Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du mardi 9 juillet 2019 à 15h00
Office français de la biodiversité - application du cinquième alinéa de l'article 13 de la constitution — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

La question écologique est la question clé, au sens strict, de notre époque : sa résolution nous ouvrira, ou laissera à jamais fermées, les portes des siècles à venir. Notre réflexion doit être à la hauteur du problème.

La question de la biodiversité ne se résume pas à la préservation de quelques espèces exotiques qui nous entourent, ici ou là. Trop souvent, elle a été pensée dans des termes qui, compte tenu des faits qui se présentent désormais à nous, sont inadéquats. La biodiversité devait être préservée pour elle-même, sa beauté fascinante étant le corollaire de son extériorité supposée. C'est pourquoi l'imaginaire collectif s'est plus souvent saisi des baleines, phoques et autres ours polaires que des insectes, qui disparaissaient dans des proportions colossales : pour attirer l'attention sur soi, mieux valait être joli ; un mammifère, à ce jeu, avait plus de chances de l'emporter qu'un insecte, à de rares exceptions près.

Désormais, la situation est devenue tout autre : il n'est plus possible de poser le problème en termes symboliques, aussi justes et poignants que soient ces symboles. En trente ans, 80 % des insectes ont disparu d'Europe. Sur la même période, 421 millions d'oiseaux ont disparu, soit un tiers des effectifs. L'une des raisons en est que les oiseaux mangent des insectes. L'urbanisation croissante des terres, l'usage récurrent des pesticides, les effets désastreux du remembrement des années 1950 aux années 1980, le changement climatique qui s'intensifie : autant de facteurs qui contribuent à provoquer la situation actuelle, celle d'une sixième extinction de masse des espèces.

La cinquième extinction, assez fameuse, fut celle des dinosaures, il y a 66 millions d'années. Si je rappelle ces chiffres, c'est pour donner la mesure – ou plutôt la démesure – du problème que nous affrontons. L'homo sapiens, c'est-à-dire nous, est âgé de 300 000 ans. Autant dire qu'il n'a jamais connu difficulté de cette ampleur. Il me paraît fondamental de rappeler que notre espèce s'inscrit dans un ordre matériel. Là réside le fait le plus important de notre époque : nous nous rendons compte, de plus en plus, que nous sommes au milieu de la nature – ni en son centre, ni au-dessus, ni dehors, mais en plein dedans.

Les changements institutionnels en jeu ici, dont nous avons déjà discuté, constituent sans doute une réponse partielle au problème. Nous sommes certes favorables à la fusion de l'AFB et de l'ONCFS.

Néanmoins, une partie ne vaut que par l'ensemble dans lequel elle s'inscrit. C'est là que le bât blesse, madame la secrétaire d'État : l'ensemble dans lequel s'inscrit la partie institutionnelle de votre projet ne conteste en rien les structures fondamentales qui menacent l'existence humaine en détruisant le monde vivant qui la permet.

Prenons un exemple concret : pour remédier au problème de la disparition massive des oiseaux et des insectes, il faut changer de modèle agricole. Mais, pour cela, il faut affronter avec détermination les intérêts de l'agro-industrie et imposer le rétablissement de haies pour réparer le désastre du démembrement. Songez que, depuis les années 1950, 750 000 kilomètres de haies ont été détruits dans les bocages français !

Pourtant, que faites-vous ? Avec l'article 3 bis, vous ouvrez la possibilité de déroger aux interdictions de chasse, notamment pour prolonger la chasse aux oies cendrées, ce qui est contraire au droit européen. Nicolas Hulot avait démissionné pour protester contre l'influence du lobby des chasseurs ; vous avez, semble-t-il, intégré le Gouvernement avec leur bénédiction.

De nombreuses associations, des agriculteurs engagés et des citoyens qui ont pris conscience de ce problème majeur proposent un autre modèle, mais vous ne les écoutez pas. Rompre avec la logique de concentration des terres et la monoculture, favoriser la paysannerie écologique et soutenable : voilà l'horizon, celui-là même que vous refusez de rejoindre lorsque vous acceptez sans broncher les traités de libre-échange avec le Canada ou avec le Brésil de Bolsonaro, dont l'action contre les peuples indigènes est criminelle.

La concentration toujours accrue des moyens de production est une loi générale du capitalisme que vous auriez le plus grand mal à nier. Or cette concentration est incompatible, dans bien des domaines, avec la survie de l'espèce et du vivant. Voyez l'élevage : quand vous aurez mis à bas les normes qui séparaient la France du Canada ou du Brésil, on aura partout des fermes des mille vaches et des poulaillers aux dizaines de milliers de têtes. Ce monde répugnant que vous préparez n'est en aucun cas compatible avec une logique générale de préservation de la biodiversité.

Pour maîtriser les logiques folles qui nous mènent au désastre, nous avons besoin d'une puissance publique forte. Par conséquent, même si la fusion que vous opérez ici est logique, nous craignons qu'elle mène, comme souvent, à la suppression d'équivalents temps plein. Nous rejoignons en cela les préoccupations du Conseil de défense écologique, créé contre votre gré et contre votre politique.

Ce n'est pas en cédant à l'appétit du capitalisme pour le monopole privé que nous sauverons la diversité du vivant ; l'intérêt et la cupidité ne sauraient être notre salut. Cette fable libérale a plus de deux siècles et elle a prouvé avec éclat sa dangerosité radicale. L'erreur est humaine, madame la secrétaire d'État, mais persévérer est diabolique.

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