Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du lundi 8 juillet 2019 à 16h00
Accord de partenariat entre l'union européenne euratom et l'arménie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

Nous devons maintenant nous prononcer au sujet d'un accord dont l'amplitude se mesure à sa longueur : près d'un millier de pages, pas loin de quatre cents articles, douze annexes, deux protocoles, une déclaration commune. Se dresse devant nous une pierre imposante que l'on nous propose d'ajouter à l'édifice du partenariat oriental mené par l'Union européenne.

L'Arménie est un pays, je le dis à mon tour, qui nous est particulièrement cher. La tenue, dans ce pays, du dernier sommet de la francophonie, est un symbole fort. La France a reconnu en 2001 – bien tardivement, mais mieux vaut tard que jamais – le génocide arménien qui a laissé des traces profondes, dans notre pays comme dans le monde entier. Cette reconnaissance mit tant de temps à intervenir qu'elle nous invite à réfléchir aux autres massacres perpétrés dans le monde mais que nous peinons à regarder en face.

S'il existe des leçons de l'histoire, celle-ci serait à retenir.

Je souhaite cependant modérer votre enthousiasme pour vous inviter à une certaine prudence.

Cet accord s'inscrit dans le cadre de la politique de voisinage menée par l'Union européenne. Destinée à européaniser les marges orientales par l'exportation de normes législatives et l'intégration au marché unique, cette stratégie constitue depuis 2009 un élément fondamental de la politique extérieure de l'Union européenne. Ne soyons pas dupes : il s'agit également de mener un jeu d'influence contre le déploiement de la Russie dans la région, par le biais de l'expansion de l'Union eurasiatique. Celle-ci, à laquelle appartient l'Arménie, limite considérablement la capacité de ses membres à s'aligner sur les législations européennes.

Cet accord n'est donc pas un véritable accord de libre-échange, mais il renforce considérablement le partenariat politique et économique entre l'Union européenne et l'Arménie. Très touffu, le texte balaye un large panorama de sujets, depuis la prévention des conflits jusqu'à la coopération en matière de migrations, en passant par les objectifs liés au développement durable.

Bien sûr, certains articles emportent mon enthousiasme, comme l'article 9, consacré à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive.

Cependant, deux aspects de ce texte appellent une plus grande vigilance et justifient la retenue de notre groupe.

Revenons tout d'abord sur la dimension énergétique. Le partenariat oriental entre l'Union européenne et ses voisins d'Europe de l'est et du Caucase du sud vise, notamment, à assurer la viabilité des échanges dans le domaine de l'énergie. L'Union européenne dépend très fortement, en effet, des importations d'énergies fossiles. Elle importe 90 % de son pétrole et 70 % de son gaz naturel – une situation au demeurant tout à fait intenable.

Vous vous en doutez, je suis favorable à la fermeture de la centrale nucléaire de Medzamor, considérée comme l'une des moins sûres au monde. Obsolète sur le plan technique et située dans une région à haut risque sismique, c'est une épée de Damoclès qui fait peser un risque pour tout le continent. Je vous invite à suivre la récente série Chernobyl, qui vous donnera une idée des conséquences d'une catastrophe nucléaire. C'est terrifiant.

Les dernières déclarations du Premier ministre arménien, au sujet d'une prolongation de l'exploitation du réacteur nucléaire de la centrale jusqu'en 2040, sont à nos yeux inquiétantes. La centrale fournit plus de 40 % de l'électricité arménienne. Cette dépendance énergétique, qui n'est pas sans rappeler la nôtre, met en péril le projet de fermer la centrale. Déjà, en 1999, un précédent accord de partenariat entre l'Union européenne et l'Arménie qui prévoyait de développer des énergies alternatives afin de fermer la centrale, n'avait pas abouti.

Je crains que cet accord ne se traduise, in fine, par un soutien à la filière nucléaire civile arménienne ; les objectifs en faveur du développement durable affichés dans l'accord me laissent sceptique. Nous aurions dû être bien plus offensifs, aussi bien pour prévenir les dangers du plan nucléaire que pour développer des alternatives pour accompagner la fermeture de cette centrale.

Je souhaite également appeler votre attention sur l'esprit général de cet accord qui entérine l'alignement de l'Arménie sur les pratiques et les règles économique de l'Union Européenne, érigée encore une fois en modèle à atteindre.

Je ne vous étonnerai pas en vous rappelant notre amour pour l'orientation actuelle de l'Union européenne – j'ironise ! Le fait que cet accord réponde aux principes très libéraux qui régissent les normes économiques européennes nous pose problème.

Cet accord réaffirme le cadre de l'Organisation mondiale du commerce – OMC – comme celui dans lequel se développent les relations commerciales entre l'Union européenne et l'Arménie. Il fait du libre-échange un vecteur de développement se suffisant à lui-même. Cette logique, également à l'oeuvre dans d'autres accords tels que le traité avec le Mercosur ou le CETA, signé avec le Canada et dont nous en parlerons dès demain en commission et la semaine prochaine dans cet hémicycle, est mortifère. Elle consacre l'affaiblissement des économies locales et le délitement des structures existantes en fondant la coopération sur la mise en concurrence d'acteurs privés qui grossissent à mesure que les États faiblissent.

Alors que l'obsession du libre-échange est de plus en plus évidemment le point faible de l'Union européenne, alors qu'elle abîme la démocratie en éloignant les peuples des décisions, la volonté d'en faire la pierre angulaire de cet accord me paraît absolument déconnectée des préoccupations actuelles. En l'occurrence, les engagements de l'OMC sont totalement insuffisants, voire contre-productifs, au regard des objectifs en matière d'emploi, d'écologie, de développement et de relocalisation de l'économie auxquels peut aspirer la population arménienne. Certains articles de l'accord, qui entendent éliminer les obstacles techniques au commerce ou mettre en place un mécanisme de règlement des différends, constituent des raisons suffisantes pour que nous ne soutenions pas ce texte.

L'objectif affiché de créer un environnement économique favorable pour les opérateurs économiques par l'amélioration du cadre administratif et réglementaire annonce une métamorphose des structures étatiques arméniennes qui devrait nous faire réfléchir, à l'heure où le modèle libre-échangiste est de plus en plus contesté à l'échelle mondiale, à raison d'ailleurs.

Enfin, j'appelle votre attention sur les formulations bien trop floues d'un accord qui, bien que très complet, s'en tient parfois à des incantations et fait la part belle à une forme de langage creux et technocratique. Il y est ainsi écrit : « L'Arménie prend des mesures supplémentaires pour mettre en place une économie de marché qui fonctionne bien. » Qu'est-ce qu'une économie de marché qui fonctionne bien ? Je vous en laisse juges. Ou encore : « L'Union européenne aidera l'Arménie à mettre en place des politiques macroéconomiques saines. » Qui détermine si les politiques macroéconomiques sont saines ou malsaines ? À moins qu'il ne s'agisse, plutôt que d'une appréciation, du présupposé de ceux qui signent cet accord : du côté européen, on voit très bien à quoi il peut correspondre.

Je souhaite saluer, à mon tour, la transition démocratique arménienne, la « révolution de velours », qui fête sa première année. Une mobilisation populaire extraordinaire s'est exprimée au printemps 2018 contre la corruption et pour la liberté. Elle exige justement de nous, aujourd'hui, que nous soutenions, ici comme ailleurs, le développement de sociétés émancipées. Vous connaissez nos convictions : une société émancipée et éprise de liberté et de démocratie ne saurait se satisfaire de cette logique économique de dérégulation, de concurrence et de compétitivité, qui s'assoit sur les normes de droit et de protection et sur la possibilité de mener, à l'échelle planétaire comme à celle des nations, des politiques de transition écologique.

Parce que cet accord ne nous semble favoriser ni le développement de la liberté ni le progrès social et écologique, le groupe La France insoumise s'abstiendra.

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