Intervention de Amiral Bernard-Antoine Morio de l'Isle

Réunion du mercredi 5 juin 2019 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Bernard-Antoine Morio de l'Isle, commandant des forces sous-marines et de la force océanique stratégique (ALFOST) :

Nous recrutons les jeunes au niveau bac ou bac plus 2 généralement. Ils suivent tout d'abord une année de formation marine commune à tous les milieux. Puis, ils sont formés dans les écoles de navigation sous-marine au cours d'une seconde année. Ils attendent donc longtemps avant d'embarquer et ils s'impatientent un peu parfois. Quand on entre dans une entreprise, on aime bien commencer à travailler tout de suite. Or, nous, nous leur proposons au préalable deux ans de formation. Il faut donc veiller à maintenir leur motivation pour qu'ils ne se découragent pas à ce moment-là. En fonction de leur niveau, nous allons leur dispenser des cours spécifiques supplémentaires dans certaines matières scientifiques et leur enseigner aussi le spécifique sous-marin. Ces jeunes arrivent en effet avec beaucoup de connaissances, mais ils ne les ont pas toutes. Nous leur proposons également un enseignement personnalisé avec des tuteurs. L'enseignement est à la fois théorique et pratique. Il est conduit sur des simulateurs. Notre objectif est d'obtenir le taux d'attrition le plus faible possible. Nous sommes parvenus à diviser par trois notre taux d'échec en école. La place de la simulation dans cet enseignement ne cesse de croître. Les simulateurs sont désormais si performants sur le Suffren que l'on peut s'affranchir d'une grande partie de la formation in situ à bord du bateau.

Ai-je des craintes sur la possibilité de détecter un de nos sous-marins ? La mer est un milieu opaque. À partir du moment où vous avez atteint une centaine de mètres de profondeur, on ne vous voit plus à partir de la surface. Pour ne pas être vu, il suffit donc de descendre en immersion. Ensuite, il reste le bruit rayonné, dont la propagation est directement liée aux règles immuables de la propagation des rayons sonores dans l'eau. Ces règles ne changeront pas. Par exemple, pour une frégate multimissions qui se trouve en hiver en Méditerranée, où l'eau est à 13 degrés de la surface au fond, c'est-à-dire dans un milieu très homogène, elle pourra détecter jusqu'à des distances de 150 kilomètres. Si elle fait la même opération en septembre, l'eau est très chaude en surface et toujours à 13 degrés au fond, elle n'aura alors plus que quelques milliers mètres de détection en portée directe. Les profondeurs sous-marines vont donc encore rester vraiment très opaques. Certes, en multipliant les systèmes d'écoute, en augmentant la qualité des sonars, évidemment, on améliore la probabilité de détection. Mais sur les échelles de distances dont on parle – trois jours pour se diluer sur l'équivalent de la surface de la France, sept jours sur la surface de l'Europe – l'invulnérabilité est assurée. Bien entendu, des études sont menées sur de nouvelles techniques de détection non acoustiques. Nous les faisons systématiquement évaluer par la DGA qui réalise des prototypes et regarde comment ça marche. Vous avez probablement entendu parler de l'ionisation des particules ou encore de la hauteur des vagues liées au passage des sous-marins en immersion. Ces systèmes ne fonctionnent, lorsqu'ils fonctionnent, que sur des zones très restreintes ; pour résumer : « dis-moi où tu es et je te trouverai ». Ces systèmes doivent être focalisés, c'est-à-dire orientés, au préalable. C'est comme pour le satellite, pour trouver quelque chose de petite taille il doit savoir où le chercher. Tous les systèmes un peu « exotiques » ont vraiment besoin d'être dirigés pour identifier. Mais nous les étudions car il ne faut rien négliger dans ce domaine.

Les quatre stations de transmissions de la FOST sont fortement protégées. Elles sont conçues pour fonctionner malgré de très sérieux dommages. Pour recevoir les ondes, le sous-marin dispose d'une antenne filaire qui a une flottabilité positive. Elle remonte vers la surface sans la toucher, et cela lui permet de capter les ondes VLF et LF qui pénètrent de quelques mètres sous la surface.

L'intelligence artificielle est déjà présente sur nos sous-marins, et je vais vous donner quelques exemples. C'est dans le contrôle commande des réacteurs qu'elle est tout d'abord apparue. Lors d'une avarie sur le réacteur, le « contrôle commande » propose des options pour revenir à l'état sûr. Il peut y avoir également des actions correctrices automatiques dont l'opérateur suit le déroulement. Nos équipes de quart s'entraînent sur simulateurs à travailler avec cette forme d'intelligence artificielle. Désormais avec les Suffren, cela concerne aussi la sécurité plongée du bateau. La vraie question est : quel est le positionnement du marin vis-à-vis de cette intelligence artificielle ? Qu'est-ce que je dois apprendre aux marins ? Faut-il, comme sur le sous-marin précédent, tout lui apprendre ? Sur un SNA, le sous-marinier connaissait pratiquement tous les équipements de son sous-marin dans le détail. Là, nous faisons face à un million de pièces, avec en plus des couches d'intelligence artificielle : à quoi faut-il entraîner nos marins, que faut-il leur apprendre exactement ? Nous partageons ces réflexions avec le domaine de l'aéronautique. L'intelligence artificielle est donc déjà à bord de nos sous-marins. Mais elle est aussi à l'extérieur, avec notamment les expérimentations utilisant les essaims de drones sous-marins. La difficulté de leur mise au point, et nous l'avons évoquée, est bien le milieu sous-marin qui ne permet pas de communiquer aisément. En mer, le drone a le même problème que le sous-marin. Il doit aller à l'immersion périscopique pour transmettre ses éléments et échanger. Dans les airs, le drone peut être piloté en permanence et ne perd pas la liaison. Nous nous intéressons aux drones à la fois au titre de l'évaluation de la menace et pour leur utilisation possible au plus près des côtes. C'est déjà l'actualité : tous les jours dans la rade de Brest, on peut apercevoir un drone du système SLAMF qui ressemble à une petite vedette sans pilote avec ses trois drones sur le dos pour la chasse aux mines.

Dans le domaine de la protection du secret, il appartient à la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) d'analyser l'environnement des unités de la FOST et de l'informer des éventuelles menaces qui pourraient la concerner.

Les capacités ASM des FREMM sont effectivement exceptionnelles. Cela nous permet de confronter nos sous-marins aux meilleurs systèmes de détection actuellement en service dans le monde. C'est un réel atout car cela nous permet de réfléchir aux meilleures tactiques à mettre en place.

Dans le passé, j'ai travaillé sur la mise en oeuvre du traité de Lancaster House et la coopération franco-britannique. C'est un traité qui a permis des économies financières importantes à la fois pour la France et pour la Grande-Bretagne et puis il s'agit d'une vraie coopération très positive. Aujourd'hui je suis responsable des forces sous-marines, et nous avons avec les Britanniques des relations très étroites et régulières : nous échangeons sur beaucoup de sujets de niveau tactique, nous nous entraînons aussi ensemble. C'est un marqueur fort, comme avec les Américains. Avec les Britanniques, nos marines se ressemblent : ils possèdent des SNLE et des SNA, comme nous. La coopération est fructueuse. Nous avons de très bonnes relations et nous nous parlons franchement.

J'en viens aux questions sur les capacités techniques chinoises et russes. Les Russes ont toujours privilégié leur composante sous-marine, même au moment des coupes budgétaires de l'après guerre froide, donc ils n'ont jamais perdu pied. Ils ont toujours construit des sous-marins, et ne cessent de les améliorer. Les SNLE de la classe Boreï, de la génération actuelle sont d'excellents bateaux qui disposent du missile Boulava désormais très fiable. Pour les SNA, ils disposent de la classe Yasen qui, là aussi, est ce qui se fait de mieux. Le développement de la marine chinoise est extrêmement rapide et comme vous le savez, les Chinois construisent en quatre ans l'équivalent du tonnage total de notre marine. Durant ces six derniers mois, ils ont mis en service leur cinquième SNLE de la classe Jin qui correspond au Boreï russe. Le Chang est quant à lui un SNA correspondant au Yasen. Les chinois développent des bâtiments de dernière génération à un rythme très soutenu.

S'agissant des nageurs de combat, nous sommes très liés au commando Hubert, et avons donc été très affectés par le décès en opération de deux de ses membres il y a quinze jours. À ce même moment, nous nous entraînions aux opérations spéciales avec d'autres nageurs au large de Toulon. L'avenir c'est le Suffren parce qu'il nous permettra d'utiliser le sas nageur et le Dry Deck Shelter, qui est une espèce de second très grand sas où l'on peut entreposer le sous-marin PSM3G. Cela permet de déployer des nageurs beaucoup plus loin.

Concernant le Suffren, la semaine prochaine, il rallie le dispositif de mise à l'eau. Au mois de juillet aura lieu la prise d'armement pour essais par la marine. C'est le moment où l'on crée l'équipage d'armement qui prendra ensuite la responsabilité du sous-marin pour la conduite des essais jusqu'à la réception. Ensuite, nous allons embarquer le coeur nucléaire à bord. Puis auront lieu tous les essais pour une première sortie à la mer au premier trimestre 2020. À l'été, à Cherbourg, j'aurai déjà quatre-vingt-dix sous-mariniers. Mon vrai « challenge », c'est de transformer mille sous-mariniers Rubis en mille sous-mariniers Suffren sous enveloppe d'effectifs constante et de réaliser en parallèle toutes les missions qui nous sont confiées.

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