Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du jeudi 18 juillet 2019 à 15h00
Règlement du budget et approbation des comptes de l'année 2018 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

J'ai bien noté ce que vient de dire Laurent Saint-Martin : la loi de règlement serait à ce point technique qu'on ne saurait en faire un objet politique. Ce n'est pas, à mes yeux, à la majorité de décider du type de commentaire ou de remarque que l'opposition est appelée à formuler. Vous me permettrez donc de porter un jugement politique sur ce texte, qui résume la manière dont a été appliquée une loi de finances – il est donc éminemment politique.

Toute l'année, La France insoumise n'a cessé de s'opposer aux décisions financières injustes et destructrices du Gouvernement et de la majorité, dont le présent texte n'est au fond qu'un révélateur. Nos arguments ont malheureusement été souvent ignorés, nos propositions balayées. Un an plus tard, l'heure du bilan est venue, et celui-ci est bien triste. Tous ces chiffres bien rangés, qui semblent si bien vous contenter, nous savons qu'ils correspondent à des réalités dramatiques sur le terrain et dans la vie des gens.

Lorsque, tout satisfaits que vous êtes de répondre aux exigences arbitraires de Bruxelles et de sa règle absurde des 3 %, vous vous réjouissez de la baisse du déficit public, passé à 2,5 % du PIB, nous savons quel a été son coût : celui de l'austérité, du recul des services publics et de l'augmentation de la misère dans notre pays.

Vous semblez en revanche considérer le bien-être de vos concitoyens et le bon fonctionnement de notre société comme les derniers de vos soucis. Comment expliquer sinon que vous vous soyez permis une sous-exécution de 1,4 milliard par rapport au budget total prévu dans la loi de finances initiale ? Lorsque vous dépensez 420 millions d'euros de moins que prévu en personnels, alors même qu'il s'agit de crédits votés et approuvés par le Parlement, que doit-on en déduire ?

Pensez-vous vraiment qu'il n'y a aucun besoin en agents publics à combler aujourd'hui en France, et que ces crédits étaient superflus ? Peut-être vivez-vous dans un monde parallèle où tout va bien, où ni les hôpitaux, ni les écoles, ni les tribunaux, ni aucun service public ne ressentent le manque catastrophique de moyens. Dans ce monde parallèle, peut-être n'y avait-il aucun intérêt à utiliser cet argent pour aider les personnels et soutenir nos institutions. Mais dans notre monde, qui est le monde réel, les services publics sont en crise, les personnels et les usagers sont épuisés et se sentent, à raison, délaissés.

Alors que le budget que vous aviez prévu pour eux était déjà insuffisant, vous n'avez même pas eu la décence de le respecter. Vous devez donc assumer vos belles colonnes de chiffres, en ne choisissant pas seulement les chiffres qui vous plaisent bien, ceux qui vous donnent l'air faussement sage et raisonnable. Vous devez les assumer pour ce qu'ils signifient vraiment. Il faut, par exemple, aller dire aux malades dans les hôpitaux ou aux personnels soignants épuisés qu'ils n'ont rien compris, qu'il y a trop de personnels, et que vous n'auriez pu rémunérer aucune personne supplémentaire avec ces millions non exécutés. Allez leur dire votre vérité, alors que les services d'urgences sont en crise – vous le savez bien – et vous appellent à l'aide depuis des mois !

Il en est de même de toutes les annulations d'autorisations d'engagement et de crédits de paiement non reportés sur 2019 : je ne crois pas un seul instant que des centaines de millions d'euros de crédits ont pu être tranquillement annulés sans que cela mette à mal les missions pour lesquels ils avaient été prévus et votés. En pleine crise écologique, n'est-il pas insensé d'annuler plus de 530 millions d'autorisations d'engagement et 19,6 millions de crédits de paiement pour la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ? Et la mission « Outre-mer », n'aurait-elle sérieusement pas pu utiliser ses 73,8 millions de crédits de paiement, la mission « Travail et emploi » ses 14,2 millions et la mission « Justice » ses 53,6 millions ?

La liste morose de ces missions délaissées est encore longue, alors que chacune d'entre elles est précieuse et essentielle à l'intérêt général, alors que chacun de ces secteurs a infiniment besoin de ces crédits. Pourtant, vous n'avez eu aucune honte à les mettre silencieusement de côté, et pour quel résultat ? Même en prenant en compte vos propres critères de réussite, le compte n'y est pas ! Prenons l'exemple de la croissance, dont vous dites, dans l'exposé des motifs, qu'elle « confirme la solidité de l'économie française ». Elle est en fait passée de 2,3 % à 1,6 % en 2018, alors que la croissance mondiale se maintient à 3,7 %.

Et pour 2019, seuls les 17 milliards que vous avez concédés au mouvement des gilets jaunes en matière de consommation populaire vous ont permis, en provoquant une hausse de la croissance de 0,3 %, de relever la tête par rapport aux autres pays européens, ce qui montre bien que la France a besoin non pas d'une politique de l'offre, mais bien d'une politique de la demande.

Ce serait un moindre mal si ce ralentissement n'était pas le signe et la conséquence directe de vos mesures austéritaires et de la misère qu'elles aggravent ou qu'elles créent. Et le Gouvernement ose, en plus, se targuer d'une hausse de 1 % du pouvoir d'achat des ménages, alors que nous savons très bien que ce chiffre cache une réalité aussi triste qu'inédite, celle de l'augmentation croissante des inégalités. Car vous vous gardez bien de nous donner plus de détails sur les catégories de revenus qui ont profité de cette hausse, et ce n'est pas un hasard : ce sont les plus riches qui y gagnent, comme d'habitude !

Selon l'IPP – Institut des politiques publiques – , si on prend les effets cumulés des mesures de 2018 et 2019, les 1 % les plus riches de nos concitoyens ont connu un gain annuel moyen de 3 016 euros ! Pire encore : les 0,1 % les plus aisés ont connu une augmentation de 17,5 % de leur revenu disponible depuis l'arrivée de M. Macron, alors que le stock était déjà important, ce qui représente des gains annuels allant de 32 000 euros à plusieurs centaines de milliers pour des ménages déjà extrêmement riches. S'il y a un pouvoir d'achat qui a augmenté dans notre pays, c'est bien celui de ceux qui n'en avaient absolument pas besoin !

Pendant ce temps, ce sont les 9 % les plus modestes qui sont perdants, ceux que vous devriez protéger, ceux que vous devriez aider. Au lieu de cela, ceux qui ont déjà tant de peine à s'en sortir chaque mois perdent encore un peu plus à chacune de vos réformes – je pense notamment à la diminution des aides personnalisées au logement – APL. Alors que nous ne cessons de vous proposer des solutions concrètes pour le bien de tous, vous y préférez systématiquement les tours de passe-passe au bénéfice des plus puissants : cela vaut pour la loi de finances comme pour la privatisation d'Aéroports de Paris – ADP – ou le Comprehensive Economic and Trade Agreement – CETA – , que vous avez passé en force hier. En réalité, vous préférez le profit et le libre commerce à l'intérêt général. Au lieu de nous écouter et d'écouter les économistes, qui vous encouragent à profiter des taux d'intérêt historiquement bas pour enfin lancer un grand plan d'investissement, celui dont nous aurions tellement besoin, ne serait-ce que pour répondre à la question de l'écologie, vous préférez couper à la hache dans les budgets.

Vous préférez, par exemple, protéger et chérir les niches fiscales, dont le montant a augmenté de 6,7 milliards d'euros entre 2017 et 2018. Puisque le secrétaire d'État nous y a invités, je saisis l'occasion pour saluer l'excellent rapport d'information de Joël Giraud sur l'application des mesures fiscales, qui évalue les dépenses fiscales à 99,3 milliards d'euros. Les dépenses fiscales, c'est moins de recettes pour l'État. Pour notre part, nous préférons tailler dans les dépenses fiscales qui, comme le montre le rapport, avantagent encore les plus riches, que dans les dépenses publiques. De même, selon le rapport, ce sont les entreprises qui profitent le plus de ces dépenses fiscales, puisqu'elles bénéficient des deux tiers de celles-ci. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE – est l'archétype de ce type de dépenses. C'est une vraie gabegie : l'État jette de l'argent par la fenêtre sans demander aucune contrepartie en matière d'emploi.

M. Le Maire a récemment promis que la baisse de l'impôt sur le revenu de 5 milliards d'euros serait pour la plus grande part financée par une diminution des niches fiscales des entreprises. Le Gouvernement ne parle désormais que de 1,5 milliard, et ce sera bientôt 600 millions d'euros. J'espère que le rapporteur de la commission des finances défendra des amendements qui s'inspirent du rapport et que la majorité saura les soutenir, même en cas d'avis défavorable du Gouvernement.

S'agissant du présent projet de loi de règlement, vous vous félicitez de la création de votre fonds pour l'innovation, qui doit être abondé par l'argent issu des privatisations de la Française des jeux – FDJ – , d'Engie et d'ADP, alors que la Cour des comptes elle-même ne voit pas l'intérêt de ce qu'elle qualifie de « mécanique budgétaire complexe et injustifiée ». Ce fonds disposera, selon vous, de 10 milliards, alors que la Cour des comptes explique qu'il s'agit d'opérations inutilement compliquées, qui en pratique ne financeront l'innovation qu'à hauteur des intérêts rapportés par ce fonds, soit 250 millions d'euros, trois fois moins que ce que rapportent aujourd'hui les rentes de ces entreprises, dans lesquelles l'État est majoritaire. Ce fonds est un simple prétexte à vos privatisations scandaleuses, comme celle de la FDJ ou d'ADP. J'en profite pour appeler une fois de plus les Français à aller signer la pétition : si nous recueillons 4,7 millions de signatures, nous pourrons obtenir un référendum.

Derrière vos effets de communication, la grande majorité des Français continuent à perdre tous les jours un peu plus de leurs conquêtes sociales – comme en témoignent encore les annonces de ce matin sur les retraites – , et tout simplement un peu plus de leur argent, au bénéfice de quelques-uns.

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