Intervention de Nathalie Loiseau

Séance en hémicycle du lundi 23 octobre 2017 à 16h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 - projet de loi de finances pour 2018 — Article 27 et débat sur le prélèvement européen

Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la présidente de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le rapporteur spécial de la commission des finances, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les députés, j'ai eu l'honneur, le 10 septembre dernier, de participer dans cet hémicycle, avec Jean-Yves Le Drian, au débat sur l'avenir de l'Europe. Je ne reviendrai donc pas aujourd'hui dans le détail sur les ambitions du Président de la République pour refonder l'Union européenne, afin qu'elle soit plus efficace, plus protectrice, plus proche des aspirations de nos concitoyens. C'est bien à l'échelle de l'Europe que nous pourrons réellement garantir notre souveraineté.

Notre débat est de plus court terme et plus prosaïque, puisque je viens demander à la représentation nationale d'autoriser le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne pour l'année 2018. Mais il est évidemment fondamental, car ce prélèvement est la condition même de la poursuite du fonctionnement de l'Union et, partant, de sa refondation. C'est aussi une occasion démocratique importante pour évoquer avec vous la valeur ajoutée européenne des politiques communes menées par l'Union.

Au-delà donc des données budgétaires sur lesquelles vont porter nos échanges, je souhaite que ce débat nous permette d'examiner ensemble les bénéfices que la France retire de sa contribution au financement du budget européen, lesquels vont bien au-delà du simple taux de retour français au titre des différentes politiques communautaires.

Mesdames, messieurs les députés, le montant du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne s'élève à 20,2 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2018, soit une augmentation d'environ 8 % par rapport à l'année précédente. Ce ressaut de l'ordre de 1,5 milliard d'euros s'explique par la hausse du volume de crédits proposée par la Commission européenne dans son projet de budget pour l'année 2018 par rapport au budget adopté l'an dernier. C'est un phénomène classique, que les spécialistes présents aujourd'hui dans l'hémicycle connaissent bien : avec l'approche de la fin d'un cadre financier pluriannuel, les projets lancés progressent, et le volume de crédits de paiement nécessaires aussi. Cette tendance haussière du prélèvement sur recettes devrait se poursuivre en 2019 et 2020 en raison du rattrapage programmé de la mise en oeuvre de la politique de cohésion.

Pour appréhender ce montant, il est tout d'abord légitime de s'interroger sur la façon dont nous nous situons par rapport aux autres États membres. La France se plaçait en 2016, selon les derniers chiffres disponibles pour le calcul de notre solde net, à la deuxième place des contributeurs nets en volume, après l'Allemagne. Par ailleurs, notre pays était, au même moment, le troisième bénéficiaire en volume des dépenses de l'Union, après l'Espagne et l'Italie.

Mais ces indicateurs statistiques sont par nature réducteurs, puisqu'ils ne permettent pas d'appréhender l'ensemble des bénéfices de notre appartenance à l'Union européenne, en particulier de notre appartenance au marché unique et à la zone économique la plus riche du monde. S'il est bien difficile de chiffrer ces avantages – et j'ai conscience que c'est un grave défaut devant des experts budgétaires – , je souligne que, a contrario, la sortie annoncée du Royaume-Uni de l'Union, que le Gouvernement regrette – je tiens à le redire ici devant vous – , montre l'ampleur des coûts liés au Brexit : ralentissement de l'investissement dans l'économie britannique, incertitude des acteurs économiques et des partenaires commerciaux, départ de certaines banques et acteurs financiers, etc.

Plus généralement, le budget de l'Union européenne constitue un instrument précieux, dont les actions bénéficient de manière très concrète à l'ensemble de nos territoires.

Je pense bien entendu à la politique agricole commune, qui, à la fois, contribue à garantir un revenu aux agriculteurs, concourt à l'aménagement de notre territoire et accompagne les efforts des agriculteurs vers la transition écologique.

J'évoquerai aussi le Fonds européen pour les investissements stratégiques, mis en place dans le cadre du plan Juncker, qui permet de soutenir des projets sur l'ensemble du territoire, et dont la France est fortement bénéficiaire.

En outre, au fil de mes entretiens, je mesure pleinement l'importance, pour leurs bénéficiaires, de certaines politiques au titre desquelles nos taux de retour sont notoirement plus faibles : les fonds structurels tout d'abord, qui appuient des projets locaux concrets et auxquels je sais combien les régions, même l'Île-de-France, sont attachées ; et comment ne pas souligner également le rôle capital joué par le Fonds européen d'aide aux plus démunis, qui permet de financer un repas sur quatre proposés par les Restos du coeur – ainsi que me le rappelait récemment leur président, Patrice Blanc – et apporte ainsi une aide alimentaire indispensable aux plus fragiles ?

Dans chacune de ces situations, l'appui du budget européen joue un rôle essentiel, sans que nos concitoyens en aient toujours pleinement conscience. D'où l'importance de parler d'Europe et de faire parler d'Europe ; ce sera l'un des enjeux des conventions démocratiques que nous lancerons l'an prochain, et pour lesquelles je solliciterai votre appui.

La France bénéficie aussi, au travers du budget européen, des avantages constitués par des politiques menées à l'échelle des vingt-huit États membres et des 500 millions d'Européens, qu'il s'agisse de mutualiser des dépenses, de coordonner l'action des États membres ou encore d'assurer une solidarité avec les États membres qui en ont le plus besoin.

Ces effets positifs peuvent être considérables, qu'il s'agisse de promouvoir l'excellence européenne en matière de recherche et d'innovation ou de développer des infrastructures transfrontalières et des grands projets européens. Je relève à ce propos combien notre pays tire profit des crédits du Mécanisme pour l'interconnexion en Europe. Dans certains cas, l'action de l'Union européenne est tout simplement la seule façon de pouvoir financer des projets aussi ambitieux que le système de positionnement par satellite européen Galileo, par exemple. À l'inverse, nous voyons bien les coûts de l'absence d'Europe, notamment de l'absence de coordination des taux de l'impôt sur les sociétés.

En définitive, débattre de notre contribution au budget européen, c'est bien débattre de l'ambition que nous défendons pour l'avenir de l'Union européenne et des domaines sur lesquels nous souhaitons qu'elle agisse.

J'en viens au projet de budget européen pour 2018. La Commission a présenté en mai dernier son projet, le cinquième de l'actuel cadre financier pluriannuel 2014-2020. Il s'élève à 160,6 milliards d'euros en crédits d'engagement et à 145,4 milliards d'euros en crédits de paiement. Si le montant total du budget de l'Union européenne est significatif et si notre participation à ses recettes représente un effort important pour les finances publiques, je veux rappeler ici que sa taille, rapportée au revenu national brut de l'Union, représente simplement de l'ordre de 1 % de la richesse produite dans l'ensemble des États membres.

Ce projet de budget vise tout d'abord à stimuler la croissance, l'investissement, l'emploi et les mesures en faveur de la jeunesse. Ces priorités budgétaires sont notamment liées à la montée en charge progressive de programmes comme Erasmus + et à celle du Fonds européen pour les investissements stratégiques, que j'ai évoqué précédemment.

Le plan Juncker, qui monte donc en puissance, continue de bénéficier largement aux porteurs de projets en France, grâce à une forte mobilisation pour identifier et accompagner les projets éligibles. Notre pays est ainsi le premier bénéficiaire des projets du volet « infrastructures et innovation » de ce plan.

Une centaine de décisions de financement ont été prises pour la France, procurant des investissements à hauteur de 35 milliards d'euros dans des secteurs porteurs tels que la transition énergétique, avec le soutien du Fonds Capenergie 3, dédié au développement des énergies renouvelables, le financement du très haut débit en zone rurale dans les Hauts-de-France et en Alsace ou bien encore le développement de start-up issues des milieux académiques grâce au fonds académique Quadrivium.

Au niveau européen, les résultats obtenus par le plan Juncker sont également remarquables, puisque les trois quarts de l'objectif de 315 milliards d'euros visé pour l'ensemble du plan ont déjà été réalisés. L'objectif sera d'ailleurs porté à 500 milliards dans le cadre de l'extension en cours du plan.

De son côté, la politique de cohésion économique, sociale et territoriale continue à accompagner les projets en faveur de la croissance et de l'emploi portés au niveau régional, grâce à l'appui du Fonds européen de développement régional, le FEDER, et du Fonds social européen, le FSE, pour un montant total de l'ordre de 15 milliards d'euros sur la période 2014-2020. Les conseils régionaux, auxquels a été confiée la gestion de ces fonds structurels européens, disposent là d'un levier important au service du développement économique de leur territoire.

Ce budget permet également de financer la politique agricole commune, qui soutient nos agriculteurs à travers les aides directes et les dépenses de marché, lesquelles connaissent une légère augmentation par rapport au budget voté l'année dernière.

Le budget pour 2018 a aussi pour ambition de faire en sorte que l'Union soit plus en mesure de répondre aux urgences et aux crises. Depuis le début de l'année 2015, la réponse apportée par l'Union à la crise des migrants et des demandeurs d'asile s'est ainsi déclinée non seulement sur le plan externe, à travers le renforcement de l'aide humanitaire et des efforts de développement avec les pays tiers, mais aussi sur le plan interne, à travers l'accueil des personnes en besoin de protection internationale ou encore un meilleur contrôle des frontières extérieures. Le projet de budget pour 2018 prévoit ainsi un renforcement des moyens destinés à l'aide humanitaire ainsi que la poursuite de la montée en puissance de l'agence FRONTEX de gestion des frontières extérieures, devenue depuis lors l'Agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes.

Au-delà de la question du budget de l'UE pour la seule année 2018 qui nous occupe aujourd'hui, je vous invite à nous interroger ensemble sur l'évolution dans la durée des moyens d'action de l'Union et sur leur adéquation aux nouvelles priorités et aux nouveaux défis auxquels l'Union est confrontée.

La révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel – CFP – 2014-2020, adoptée par le Conseil le 20 juin dernier après accord du Parlement européen, constitue une avancée positive. L'enjeu de ce réexamen à mi-parcours était d'améliorer le cadre budgétaire dans le respect des plafonds du cadre financier pluriannuel fixés par les chefs d'État et de gouvernement en 2013, puisque l'unanimité requise pour les modifier n'était pas réunie.

Cette revue a tout d'abord permis d'introduire davantage de flexibilité dans la gestion du budget européen, marquée par une certaine dose de rigidité, pour permettre à l'Union d'être plus réactive. Elle a ainsi permis une hausse des limites autorisées de certains instruments spéciaux prévus dans le cadre du CFP tels que la réserve pour aide d'urgence et l'instrument de flexibilité, ce dernier pouvant en outre être doté des montants non utilisés du Fonds de solidarité de l'Union européenne et du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation. De plus, le volet qualitatif de la révision à mi-parcours, qui fait encore l'objet de discussions entre le Parlement européen et le Conseil, devrait permettre d'introduire certaines simplifications des démarches pour les bénéficiaires de fonds européens à compter du 1er janvier 2018, de réduire les contrôles multiples et de faciliter la gestion administrative de ces fonds.

L'accord global obtenu en juin comprend également des allocations supplémentaires de crédits jusqu'à la fin de la durée des perspectives financières 2014-2020. Cela devrait permettre de faciliter les négociations budgétaires annuelles à venir entre les deux branches de l'autorité budgétaire communautaire jusqu'à la fin de ce cadre, mais aussi d'assurer une plus grande prévisibilité des contributions nationales des États membres.

Ce paquet de nouvelles mesures de 3,5 milliards d'euros entre 2017 et 2020, qui s'ajoutent aux 2,5 milliards d'euros déjà prévus dans la programmation financière en faveur de la sécurité et de la gestion des frontières, permet de répondre aux défis posés par le phénomène migratoire et par l'exigence accrue de sécurité au sein et en dehors de l'Union, tout en maintenant une attention soutenue à la croissance et à l'investissement.

La révision à mi-parcours prévoit en effet 1,4 milliard d'euros pour soutenir les actions en dehors de l'Union, au bénéfice notamment de la création du Fonds européen de développement durable. Ce nouvel outil vise à soutenir des investissements en Afrique et dans les pays du voisinage de l'Union, pour contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable du programme des Nations unies à l'horizon 2030. Le FEDD a pour objectif de lutter contre les causes des migrations et de contribuer à la réintégration durable des migrants rentrant dans leur pays d'origine, ainsi qu'au renforcement des communautés de transit et d'accueil.

Outre les hausses en faveur des programmes européens porteurs de croissance et d'emploi, comme le programme européen de recherche Horizon 2020, le volet transports du Mécanisme d'interconnexion en Europe, le programme Erasmus +, ou bien encore le programme en faveur de la compétitivité des entreprises, l'accord obtenu permettra également de financer l'extension du Fonds européen pour les investissements stratégiques jusqu'en 2020, ainsi que la prolongation de l'Initiative pour l'emploi des jeunes. Grâce notamment à l'action de la France, le montant proposé par la Commission pour réabonder cette dernière initiative a d'ailleurs été porté à 1,2 milliard d'euros d'ici à 2020.

Dans l'ensemble, les orientations définies dans le cadre de cet accord sont donc bien en ligne avec les priorités que nous souhaitons défendre au niveau européen, en apportant également davantage de flexibilité et en simplifiant bientôt les règles de mise en oeuvre des politiques de l'Union.

Pour finir, tournons-nous maintenant rapidement vers les prochaines échéances, même si nous n'en sommes encore qu'au début du processus pour la définition du prochain cadre financier pluriannuel post-2020, puisque la Commission européenne ne devrait pas présenter ses propositions avant plusieurs mois encore.

Parmi l'ensemble des défis auxquels l'Europe est confrontée, de nouvelles priorités sont apparues, qu'il conviendra donc de prendre pleinement en compte, qu'il s'agisse de la défense, avec notamment le futur programme de développement de l'industrie dans le domaine de la défense, de la sécurité – dans toutes ses dimensions – , ou bien encore du défi migratoire. Les efforts entrepris dans les domaines de la jeunesse et de l'investissement doivent être poursuivis. D'autres politiques, plus traditionnelles, restent bien entendu pleinement d'actualité.

Nous sommes donc face à une équation difficile, que le Brexit, qui entraîne le départ d'un important contributeur net, rend plus compliquée encore. Cette contrainte, cependant, peut aussi être une occasion, si nous savons la saisir.

Nous devons d'abord avoir une véritable réflexion sur nos priorités politiques, et ensuite chercher le meilleur moyen de les financer, en sortant de la logique visant à reconduire peu ou prou l'existant : avec le Brexit, chacun voit que cette méthode ne mène nulle part. Bien entendu, cette réflexion que nous souhaitons sur les priorités politiques de l'Union est étroitement liée à notre vision de la nécessaire refondation de l'Europe, mais ce débat nous éloignerait peut-être trop de notre sujet d'aujourd'hui ; je ne m'y attarde donc pas.

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, le champ des politiques de l'Union européenne qui seront financées en 2018, grâce notamment à la contribution française à son budget, est large, et le bénéfice de ces actions pour la France est multiple. L'Assemblée nationale est invitée à se prononcer sur les moyens dont il convient de doter l'Union pour agir. Au nom du Gouvernement, je vous demande d'autoriser le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne pour l'année 2018.

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