendra du temps. Cela ne veut pas dire qu'on ne fera plus jamais d'élevage ni qu'on ne produira plus de viande – de grâce, gardons-nous des caricatures à chaque fois que quelqu'un avance une idée qui paraît un peu avant-gardiste sur le moment, alors qu'elle deviendra banale par la suite ! Nos compatriotes doivent se faire à l'idée, d'une part, que l'on peut consommer moins de protéines et, d'autre part, que ces dernières doivent être davantage végétales qu'aujourd'hui, tout cela au profit d'un élevage de meilleure qualité.

Vous avez sûrement deviné que j'allais parler de l'accord avec le MERCOSUR, le Marché commun sud-américain. L'Union européenne est en train de s'entendre avec le Brésil et l'Argentine, deux pays amis de la France – cela n'est pas en cause – mais qui produisent des quantités vertigineuses de soja, massivement traité aux pesticides et génétiquement modifié, que nous importons. Avez-vous une idée de ce qui se passe ? Dans ces deux pays, 95 % du soja est génétiquement modifié. Au Brésil, on utilise 200 fois plus de glyphosate pour traiter les cultures de soja que la limite fixée par l'Europe – je parle bien de limite et non d'interdiction. Le Brésil et l'Argentine sont membres du MERCOSUR, et ces deux pays ont signé l'accord de libre-échange. L'Argentine utilise 400 millions de litres de glyphosate par an. Dans l'absolu, ce chiffre ne veut rien dire, mais cela revient à 10 litres par Argentin. En Europe et en France, lorsque l'on fait des tests sur des personnes contaminées, on retrouve 0,1 à 4 nanogrammes de ce produit par millilitre d'urine. Le sénateur argentin Fernando Solanas a pratiqué plusieurs fois ce test sur lui-même : il a trouvé 40 nanogrammes de glyphosate par millilitre d'urine. En effet, comme tous les Argentins, il mange de la viande, qui provient d'animaux nourris au soja, lequel est génétiquement modifié, et, à la fin, cela se retrouve dans le corps humain.

Cela affectera, dans des proportions inconnues, la longue chaîne des générations. Sans doute finira-t-on par s'apercevoir un jour de l'existence d'un lien, d'une part, entre la baisse de la qualité des spermatozoïdes et la décroissance démographique, et, d'autre part, la consommation de ce type de produits. On peut dire que l'humanité est en train de se suicider par l'utilisation de méthodes qui n'ont d'autre justification que l'efficacité économique et dont personne n'a jamais vraiment pu démontrer qu'au bout du compte, elles ne présentent pas plus de coûts que de bénéfices pour la société !

On a déjà raté deux fois le coche. Quand on a signé l'accord de libre-échange avec le Canada, on ne lui a pas imposé le respect de ce protocole. Quand on a signé l'accord de libre-échange avec le Japon, qui s'applique à un tiers de l'économie mondiale, on ne lui a pas imposé non plus le respect de ce protocole, ni même la protection des pauvres baleines, qui auraient pu être sauvées par la même occasion. Là, nous sommes en train de passer un accord avec le MERCOSUR, et nous n'imposons toujours rien.

Je voterai cependant des deux mains la ratification de ce texte, car il pourra désormais nous servir de base juridique pour refuser l'importation de produits importés du Brésil et de l'Argentine, puisque les animaux dont ils sont issus ont été nourris au soja traité au glyphosate. Autrement dit, la ratification du protocole nous permettra de nous opposer juridiquement à l'application de l'accord de libre-échange avec le MERCOSUR.

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