Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du jeudi 4 juillet 2019 à 9h25
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bourlanges :

Je suis tout à fait d'accord avec l'inspiration des rapporteurs, qui définissent des objectifs très clairs et très légitimes. Je suis tout de même très réservé sur un certain nombre de choses. Je ne voudrais pas que dans cette affaire, nous soyons hostiles au libre-échange, et favorable au protectionnisme.

André Chassaigne a cité David Ricardo, c'est très bien. Dans la lutte sociale en Angleterre, durant la première moitié du XIXe siècle, c'étaient les ouvriers qui étaient avec Ricardo, et les landlords, grands propriétaires fonciers, qui étaient contre. En France, quand nous avons eu une tentative protectionniste, incarnée par le Président Méline, la droite le disait sauveur de l'agriculture française, et dans les faubourgs ouvriers, le slogan était « Méline, pain cher ». Le libre-échange est, de manière générale, favorable globalement au consommateur. Je me souviens de mon professeur à la Sorbonne, qui était un homme très estimable et militant communiste : Jean Bruhat. Il nous rappelait que le protectionnisme de Méline était tout à fait contraire aux intérêts de la classe ouvrière.

Sur ce qui s'est passé au cours des trente dernières années, je dirais, pour citer Georges Marchais, que le bilan a été globalement positif. On a eu une diminution massive de la faim dans le monde et de la pauvreté, une augmentation considérable de la classe moyenne, même si, effectivement, rien n'est satisfaisant, et le bilan environnemental est loin de l'être. Je crois qu'il ne faut pas lier les deux choses. Le problème d'un libre-échange convenablement géré porte sur la manière dont sont gérées les externalités. Là où le Président Chassaigne a raison, c'est que les externalités ne sont pas suffisamment prises en compte. Je ne crois pas que ce soit une mesure à prendre unilatéralement en France ou en Europe, mais le kérosène des avions ou le fioul des bateaux n'ont pas à bénéficier d'une taxation exagérément favorable. C'est une distorsion de la concurrence. Il faut que les externalités soient prises en compte. C'est tout le sens de notre action en matière européenne.

Ma deuxième remarque, et c'est là que le maximalisme que j'ai pu entendre m'inquiète, c'est que nous avons des intérêts économiques et commerciaux, liés à la croissance et à la lutte contre le chômage. Nous, Européens, avons intérêt à pouvoir exporter. Il ne faut pas mésestimer ces intérêts. Nous sommes en face de gens qui sont nos adversaires dans ces négociations. Je ne me prononce pas sur le MERCOSUR, car il y aurait beaucoup à dire, mais ce qui est clair, c'est que cela a été jusqu'au bout un bras de fer géopolitique entre l'Europe et Trump. La pression exercée par les Américains pour empêcher les Argentins et les Brésiliens de signer a été considérable. Il s'est joué dans ce bras de fer une part du multilatéralisme. Je ne voudrais pas que nous perdions cela de vue.

Dans le CETA ou les accords avec la Corée du Sud (qui ont été très positifs pour notre industrie), il y a la volonté d'échanger mais aussi de réguler. Il ne faudrait pas, dans ce rapport, jeter le bébé avec l'eau du bain. Je comprends bien qu'on soit inquiets sur le MERCOSUR, parce que le président Chassaigne l'a dit très justement : c'est un accord très intéressant pour beaucoup de secteurs, mais dans lequel la variable d'ajustement est clairement les agriculteurs, et plus particulièrement les éleveurs. Il n'est pas normal qu'on sacrifie un secteur.

Globalement, je pense que, premièrement, nous devons continuer la politique d'organisation et de libéralisation des échanges. Deuxièmement, je ne voudrais pas qu'il y ait une solidarité entre les écologistes et M. Trump. Troisièmement, je crois que le mieux est l'ennemi du bien ; lors de la conclusion d'accords internationaux, il est vrai que l'on n'obtient pas tout ce que l'on voudrait et qui soit 100 % en phase avec des valeurs européennes. La mesure de cela n'est pas seulement nos convictions mais, comme dirait Max Weber, notre responsabilité. Il s'agit de savoir si nous y gagnons globalement, en tant que normateurs, que producteurs, que consommateurs, ou si nous y perdons. C'est un engagement relativiste, là où certaines déclarations ont un peu tendance à être absolutistes.

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