Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du mardi 23 juillet 2019 à 15h00
Modernisation de la distribution de la presse — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

C'est le patron de presse qui monte aujourd'hui à la tribune, le Citizen Kane en herbe qui, il y a vingt ans maintenant, vendait son journal, Fakir – déjà – , dans les restaurants amiénois. Les couples me refilaient 5 francs – c'était encore le temps des francs – simplement pour que je débarrasse le plancher et les laisse se bécoter en paix. C'étaient des temps héroïques ! Comme Billes Gates se souvenant de ses débuts dans son garage, je me rappelle mes livraisons aux abonnés à vélo. Mon torrent d'énergie d'alors, je le consacrais non pas à enquêter, à rédiger, à maquetter, mais à distribuer, à trouver pour cela un café, un coiffeur, un boulanger. Ma grande bataille, c'était la distribution, ou la diffusion. Réfléchir, écrire, voilà la partie poétique, récompensée, valorisée, du métier. Cependant, les plus belles idées ne sont rien, ne valent rien, ne pèsent rien, si on les garde pour soi et si on les réserve à l'entre-soi. La diffusion vers le public, le grand public, le plus grand public possible, voilà la part politique ; voilà la part essentielle.

Après un an de cette débrouille, j'ai rencontré M. Soleillant à Somme Presse, la Presstalis locale. Qu'il me soit permis de lui rendre hommage : M. Soleillant faisait son métier, tout simplement. Il ne se demandait pas : « Fakir, est-ce de droite ou de gauche ? Est-ce pour ou contre le maire ? » Il se demandait simplement si ce canard pouvait se vendre, en professionnel, avec simplement un zeste de sympathie, sans doute, pour le « petit gars qui n'en veut », face à lui, animé d'un brin de folie.

C'est alors que j'ai célébré la loi Bichet. Pourquoi ? D'un seul coup, mon petit canard avait accès à deux cents points de vente, des bars-tabac, des librairies, et j'étais libre d'en mettre deux ici, cinq là, cinquante plus loin. Les commerçants devaient les accepter et les mettre dans leurs rayons. Qu'importaient leurs opinions et leurs convictions : c'était pour eux une obligation. Ces deux cents points de vente étaient magiques. C'était une chance ! Le miracle s'est renouvelé et ses effets ont été même multipliés par cent, lorsque nous sommes passés en diffusion nationale. D'un coup d'un seul, vingt mille kiosques s'ouvraient à nous. J'étais traité à l'égal des grands… sur le papier au moins : les vrais journaux – Le Monde, Le Canard enchaîné, L'Obs – étaient mis en avant, parfois dans leurs propres présentoirs, quand il fallait sortir la pelleteuse pour retrouver Fakir sous une montagne de Gala ou de Dorcel Magazine, avec le DVD « spécial orgies » en promotion.

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