Intervention de François Geleznikoff

Réunion du mercredi 26 juin 2019 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

François Geleznikoff, directeur des applications militaires du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives :

S'agissant du porte-avions du futur, bien avant 2018, et en accord avec le ministère des Armées, nous avions lancé des études dans l'éventualité d'une propulsion nucléaire, ne serait-ce que pour faire la soudure entre ce qui a été fait avant et ce que nous entrevoyons pour ce bâtiment. Cette décision a permis de faire travailler TechnicAtome et alors DCNSIndret en avance de phase. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur des spécifications portant sur le type de bâtiment envisagé, son tonnage et une catapulte électromagnétique, fournies par le ministère des Armées.

Cette première phase a duré quelques années, il s'agissait de conserver les compétences et d'en faire venir de nouvelles. L'objectif est désormais de conduire les travaux avec la DGA – et l'état-major des armées – et les industriels sur la définition complète de ce que serait le futur porte-avions ainsi que l'ensemble de ses équipements et capacités.

Cela conduit à prévoir une capacité de tonnage sensiblement supérieure aux 42 000 tonnes du Charles-de-Gaulle. Les chaufferies auxquelles nous arrivons pour satisfaire les besoins exprimés devraient atteindre une puissance de 220 à 230 Mégawatts. Avec deux chaufferies de ce type, nous pouvons confirmer remplir le besoin du futur porte-avions. Ces chaufferies K22 restent dans un domaine pas trop éloigné des K15 et dont la conception peut être maîtrisée avec les moyens de simulation actuels et la technologie disponible.

Il n'y a donc pas de saut dans l'inconnu. Ce projet est ainsi l'occasion de concevoir une nouvelle chaufferie compacte tout en tenant les délais.

Je reconnais que les travaux que nous effectuons sur les SNA Barracuda et les SNLE nous ont permis de régénérer quelque peu les compétences ; mais dans le seul domaine que nous connaissons déjà aujourd'hui. Aussi, si nous voulons disposer d'un véritable architecte de chaufferie, devons-nous attirer les jeunes afin de renouveler cette compétence. Nous avons besoin d'une géométrie de chaufferie différente afin de renouveler ce travail de conception avec les outils et les codes de calcul correspondants.

Relativement à la question sur la relation avec le Royaume-Uni, nos alliés britanniques sont très allants sur notre coopération actuelle, l'ambassadeur du Royaume-Uni à Paris y est très impliqué. Nos collègues du ministère de la Défense britannique sont très heureux de voir ce programme parvenir à son terme dans les délais. Dans le cadre du traité de Lancaster House, approuvé par l'Assemblée nationale et le Sénat, nos deux pays ont choisi d'opter pour une coopération potentiellement large, permettant même, si c'était décidé, d'échanger sur des sujets relatifs aux formules nucléaires..

Dans un premier temps, notre objectif est de mener correctement à son terme l'installation Epure, prouvant ainsi notre capacité à réaliser ensemble quelque chose dans les délais, ce qui est pour le moins assez extraordinaire s'agissant d'une installation aussi complexe. Mais si le Royaume-Uni a choisi de travailler avec nous sur ce projet, qui concerne l'expérimentation relative à la première phase du fonctionnement de l'arme, il s'est tourné vers les États-Unis pour le projet de laser mégajoule américain, le National Ignition Facility (NIF), pour la phase ultérieure du fonctionnement. Rien n'empêche toutefois d'aller plus loin. D'ailleurs, dans le cadre du Traité, nous avons lancé une expérimentation laser conjointe sur la petite installation britannique ORION. Nous avons ainsi démontré que notre coopération s'étendait au-delà de la seule installation Epure.

Dans le domaine de la sécurité globale, nous agissons certes dans le secteur NRBC-E, mais aussi dans celui de la cybersécurité.

Pour ma part, je ne sépare pas les menaces nucléaire et radiologique, car ce sont toujours les mêmes types « d'objets » que nous aurions à traiter.

Nous pilotons le programme biologique et chimique pour le CEA, à qui il a été confié. Nous conduisons ce pilotage par programmes en nous appuyant au sein du CEA sur la direction de la recherche fondamentale pour la menace biologique, qui peut à titre d'exemple prendre la forme d'épandage de produit dans le métro. La menace chimique concerne principalement la direction des recherches technologiques, qui met au point des capteurs ainsi que des moyens de remédier aux attaques.

La menace représentée par les explosifs est principalement traitée par la DAM, dans les centres du Ripault et de Gramat. Nous mettons au point les capteurs destinés à détecter les explosifs, dont un, capable de détecter une quinzaine d'explosifs différents. La réalisation de ce détecteur a été confiée à l'industrie. Par ailleurs, dans notre centre du Ripault, nous avons fabriqué du tripéroxyde de triacétone (TATP), explosif utilisé par les terroristes en 2015. Je puis vous garantir que nous le faisons dans des conditions de grande sécurité, car il s'agit d'un explosif très instable. Cela est fait au profit des services de la protection civile afin d'entraîner leurs chiens à sa détection.

En matière de cybersécurité, nous menons une action interne DAM grâce à des équipes spécialisées, mais nous travaillons également avec la direction des recherches technologiques pour tout ce qui concerne, d'une part, les « composants de confiance » servant à la fabrication de certaines installations sensibles, des téléphones ou des calculateurs, d'autre part, l'analyse des codes de calcul ayant pour objet de vérifier qu'il n'y a pas été introduit d'éléments malveillants. Nous avons mis en place, avec la direction de l'énergie nucléaire, une structure s'apparentant à un pare-feu, qui permet de tester tout outil numérique avant qu'il ne soit mis en application dans nos installations.

J'en viens à présent aux questions sur la sécurité de nos approvisionnements.

Nous utilisons le cycle civil pour l'enrichissement de l'uranium, et d'autres installations de l'ex-Areva pour la conversion du fluorure d'uranium et de l'oxyde d'uranium. Nous restons vigilants sur le devenir du cycle civil.

Pour ce qui est des mines qui nous permettent d'avoir de l'uranium en continu, notre principale source d'approvisionnement est le Niger. Il a été mis en place une défense en profondeur permettant de recourir à des mines alternatives, ainsi qu'à des stocks constitués afin d'être en mesure de faire face à des situations difficiles sur le long terme.

Par ailleurs, dans l'hypothèse où, pour une raison ou une autre, nous n'aurions plus accès au cycle civil, nous nous efforçons d'être en mesure de disposer de sources alternatives. Nous n'avons pas d'inquiétude à moyen terme, mais ce sujet requiert toute notre attention. Nous nous appuyons aussi sur des analyses faites par des personnalités qualifiées.

Pour ce qui est du LMJ, je remercie M. Lainé d'avoir souligné son caractère indispensable, mais je ne partage pas son appréciation sur le fait qu'il aurait coûté six fois plus cher que prévu. L'audit effectué par la Cour des comptes il y a cinq ans à ce sujet a conclu que, sur le programme Simulation, nous avions respecté les estimations initialement fixées pour le coût global du programme. Nous venons d'être à nouveau audités par la Cour des comptes dans le cadre du contrôle de l'exécution de la loi de programmation militaire 2014-2019 : pour tout ce qui a trait aux réalisations techniques, la Cour nous donne quitus de « mener à bien l'ensemble des programmes liés à la dissuasion nucléaire depuis plusieurs décennies », et estime que les coûts sont globalement maîtrisés par rapport aux coûts de référence prévus lors du lancement des deux programmes – à 3 % près.

Pour ce qui est de la durée, le LMJ est destiné à servir pendant au moins trente ans. Nous sommes en train de monter en puissance progressivement, et n'avons pas besoin d'un autre équipement similaire. Nous pouvons ajouter des instruments de mesure supplémentaires à l'installation existante en fonction des besoins. En résumé, le LMJ est conçu comme une installation de longue durée.

Le projet ITER repose sur le principe d'une fusion nucléaire obtenue avec confinement magnétique, ce qui est très différent de la fusion obtenue avec confinement inertiel. La collaboration entre les équipes travaillant sur ces deux technologies se limite presque exclusivement à l'entité commune de formation que nous avons créée, qui permet à la fois de rassembler la communauté « fusion » et d'échanger sur les aspects relatifs à la physique de la fusion.

Cela dit, de nombreux personnels ayant travaillé sur le LMJ se sont ensuite trouvés intégrés à l'organisation ITER. Ainsi, le responsable de la maîtrise d'oeuvre, implanté à Barcelone, ainsi que la gestionnaire, ont précédemment travaillé sur le LMJ ou les installations de la DAM, et ils ne sont pas les seuls.

Pour en revenir à l'approvisionnement, l'uranium brut provient essentiellement du Niger. D'autres pays ont fait l'objet de prospections en vue de pouvoir éventuellement constituer des sources alternatives. Cela s'est fait à l'initiative des industriels et, pour ce qui est du reste de la chaîne d'enrichissement, cela relève du suivi de la chaîne civile.

Le suivi des composants des chaufferies est effectué au niveau de l'État, composant par composant. Des industriels peuvent être rachetés par d'autres, ce qui constitue une préoccupation particulière. Il est de la responsabilité du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) de déceler les éventuelles difficultés et d'agir en conséquence. De notre côté, nous intervenons pour éviter de dépendre d'approvisionnements étrangers pour des composants cruciaux. Dans l'hypothèse où une perte d'accès irrémédiable serait constatée, nous devons toujours être en mesure de définir une source d'approvisionnement alternative auprès d'autres industriels nationaux. Je vous garantis que l'État est on ne peut plus attentif en la matière.

M. Chassaigne m'a interrogé au sujet de l'assainissement et du démantèlement. La France démantèle ses têtes nucléaires à mesure qu'elles sont retirées du service. Le démantèlement, cela signifie qu'on se contente de poser une tête nucléaire sur une étagère une fois retirée du service : elle est démontée et, après une expertise systématique, les divers éléments qui la composent sont majoritairement détruits. Pour ce qui est des matières nucléaires des têtes, elles constituent le stock pour le renouvellement des armes (de 600 têtes, nous sommes maintenant redescendus à moins de 300). Le stock est bien évidemment extrêmement protégé.

J'entends bien votre question portant sur le devenir de l'uranium hautement enrichi et du plutonium. Dans ce domaine, nous suivons ce qui se fait aux États-Unis : ayant récupéré des tonnes de plutonium venant de la Russie, ils envisageaient initialement de « moxer » ce plutonium pour le réutiliser dans leurs centrales nucléaires. Plutôt que d'appliquer cette technologie, ils ont en fin de compte décidé de diluer le plutonium pour le rendre inapte à une utilisation militaire.

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