Intervention de Bruno Joncour

Séance en hémicycle du lundi 23 octobre 2017 à 16h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 - projet de loi de finances pour 2018 — Article 27 et débat sur le prélèvement européen

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Joncour :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur spécial, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, le débat sur le prélèvement européen, inscrit à l'article 27 du projet de loi de finance, revêt, une fois n'est pas coutume, un ton particulier, qui a trait au contexte inédit dans lequel il intervient. Le cadre européen est en effet bousculé – je n'ai pas besoin d'en faire état longuement ici – , du fait notamment de la décision du peuple britannique de sortir de l'Union européenne. L'année qui vient verra aussi le début des négociations sur le futur cadre financier pluriannuel de l'Union.

Il nous appartient dès aujourd'hui d'engager une réforme profonde de notre institution et, en l'occurrence, de son cadre budgétaire. Je rejoins le rapporteur Maurice Leroy, qui enjoint à la représentation nationale de se saisir de cette occasion pour repenser le fonctionnement de l'Union européenne et permettre à l'idée qui l'a vu naître de continuer à vivre durablement, harmonieusement et efficacement.

Ce dont souffre le plus l'Union européenne, c'est de l'incohérence des États, qui ont à son égard des exigences sans commune mesure avec les moyens dont ils la dotent.

Nous retrouvons la même incohérence dans la pratique même de la préparation du budget européen : au moment même où notre Parlement discute des recettes et des dépenses du budget de la nation, qui comprendra que ce soient les parlements nationaux qui décident des recettes d'une institution dont ils ne contrôlent pas les dépenses, puisque c'est le Parlement européen qui les votera ? La conséquence est simple : les parlements nationaux ont tendance à estimer la participation au budget européen comme une simple charge, alors qu'il s'agit de financer des projets communs. Qui comprendra par ailleurs que le cadre financier pluriannuel engage le Parlement européen pour sept ans, en dépit des alternances politiques ? Qui peut en outre attester du caractère démocratique de ce système, quand l'ampleur des défis communs oblige nos institutions nationales et européennes à imaginer de nouveaux mécanismes de financement hors budget, et donc hors contrôle démocratique, pour contourner les plafonds imposés ? C'est en effet un principe fondamental de toute démocratie – cela a été soulevé par Jean Arthuis, dont les propos sont repris dans le rapport – que de pouvoir demander des comptes sur l'utilisation de l'argent public. Or personne n'est capable aujourd'hui de dire avec précision la manière dont est utilisé le prélèvement européen.

Incohérence aussi quant aux attentes et aux demandes vis-à-vis de cette institution ! Quelle logique y a-t-il à demander à l'Europe de prendre en charge et de s'occuper de la crise des migrants en subventionnant le gouvernement turc, ou bien encore à lui faire porter la politique de recherche ? Tout cela en rechignant tous les ans à augmenter notre participation, ce qui oblige l'Union européenne à rechercher des financements un peu partout, auprès de différents organismes, sans que cet argent ne soit véritablement fléché, suivi, et que son utilisation soit finalement compréhensible ! Cela rend les choses illisibles, non transparentes et non démocratiques.

Pendant nos travaux en commission, nous avons entendu s'exprimer des avis avec lesquels nous sommes en désaccord. Ce fut le cas par exemple lorsqu'on s'est étonné, pour s'en offusquer, que la France accroisse de 2,3 milliards d'euros sa contribution au budget européen pour la porter à plus de 20 milliards d'euros. Ce fut le cas aussi lorsque les mêmes ont fait remarquer que la France, qui est en déficit structurel, ferait mieux d'utiliser ces fonds pour réduire son déficit. Ce fut encore le cas lorsque d'aucuns ont dénoncé l'utilisation du budget européen, qui ferait le jeu d'une concurrence défavorable à nos intérêts.

Je n'entrerai pas dans le détail qui conduit à ce montant de 20 milliards d'euros. Mais qui peut croire qu'un prélèvement à cette hauteur puisse changer en profondeur notre situation intérieure ? Le raisonnement, qui ne tient compte que de l'impact de la contribution nette sur le solde de notre budget, tombe si l'on regarde la situation de certains de nos grands voisins, parmi lesquels l'Allemagne, premier contributeur net, et même le Royaume-Uni – dont la sortie de l'Union européenne va d'ailleurs rendre la situation beaucoup moins confortable.

Il n'est pas possible de raisonner ainsi au sujet de l'Union européenne, car cet ensemble n'a pas été pensé dans ces termes. Il est un espace de partage et de solidarité, la même solidarité qui permet aujourd'hui aux territoires les plus défavorisés de bénéficier, dans tous les pays, des aides venues directement du budget européen. Beaucoup de nos voisins, mais aussi beaucoup d'entre nous, élus locaux, savent ce que nous devons à l'Europe en matière de développement territorial. Le rapport précise clairement que les externalités positives de l'Union européenne sont difficilement mesurables, que ces retombées devraient prendre en compte les « gains économiques non directement chiffrables [… ], tels que les gains qu'entraîne l'appartenance à un marché unique ».

Cette solidarité est l'expression du sentiment fraternel qui unit les peuples de l'Europe. Elle s'est exprimée lors de la crise que nous avons traversée à partir de 2008. Elle s'est exprimée en Grèce, en Espagne, au Portugal, chez nos amis de l'ancienne Europe de l'Est. Elle s'exprime en France pour rendre soutenable notre dette et notre déficit, par des taux d'emprunts extrêmement bas. Elle s'exprime par la politique agricole commune, par des programmes de recherche qui profitent à tous et que nous n'aurions pas les moyens de financer à nous seuls. Soulever les insuffisances de ce système ne doit pas pour autant nous amener à compromettre ce qui, jusqu'à présent, a constitué un ensemble de valeurs communes. C'est précisément le rôle des ardents défenseurs de la construction européenne que d'être les plus exigeants sur la réalité de son fonctionnement.

Comment compenser la perte qu'entraînera la sortie du Royaume-Uni de notre union ? Comment compenser la baisse des ressources propres de l'Union européenne, en particulier la baisse des droits de douane au gré des accords commerciaux signés ? Comment rendre le budget de l'Europe plus dynamique ? Peut-on envisager la création d'une taxe dont les recettes seraient directement perçues par les institutions communautaires ? À ces questions, nous répondons qu'il est temps de donner à la construction européenne un nouvel élan. Nous devons envisager une coordination plus étroite entre les États qui le veulent, tout en garantissant les liens qui nous unissent avec ceux qui ne le voudraient pas. En tout état de cause, il nous faut avancer rapidement sur l'idée d'une taxe propre à l'Union européenne, sans alourdir, bien entendu, la charge fiscale globale pour le citoyen européen.

Le Président de la République a récemment formulé des propositions en ce sens, auxquelles nous sommes favorables, comme une taxe sur le numérique, une taxe sur les transactions financières et une taxe environnementale – comparable à la fameuse taxe carbone européenne qui avait un temps été envisagée. Il est vrai, mes chers collègues, qu'il nous faut remettre à plat la manière dont nous construisons le budget de l'Union européenne, veiller à sa transparence, à son évaluation et mettre en avant les politiques menées grâce à la collaboration européenne. Nous sommes d'accord avec cela. Mais nous disons aussi que ce budget reste aujourd'hui encore très insuffisant, bien en deçà de ce qu'il faudrait pour mener une politique ambitieuse.

Accroître ce budget, ce n'est pas renoncer à notre souveraineté ; c'est créer un espace plus grand au sein duquel l'exercer. Cette nouvelle opportunité, qui résulte du « moment Europe », dont nous parlait ici même, il y a quelques jours, notre collègue Jean-Louis Bourlanges, doit être saisie pour avancer sur les enjeux européens et relever les défis de l'Europe de demain. Cette nouvelle ambition peut susciter l'adhésion citoyenne si les valeurs démocratiques en sont l'inspiration et si elle se caractérise par davantage de lisibilité, de transparence et de cohérence, donc d'efficacité et de force. C'est ce pouvoir européen qui doit se situer au coeur du projet européen, parce qu'il permettra à la fois de renforcer les fondements démocratiques de l'Union européenne, et donc le sentiment d'appartenance à une communauté de destin, et de répondre avec pertinence aux enjeux économiques, sociaux, culturels, environnementaux et internationaux qui justifient une approche commune, harmonieuse et appropriée.

Cette ambition citoyenne donnera tout son sens au message que délivrait Jean Monnet en 1952 : « Nous ne coalisons pas des États, nous unissons des hommes. » Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés votera en faveur de l'article 27.

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