Intervention de Isabelle Rauch

Séance en hémicycle du lundi 8 juillet 2019 à 16h00
Accord france-luxembourg sur le renforcement de la coopération en matière de transports transfrontaliers — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Rauch, rapporteure de la commission des affaires étrangères :

Depuis plusieurs décennies, la prospérité de l'économie luxembourgeoise repose sur le recours croissant à l'emploi de travailleurs frontaliers qui résident dans les pays voisins, Belgique, Allemagne et plus encore France. 24 % des salariés employés sur le sol luxembourgeois viennent de France et font la navette quotidiennement. Ils sont environ 100 000 et leur nombre augmente de plus de 3 000 par an. Ils contribuent massivement, non seulement à la prospérité économique du Grand-Duché, mais aussi à son aisance fiscale, puisque ce dernier prélève à la source l'impôt sur leurs salaires : les frontaliers français contribuent sans doute pour environ 500 millions d'euros par an à l'impôt luxembourgeois sur le revenu.

Nous n'avons pas réussi à nous mettre d'accord sur la mise en place d'un mécanisme récurrent de compensation fiscale, qui peut parfois exister dans les situations transfrontalières de ce type. Il fallait pourtant agir, puisque les collectivités de la zone frontalière française sont également confrontées à des difficultés et à des coûts importants. Elles doivent notamment investir pour répondre aux besoins croissants de mobilité qui accompagnent mécaniquement l'augmentation du nombre de frontaliers. Conscientes de la nécessité d'agir pour améliorer le quotidien des travailleurs transfrontaliers, les autorités luxembourgeoises se sont déclarées ouvertes au cofinancement de projets concrets qui répondraient aux difficultés rencontrées dans les zones frontalières.

Signé en mars 2018, à l'occasion de la visite d'État du Grand-Duc de Luxembourg à Paris, le protocole d'accord soumis à notre vote est innovant. Pour la première fois, les autorités luxembourgeoises acceptent de cofinancer à parité et à hauteur de 120 millions d'euros les travaux d'un programme de mobilité transfrontalière de proximité. Je souligne que ces 120 millions d'euros seront intégralement consacrés à des opérations sur le sol français, le Luxembourg conduisant par ailleurs des travaux très importants sur son propre sol.

Il y a quinze ans, le Luxembourg avait déjà contribué à hauteur de 117 millions d'euros à la construction de la ligne grande vitesse Est, mais il s'agissait d'un projet ponctuel. Dans le cas présent, c'est un ensemble cohérent d'études et de travaux qui est l'objet de l'accord. Ceux-ci sont principalement ferroviaires, mais il y a aussi une dimension multimodale, avec une volonté de développer les transports en commun routiers et le covoiturage.

Ce caractère multimodal implique un degré élevé de partenariat, de coordination, entre les autorités des deux pays mais aussi de chaque côté entre les différentes administrations, collectivités et entreprises de transports publics. Le programme de travaux a été élaboré avec de nombreux partenaires. Du côté français, il implique notamment les administrations d'État, la SNCF, la région, en tant qu'autorité organisatrice des transports ferroviaires, et les intercommunalités qui seront en particulier les maîtres d'ouvrage des parkings qu'il est prévu de construire. Au-delà des enjeux de financement, amener tous ces acteurs à s'asseoir à la même table constitue un apport très important de cet accord.

C'est ce que m'ont confirmé les différentes personnalités que j'ai auditionnées, qui représentaient tous ces acteurs et que je remercie : la région Grand Est, avec son président Jean Rottner, le Pôle métropolitain frontalier Nord lorrain, avec son président Christian Ariès et ses vice-présidents André Parthenay et Michel Liebgott, le ministère de la transition écologique et solidaire, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Grand Est, SNCF Réseau, et enfin les autorités luxembourgeoises.

Le programme d'investissements prévu par l'accord aura un impact significatif sur l'offre de transports transfrontaliers. Le Luxembourg va donc verser une contribution de 120 millions d'euros, dont 110 millions pour des travaux ferroviaires et le reste pour des études et des opérations en faveur du développement des mobilités routières vertueuses, comme le covoiturage. Il y aura une contribution française à parité : c'est donc une enveloppe globale de 240 millions d'euros, dont 220 millions pour le domaine ferroviaire, qui est ainsi dégagée.

Le programme de travaux ferroviaires comprend, dans un premier temps, à l'horizon 2022-2024, l'allongement des quais de plusieurs gares de la ligne Metz-Luxembourg, le renforcement de l'alimentation électrique de la ligne et la réalisation de nouveaux parkings à Thionville et Longwy. Cela permettra la circulation de rames de TER – trains express régionaux – plus longues, des trains à trois automotrices – UM3 – , qui offriront près de 1 000 places assises contre 660 dans les rames actuelles. La capacité de la ligne sera donc augmentée de 50 %.

À l'horizon 2028-2030, une seconde phase de travaux visera à moderniser la ligne pour accroître le nombre de trains qui y circuleront : optimisation du cantonnement, création de nouveaux points de changement de voie, signalisation, suppression de passages à niveaux, aménagements de gares, et enfin création d'un segment de troisième voie sur quelques kilomètres de part et d'autre de la frontière, ce « sas fret » devant permettre aux trains de voyageurs, plus rapides, de dépasser ceux de fret. Les travaux devraient permettre de passer d'un maximum de six à huit TER à l'heure. L'objectif est de faire rouler jusqu'à dix trains par heure, huit TER, un TGV et un train de fret.

Globalement, l'ensemble des travaux permettrait, selon la SNCF, de passer de 12 000 voyageurs par jour sur la ligne actuellement à 34 000 en 2030. Le nombre de places assises disponibles pendant la période de pointe passerait de 9 000 aujourd'hui à 13 000 en 2022-2024, puis de 20 000 à 22 000 en 2028-2030.

Le protocole d'accord que je vous présente aujourd'hui est une sorte d'accord-cadre : il fixe des grandes lignes, mais devra être décliné par une série d'accords particuliers, plus techniques, puis mis en oeuvre sur le terrain. Il laisse donc ouvertes plusieurs questions importantes. Sa réussite reposera sur la qualité de la gouvernance partenariale qui sera mise en place.

Parmi les questions qui ne sont pas encore réglées, il y a celle de l'éligibilité au cofinancement des dépenses, notamment d'études engagées avant la ratification définitive de l'accord, et la passation des accords techniques d'application. Classiquement, dans la gestion des deniers publics, les dépenses antérieures à l'acte permettant leur prise en charge ne peuvent pas être couvertes ; mais des dérogations sont possibles. Ce point devrait être précisé au plus vite, si possible par des annonces des deux gouvernements, avant d'être transcrit dans les accords d'application, afin de ne pas retarder le lancement des divers projets.

La question des subventions européennes se pose également. L'axe Metz-Luxembourg étant situé dans l'un des corridors du réseau transeuropéen de transport – RET-T – , on peut espérer des subventions européennes importantes. Elles pourraient être de l'ordre de 150 millions d'euros, si nous obtenons un taux de subvention proche du plafond, ce qui est envisageable pour un projet transfrontalier à dominante ferroviaire. Le texte mentionne ces subventions, mais reste flou sur leur articulation avec l'enveloppe de 240 millions d'euros de dépenses sur laquelle les deux gouvernements se sont entendus. Doivent-elles être comptées dans celle-ci, soulageant les engagements luxembourgeois et français, ou s'y ajouter ? Au regard du coût prévisible des travaux, je considère que la seconde option doit s'imposer : les subventions européennes doivent venir en plus de l'enveloppe de 240 millions d'euros.

Un autre point demeure incertain : que se passerait-il si l'enveloppe était intégralement consommée avant l'achèvement du programme d'investissements de l'accord ? Celui-ci a prévu ce cas de figure : la partie française ne serait pas contrainte de poursuivre les aménagements prévus une fois le plafond de la contribution luxembourgeoise atteint. Dans la déclaration conjointe concluant leur séminaire commun tenu à Paris le 20 mars 2018, les deux gouvernements ont mis en place une sorte de clause de revoyure, en indiquant qu'ils négocieraient un avenant si une telle situation survenait.

Le dernier point d'incertitude concerne le partage de la prise en charge de la part française des engagements, qui doit être égale aux 120 millions d'euros financés par le Luxembourg. Le texte est muet sur ce point. En application de la « règle d'or » applicable à SNCF Réseau, cet opérateur ne pourra pas être mis à contribution. Cela se discutera donc entre l'État, la région Grand Est et les intercommunalités.

Je l'ai dit, la réalisation du programme de travaux ferroviaires figurant dans l'accord doit conduire à une forte augmentation de la capacité de la ligne Metz-Luxembourg. Le trafic journalier devrait augmenter de plus de 20 000 voyageurs, dont plus de 10 000 en période de pointe. Pourtant, cela pourrait s'avérer insuffisant pour absorber l'augmentation du nombre de travailleurs frontaliers, puisque, si la tendance actuelle se poursuit, ceux-ci pourraient être 30 000 de plus d'ici à dix ans. Il faut donc développer les mobilités routières vertueuses, ce qui est l'un des objectifs de l'accord. Par ailleurs, en dehors de l'accord, le doublement de l'autoroute A31 par l'autoroute A31 bis devrait être réalisé au cours de la prochaine décennie.

Au regard de l'importance des besoins, je souhaite que nous puissions construire avec nos voisins luxembourgeois d'autres projets communs. Cela est notamment nécessaire pour des raisons d'équité, tant qu'ils prélèveront à la source l'impôt sur les salaires des frontaliers, en refusant tout dispositif pérenne de rétrocession partielle. La mobilité transfrontalière me paraît constituer un beau champ pour cette coopération. Mais il faut aussi réfléchir aux alternatives, comme le télétravail. Enfin, d'autres domaines pourraient aussi être concernés, comme celui de la formation. Je tiens brièvement à insister sur ce sujet, puisque certains peuvent avoir l'impression justifiée que les professionnels formés en France, avec l'argent des contribuables, alimentent ensuite le marché du travail luxembourgeois, ce qui finit, à terme, par menacer la présence de nombreux emplois stratégiques dans nos territoires. Le projet de loi que je vous invite à adopter pourrait ainsi montrer la voie à suivre pour les prochains dossiers, dont celui de la formation. C'est dans ce quotidien transfrontalier que se construit l'Europe, comme l'a rappelé Mme la secrétaire d'État.

Les institutions luxembourgeoises ont procédé à la ratification de l'accord en un temps record : dès le 26 juillet 2018, soit quatre mois après la signature entre les deux gouvernements, la chambre des députés luxembourgeoise a adopté, à l'unanimité, la loi de ratification, qui a été promulguée le 7 septembre 2018. Même si nos voisins sont conscients que l'examen d'un accord par le Parlement français un peu plus d'un an seulement après sa signature est une belle performance par rapport aux délais habituels, je crois qu'il est important d'envoyer un signal positif dans le cadre de ce partenariat, en ratifiant ce texte sans délai. Nous pourrons alors mettre en oeuvre ce programme d'investissements, qui est très attendu dans le nord de la Lorraine.

Ensuite, l'action devra se poursuivre pour améliorer les déplacements des habitants du Grand Est. C'est déjà le cas, notamment avec le Grenelle des mobilités en Lorraine, au lancement duquel j'ai participé il y a quelques jours. Cette initiative conjointe de la grande région et du Pôle métropolitain européen du sillon lorrain doit être l'occasion d'engager une réflexion collective entre les acteurs des déplacements et les instances publiques sur les causes et les conséquences des flux de mobilités, mais aussi sur les réseaux de transports, à l'échelle du territoire lorrain et de ses frontières. À terme, nous pourrons ainsi bâtir une action dans la durée et dans l'intérêt de nos concitoyens. La représentation nationale doit donc prendre aujourd'hui ses responsabilités sur ce sujet, afin d'envoyer un signal fort pour construire la mobilité de demain.

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