Intervention de Laurent Garcia

Séance en hémicycle du mardi 23 juillet 2019 à 15h00
Modernisation de la distribution de la presse — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Garcia, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

« On est comme des fakirs sur des clous : on a mal mais on ne bouge pas. » J'aime à rappeler cette formule assez parlante de la présidente-directrice générale de Presstalis, Michèle Benbunan, lorsque George Pau-Langevin et moi-même l'avons auditionnée, l'année dernière, dans le cadre de la mission d'évaluation de la loi du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse.

En conclusion de cette mission, nous préconisions quinze mesures pour faire bouger les choses sans remettre en cause les fondements de la loi Bichet. Par exemple, nous suggérions de confier la régulation du secteur à une unique autorité administrative, du type de l'ARCEP, de réformer le statut des sociétés coopératives de messageries de presse ou encore de rendre effective la libéralisation de l'assortiment des titres de presse ne relevant pas de la presse d'information politique et générale, déjà prévue par la loi Bichet.

Il faut croire que nos recommandations ne sont pas restées lettre morte et que nous allons enfin sortir d'un statu quo mortifère : ces mesures sont en effet au coeur du projet de loi que nous avons à examiner aujourd'hui.

S'agissant de l'organisation du système de distribution de la presse imprimée, le texte opère une refonte de l'architecture de la loi Bichet : tout en préservant les atouts de son armature actuelle, il l'adapte aux enjeux de notre temps en suivant un calendrier d'application très progressif, détaillé aux articles 7 et 8.

À la place des sociétés coopératives de messageries de presse – qui, en théorie, assurent elles-mêmes les opérations de groupage et de distribution des titres édités par leurs associés mais, en pratique, les confient systématiquement à des sociétés commerciales dont elles sont les actionnaires majoritaires – seront instaurées des sociétés coopératives de groupage de presse. L'article 1er détaille les règles de leur composition, de leur actionnariat et de leur gouvernance et maintient le principe égalitaire selon lequel chaque associé, indépendamment du volume de sa participation au capital et du nombre de titres qu'il distribue par l'intermédiaire de la société coopérative, dispose d'une voix, et d'une seule.

Afin de mettre le droit en cohérence avec la pratique, le projet de loi dispose que ces sociétés coopératives de groupage de presse, composées d'entreprises de presse, n'effectueront pas elles-mêmes les opérations de groupage et de distribution des titres de leurs associés : elles recourront aux services de sociétés agréées de distribution de la presse, sociétés commerciales dont elles ne seront pas nécessairement actionnaires majoritaires – ni même actionnaires tout court – et dont le texte énonce les conditions d'agrément.

Cet agrément sera délivré sur le fondement d'un cahier des charges dont je vous proposerai tout à l'heure de rendre le contenu plus intelligible par un amendement que j'ai déposé ; Sophie Mette et Jean-François Portarrieu l'ont d'ailleurs enrichi par d'utiles sous-amendements.

L'obtention de l'agrément sera subordonnée à la souscription d'engagements, comme celui d'assurer une desserte non discriminatoire des points de vente au sein de la zone géographique couverte par un schéma territorial présenté avec la demande d'agrément. Nos collègues Virginie Duby-Muller et Frédérique Meunier ont déposé un amendement intéressant pour garantir la cohérence de ce schéma territorial.

Enfin, au troisième niveau se trouveraient, comme aujourd'hui, les diffuseurs de presse, dont le rôle de marchands, avec tout ce que ce mot recouvre d'expertise et d'initiative commerciales, serait valorisé par les nouvelles modalités d'accès au réseau de distribution de la presse que dessine le projet de loi, en particulier par la libéralisation de l'assortiment qu'il opère. Je tiens à souligner que cette libéralisation sera encadrée : l'assortiment devra respecter plusieurs principes, auxquels Béatrice Descamps et moi-même vous proposerons par amendement d'ajouter la garantie de la diversité de l'offre de presse.

Si le droit inconditionnel d'accès au réseau de distribution de la presse est préservé pour la presse IPG, dont la définition est gravée dans le marbre de la loi, ce n'est pas le cas pour les autres catégories de presse. Le projet de loi dispose en effet que les titres admis au régime économique de la presse par la commission paritaire des publications et agences de presse – CPPAP – ne pourront être distribués que dans les limites de règles d'assortiment des titres et de détermination des quantités servies, fixées par un accord interprofessionnel.

En ce qui concerne les titres non éligibles au régime économique de la presse – c'est-à-dire la presse « hors CPPAP » – , leur distribution sera organisée au cas par cas par des conventions qui, négociées de gré à gré, détermineront les références et les quantités servies aux points de vente. Lors de l'examen du texte en commission, un amendement de Mme Sophie Mette et de plusieurs collègues du groupe Mouvement démocrate et apparentés a permis de préciser l'identité des parties à ces conventions, à savoir les entreprises et les diffuseurs de presse ou leurs représentants respectifs.

Afin de garantir aux titres « CPPAP hors assortiment » et aux titres « hors CPPAP » la possibilité d'être distribués, et de permettre aux diffuseurs de presse de prendre connaissance de la diversité de l'offre de presse, le Sénat a prévu que ces titres pourront faire l'objet d'une première proposition de distribution auprès des points de vente. C'est ce que l'on appelle le droit de présentation.

Le texte répond aussi aux questions qui se posent actuellement en modifiant radicalement la régulation du secteur de la distribution de la presse, qui revient aujourd'hui à deux organes distincts, le Conseil supérieur des messageries de presse et l'Autorité de régulation de la distribution de la presse. Il faut dire que ce bicéphalisme était source de complexité et de lenteur du processus décisionnel et qu'il ne remédiait que très imparfaitement aux situations de conflit d'intérêts que l'autorégulation avait fait naître.

Le projet de loi entend donc confier la régulation de la distribution de la presse à un régulateur reconnu par tous pour ses compétences économiques et juridiques dans des domaines présentant des enjeux de même nature : l'ARCEP. L'Autorité, qui deviendrait celle des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, aurait ainsi pour mission de faire respecter les principes au coeur même de la loi Bichet : liberté de la distribution de la presse, continuité de la distribution de la presse d'information politique et générale, solidarité entre les entreprises de presse, neutralité totale du réseau de distribution et couverture large et équilibrée du territoire par le réseau des points de vente.

C'est cette autorité qui délivrerait les agréments aux sociétés de distribution de la presse, sur le fondement du cahier des charges qu'elle aura préalablement proposé à l'exécutif. Elle exercerait, pour faire respecter l'agrément ainsi délivré, un contrôle relativement poussé sur ces sociétés, afin de s'assurer du caractère raisonnable et non discriminatoire des tarifs proposés aux éditeurs. Elle aurait également pour mission de vérifier que l'accord interprofessionnel relatif à l'assortiment se conforme bien aux principes énoncés par la loi, et pourrait, le cas échéant, se substituer aux professionnels concernés pour décider seule des règles d'assortiment des titres et des quantités servies aux points de vente.

S'agissant de ces derniers, l'Autorité fixerait les règles relatives à leur implantation, ainsi que les conditions de rémunération de leurs agents. Il appartiendra toutefois à une commission notamment composée d'éditeurs de décider, de façon concrète, de l'ouverture des points de vente sur le territoire et d'en gérer les agents. Sur ce point, la commission a souhaité amender une précision apportée par le Sénat, tendant à ce que la décision d'implantation soit soumise à un avis conforme du maire. Si nous sommes favorables, bien sûr, à ce que l'avis du maire soit requis, il nous a, en revanche, semblé excessif qu'il revête un caractère conforme.

L'Autorité aura également vocation à inciter les acteurs à adopter une organisation territoriale qui assure la couverture de l'ensemble du territoire, sans pour autant décider elle-même des zones de couverture des sociétés agréées. C'est la raison pour laquelle la commission a souhaité rétablir la version initiale du texte en ce qui concerne le schéma territorial d'orientation publié par l'ARCEP.

Le projet de loi s'intéresse, par ailleurs, à la diffusion numérique de la presse. En effet, eu égard à l'importance que prend désormais le numérique dans la diffusion de la presse, qu'il s'agisse des moteurs de recherche, du partage de contenus de presse par le biais des réseaux sociaux, des applications des kiosques numériques inclus dans les abonnements téléphoniques ou bien encore des widgets de nos téléphones mobiles, il est nécessaire de transposer à l'univers digital les principes de la distribution de la presse nécessaires au débat démocratique.

C'est la raison pour laquelle les kiosques numériques se voient transposer les exigences de diffusion applicables aux titres d'information politique et générale. Les éditeurs de titres IPG qui le souhaitent pourront ainsi accéder à ces kiosques dans des conditions techniques et financières raisonnables et non discriminatoires.

Au-delà de ces aspects, le projet de loi poursuit la politique engagée par le Gouvernement en matière de régulation des opérateurs de plateformes en ligne dans leur activité de diffusion de contenus de presse. Ainsi, après l'entrée en vigueur de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information et l'adoption de la proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, le texte apporte une nouvelle pierre à l'édifice juridique, en assurant une meilleure information des utilisateurs des plateformes en ligne quant à l'emploi de leurs données personnelles dans le référencement ou le classement des contenus extraits de publications de presse qui leur sont proposés.

Enfin, soucieux de ne pas laisser de côté la distribution par portage, le Gouvernement a eu à coeur d'assouplir le statut juridique des vendeurs-colporteurs de presse, de façon à favoriser leur activité et l'attractivité de celle-ci. Ainsi, l'article 6 leur offre la possibilité d'avoir, en sus d'une activité principale de vente de titres de presse, une activité accessoire de distribution sans vente de publications de presse – quelles qu'elles soient – , tout en conservant leur statut de travailleurs indépendants.

Je tiens à saluer l'amendement que le Gouvernement a déposé afin d'aligner le périmètre des titres susceptibles d'être distribués par des porteurs de presse salariés sur celui des titres susceptibles de l'être par des vendeurs-colporteurs de presse ayant le statut de travailleurs indépendants. Ce faisant, le ministre a honoré l'engagement qu'il avait pris devant le Sénat a été honoré.

Mes chers collègues, je forme le voeu qu'à la faveur des enrichissements intéressants et bienvenus proposés sur nos différents bancs, le présent projet de loi puisse avoir l'appui du plus grand nombre d'entre nous : la représentation nationale saura, ainsi, présenter un front uni pour soutenir le secteur de la presse qui en a bien besoin.

Cet après-midi, ce qui pourrait apparaître comme un petit pas pour le législateur est, en réalité, un grand pas pour la distribution de la presse.

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