Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du lundi 8 juillet 2019 à 16h00
Accord france-luxembourg sur le renforcement de la coopération en matière de transports transfrontaliers — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

Nous sommes d'accord. Voyez plutôt : chaque travailleur frontalier verse en moyenne 15 000 euros par an au Luxembourg, et l'augmentation de leur nombre va porter cette manne à 1,5 milliard d'euros annuels.

Alors que cet argent échappe aujourd'hui totalement aux comptes de Bercy et aux collectivités locales, il me semble que notre politique en matière d'échanges frontaliers devrait aller dans le sens d'un retour vers la France d'une part de ces impôts prélevés par le Grand-Duché. Dans certaines communes françaises dépendantes de l'emploi frontalier, c'est jusqu'à 70 % de la population active qui passe la frontière quotidiennement, sans qu'elles aient droit à la moindre compensation financière.

Les efforts consentis par le Luxembourg dans l'accord qui nous est soumis aujourd'hui ne sont rien par rapport aux besoins des collectivités en matière d'infrastructures, de collectes des déchets, d'entretien des écoles, entre autres. L'augmentation prévisible du nombre de frontaliers – cela a été dit – , avec la création de 100 000 à 160 000 emplois supplémentaires d'ici à 2035, rend évidemment ce besoin plus pressant que jamais.

Cet accord constitue donc à nos yeux un aveu de faiblesse, puisqu'il exclut tout mécanisme de rétrocession fiscale. Ce mécanisme n'a pourtant rien d'une lubie, vous pouvez me croire. Mis en place, par exemple, en 1973 entre le canton de Genève et les départements frontaliers que sont l'Ain et la Haute-Savoie, il fonctionne tout à fait correctement. En 2019, ce sont ainsi 260 millions d'euros qui ont été répartis entre les deux départements pour être directement reversés aux communes concernées. Je ne crois pas que ce fonctionnement soit hors-sol, mais au contraire très efficace, puisqu'il permet d'effectuer un partage juste des richesses, en refusant de considérer les travailleurs frontaliers comme des personnes qui seraient, au fond, déconnectées de leur territoire.

Le Luxembourg, toutefois, semble rester sourd à cette exigence de justice. Ce n'est pas la première fois, me direz-vous. Mais la situation est ici particulièrement pénible, car elle affecte nos régions de façon directe et visible. Alors que le Luxembourg verse en moyenne à ses communes 7 530 euros par résident et par an, j'estime qu'il devrait jouer son rôle pour répondre aux besoins financiers de territoires qui nourrissent et permettent sa vitalité et, par conséquent, son attractivité économique.

Il y a quelques mois déjà, lors de l'étude d'une convention fiscale entre la France et le Luxembourg, j'avais vertement critiqué cette « politique des petits pas » qui se targue de cultiver le compromis, alors qu'elle est mue par le renoncement permanent. Avec l'accord que nous discutons aujourd'hui, cette logique est encore une fois manifeste. Il me semble qu'il aurait fallu afficher et négocier plus franchement sur ce terrain.

Je tenais donc à exprimer d'abord mon exaspération face à un pays qui ne prend pas ses responsabilités économiques, qui joue la carte du chantage en permanence, et qui prend un air de grand prince en daignant participer au financement d'infrastructures de transport frontalier.

Quant aux dispositions du texte à proprement parler, je tiens à rappeler ici l'exigence écologique que nous devons respecter. On se paie beaucoup de mots, on fait de grands discours, mais dès que l'on en vient à l'application concrète, les choses sont plus complexes, et, en voulant parer au plus pressé et en pensant seulement à ce que l'on peut faire à court terme, on passe peut-être parfois à côté de solutions qui seraient plus à même de répondre à cette exigence environnementale. À ce titre, j'estime que l'accord qui nous est soumis aujourd'hui ne rentre pas dans les clous de la transition que nous appelons de nos voeux.

La fréquentation croissante des lignes de transport entre la région Grand Est et le Luxembourg est loin d'être sans conséquence. Ce sont, chaque jour, près de 95 000 travailleurs transfrontaliers qui empruntent la liaison Metz-Thionville-Luxembourg par voie routière ou ferroviaire, et ce chiffre est évidemment voué à augmenter considérablement dans les prochaines années. Les conséquences ne vous sont pas inconnues : congestion des axes routiers, délitement du réseau ferroviaire qui se manifeste par des pannes très régulières, insuffisance des rames, non desserte de certaines gares… La liste des problèmes est longue, bien plus que la patience des usagers. Heureusement, d'ailleurs : je comprends tout à fait leur impatience.

Alors que cet accord aurait pu donner le la en matière de transports frontaliers écologiques, il entérine, en triplant le nombre d'usagers de cars et en avalisant la construction de parkings relais, un modèle de développement que nous sommes de plus en plus nombreux à dénoncer.

Permettez-moi donc, mes chers collègues, de dire un mot sur la nécessité de développer les lignes ferroviaires. Alors que ce mois de juillet est une période de crise pour la SNCF, qui se trouve confrontée aux méfaits de ce que l'on pourrait appeler sa gouvernance par le chiffre, ou en tout cas de son obsession de la rentabilité au détriment de la desserte de l'ensemble du territoire, de l'égalité devant son service et de la préoccupation impérieuse de la transition énergétique, donc de l'objectif écologiste, je crois utile de rappeler que notre réseau ferroviaire couvre peu ou prou l'ensemble de notre territoire, et contribue à la réduction des inégalités sociales et territoriales, et constitue un atout majeur dans notre lutte contre le changement climatique. Quand on voit aujourd'hui les conséquences de la disparition des guichets, le prix exorbitant de certains trajets – un Paris-Marseille ou un Paris-Nice peut coûter moins cher en avion qu'en train, c'est dire que l'on marche littéralement sur la tête et qu'il y a, encore une fois, un gouffre entre les mots et la réalité des politiques menées ! S'y ajoute encore la disparition de certaines lignes mal entretenues. Tout cela donne un grand sentiment de gâchis.

Le patron de la SNCF, Guillaume Pepy, a appelé vendredi dernier, justement, à débattre de l'avenir des petites lignes ferroviaires menacées de disparition – c'est bien d'ouvrir le débat, mais cela donne toujours une certaine inquiétude sur son issue ; et la ministre des transports, Élisabeth Borne, a chargé le préfet Philizot d'en réaliser un diagnostic complet – très bien, partons d'un diagnostic, en espérant qu'il ne se termine pas par des propositions de fermeture. Dans ce contexte, il me semble d'autant plus important de redonner un sens à ce transport qui est progressivement abandonné par la puissance publique.

Je tiens à répéter que le développement du transport routier tel qu'il est décrit dans cet accord ne nous paraît pas répondre aux objectifs de développement durable, et ne tire pas totalement profit d'un réseau ferroviaire qu'il nous faut revitaliser.

Dans bien d'autres cas, on a vu des lignes être supprimées. Je pense même, tout près d'ici, à la petite ceinture parisienne. Je me souviens de ce débat, auquel j'ai participé avec le groupe communiste au Conseil de Paris : une sacrée bataille, pour dire qu'il ne fallait pas fermer cette ligne qui permettait le transport de marchandises. On l'a fermée et, aujourd'hui, on le regrette.

Ce qui m'inquiète, c'est le risque croissant que les appels à davantage de covoiturage – nous y sommes favorables, évidemment, c'est toujours mieux que d'être seul dans sa voiture – restent sans effet suffisant, malgré les encouragements. Je crains que, au total, le compte n'y soit pas, que le partage ne soit pas vraiment au rendez-vous.

Au fond, on aurait pu avoir davantage de garanties et d'engagements du côté du Luxembourg, et cet accord aurait pu mieux respecter nos objectifs environnementaux, écologistes.

C'est pour cette raison – sans prétendre que ce texte soit scandaleux – que nous manifestons notre humeur ; le groupe La France insoumise s'abstiendra donc.

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