Intervention de Jean-Michel Clément

Séance en hémicycle du jeudi 4 juillet 2019 à 9h30
Protocole additionnel de nagoya-kuala lumpur — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Ce n'est ni plus ni moins sur l'ambition française et européenne en matière de protection de la biodiversité que l'Assemblée nationale est amenée à se prononcer ce matin. Derrière ce protocole additionnel, est en effet soulevée la question essentielle de la responsabilité et de la réparation des dommages en cas d'atteinte à la biodiversité consécutive au risque de dissémination d'organismes vivants modifiés – lesquels ne sont rien d'autre qu'une catégorie d'OGM – , dont nous ne pouvons prendre pleinement la mesure.

Notre groupe a pleinement conscience du chemin parcouru pour parvenir à ce texte. En matière internationale, la négociation d'accords relève bien souvent de ce qu'on appelle communément « la diplomatie de la machine à café ». Car c'est là, autour d'un café, à l'extérieur des salles où se déroulent les négociations officielles, que les États tentent de se mettre d'accord sur des dispositions qui satisferont leurs intérêts nationaux. Et il en aura fallu des cafés et des heures de négociation pour aboutir au protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur sur la responsabilité et la réparation relatif au protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques !

Ce protocole additionnel est le fruit d'un compromis entre des intérêts particulièrement divergents. Son processus de négociation, prévu par l'article 27 du protocole de Carthagène, a été engagé en 2004. À cette occasion, un groupe de travail spécial a été composé, réunissant de nombreux experts juridiques et techniques dans le domaine de la responsabilité et de la réparation. Ensemble, ils ont travaillé, pendant six longues et difficiles années, à l'élaboration de ce texte.

De nombreux points d'achoppement ont dû être surmontés, comme la nature juridique de l'instrument visant à mettre en jeu la responsabilité des auteurs de dommages occasionnés par les mouvements transfrontières d'OVM. Certains pays souhaitaient se contenter de lignes directrices ; or nous savons tous que les lignes directrices ne pèsent malheureusement pas lourd face aux intérêts économiques. Aussi le groupe Libertés et territoires salue-t-il le choix de se mettre d'accord sur un instrument contraignant, qui s'impose certainement comme un précédent en matière de responsabilité environnementale au plan international. En effet, il n'existait jusqu'alors que très peu d'instruments internationaux juridiquement contraignants définissant un tel système de responsabilité sans faute.

Cependant, l'absence de certains des plus grands pays exportateurs d'OVM – comme les États-Unis, avec leurs 75 millions d'hectares de cultures d'OVM, ou encore le Canada et l'Argentine, qui ne sont pas parties au protocole de Carthagène – , affaiblit considérablement la portée du texte. Certes, celui-ci présente le mérite d'établir une sorte de référence internationale, sur laquelle les pays peuvent s'appuyer pour établir leur propre réglementation, en imposant son application à tout OVM présent sur leur territoire. Toutefois, sans l'engagement des grands pays exportateurs, quel impact réel pourront avoir le protocole de Carthagène et son protocole additionnel ? Comment établir des règles internationales crédibles, acceptées par tous, pour contribuer à la conservation et à l'utilisation durable de la diversité biologique, compte tenu des risques pour la santé humaine, en l'absence des principaux responsables des risques biotechnologiques ?

Eu égard à la règle « pacta sunt servanda » et à la souveraineté des États sur la scène internationale, nous savons que les grands pays exportateurs ne seront pas soumis à ces règles. Aussi l'accord de Carthagène et son protocole additionnel inscrivent-ils les États qui les ont signés dans une relation asymétrique avec des pays non signataires davantage guidés par des intérêts économiques que par des considérations environnementales et sanitaires. Alors que la conclusion de l'accord entre l'Union européenne et le MERCOSUR soulève de vives inquiétudes et que notre assemblée s'apprête à se prononcer, le 17 juillet prochain, sur la ratification du CETA, nous devons plus que jamais avoir ces considérations à l'esprit.

Comme j'ai pu l'indiquer, au nom de mon groupe, lors de l'examen du projet de loi en commission, la portée du protocole additionnel semble insuffisante au regard des enjeux considérables que soulèvent les questions suivantes, certes basiques, mais essentielles : que produisons-nous ? qu'importons-nous ? comment devons-nous le faire, avec quelle qualité, quelle sécurité ? La jeunesse, qui manifeste et se mobilise sur la question du climat, attend des réponses à ces questions, que le texte n'apporte manifestement pas.

Les sept années qu'il a fallu attendre avant d'atteindre le nombre de ratifications nécessaires à son entrée en vigueur démontrent sa faiblesse. Face à un accord qui relève plus du symbole que de l'efficacité et face à l'ancienneté des dispositions proposées – elles ont été élaborées il y a maintenant quinze ans – , la frilosité des États se comprend. D'ailleurs, la France, bien qu'elle ait signé ce protocole additionnel en 2011, n'avait jamais considéré sa ratification comme prioritaire ; il faut admettre que cela s'explique en partie par le fait que nous sommes plutôt à l'avant-garde sur le sujet, ce qui s'est traduit par l'adoption de dispositions nationales et communautaires couvrant déjà les obligations prévues.

Avec mes collègues du groupe Libertés et territoires, nous sommes profondément attachés à la promotion d'une croissance respectueuse des hommes, des écosystèmes et des ressources naturelles. Nous défendons une transition énergétique partant des territoires. Nous sommes très sensibles à la protection de la diversité biologique et aux risques potentiels qu'entraîne l'usage des organismes vivants modifiés, les OVM. Néanmoins, cette protection doit s'effectuer en tenant compte des enjeux écologiques, sanitaires, économiques et sociaux actuels. Or les problèmes se sont aggravés depuis l'adoption du protocole de Carthagène, il y a vingt ans – presque une éternité, dans ce cas particulier.

Les dégâts sur l'environnement n'ont pas attendu que soit atteint le nombre de signatures nécessaire afin que le protocole additionnel entre en vigueur. Aussi considérons-nous qu'un ajustement est nécessaire pour tenir compte des évolutions biotechnologiques des dernières années et de la mainmise des producteurs d'OVM et des semenciers, ces géants industriels qui contrôlent les plantations, voire les mises sur le marché, allant bien souvent jusqu'à contraindre les agriculteurs africains à leur acheter des semences, au détriment d'une agriculture inclusive et durable !

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