Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 3 juillet 2019 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Quand il n'y a pas de maîtrise de la dépense, il y a explosion des déficits et les premières victimes sont souvent les plus faibles. Je crois qu'il faut toujours avoir cela en tête. Savoir maîtriser la dépense publique n'est pas quelque chose qui devrait choquer dans notre pays. Nous parlions de la spécificité de la France. Je crois que l'une des spécificités de la France n'est pas son niveau bas de prélèvements obligatoires, mais plutôt son niveau élevé de dépenses publiques et un rapport à l'efficacité et à l'efficience qui reste extrêmement perfectible. C'est cela le problème de la France. Ne pas vouloir traiter ce sujet conduit à augmenter encore les problèmes que peuvent avoir notre pays et l'ensemble des Français. Il y a des marges d'efficacité et d'efficience au niveau de la dépense publique et l'indifférence que nous avons eue pendant très longtemps sur ce sujet peut expliquer un certain nombre de rébellions, de manifestations ou d'incompréhensions de la part de l'opinion publique. En tout cas, c'est ce que dit depuis très longtemps la Cour des comptes. C'est également une de mes convictions profondes.

Bien sûr, il faut s'intéresser à la maîtrise de la dépense. Cela ne signifie pas qu'un gouvernement ne peut pas faire de choix et avoir de priorités, mais il faut pouvoir cibler les priorités. Nous voyons qu'elles ne le sont pas toujours dans les politiques publiques conduites.

Pour revenir notamment sur les risques sur la trajectoire, il y a d'abord les risques sur le niveau de croissance, compte tenu d'un contexte européen et mondial que nous connaissons, avec un certain nombre d'incertitudes. Il y a également les risques que nous avons identifiés, pour répondre plus concrètement au rapporteur général. Il y a un risque sur les recettes, à savoir que l'inflation pourrait ne pas remonter comme attendu. Il y a également le risque que les recettes non fiscales continuent de baisser, contrairement à la stabilisation prévue. Là, nous identifions un risque qui nous apparaît réel.

Il y a des risques sur la masse salariale en l'absence de baisse des effectifs. Nous avons une prévision de masse salariale du programme de stabilité de 1,3 % par an en moyenne. Elle nous paraît difficile à atteindre, parce que la seule prise en compte du glissement vieillesse technicité tendanciel, des coûts déjà engagés sur les prochaines années nous conduit spontanément à accroître la masse salariale de 1,1 %. Cela veut dire qu'il n'y a pratiquement pas de marge de manoeuvre pour de nouvelles mesures catégorielles ou toute mesure générale significative, alors même que l'inflation prévue augmenterait jusqu'à atteindre 1,7 % en 2022.

Il y a également un risque sur le prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne, notamment du fait des conséquences du Brexit sur la contribution des États membres restants. Quelques risques sont identifiés également sur les dépenses liées aux infrastructures de transport, notamment dans le cadre du Grand Paris et des dépenses qui peuvent être liées à l'organisation des Jeux olympiques. Il y a quelques risques sur certaines dépenses sociales, la tenue de l'ONDAM, compte tenu des accords passés avec certains professionnels de santé et des engagements de dépenses sur le médicament, et l'accroissement annoncé du financement de la dépendance. Les dépenses de l'Unedic peuvent également comporter quelques risques.

Il y a un risque sur le solde des collectivités territoriales. Nous disons qu'il sera excédentaire, compte tenu de la trajectoire, mais les collectivités peuvent faire le choix d'utiliser autrement leur marge de manoeuvre, en investissant davantage ou en épargnant davantage. Cela pourrait avoir un impact sur la trajectoire des collectivités territoriales.

Tous ces risques peuvent ne pas s'ajouter les uns aux autres. Tous ces risques n'ont pas vocation à se concrétiser, mais cela fait partie de notre rôle de les identifier et de vous alerter. Face à ces risques, des économies sont possibles, notamment sur la charge d'intérêts. Ce ne sont pas des sommes considérables pour 2019, mais pour 2020, cela peut représenter plus de 4 milliards d'euros. Ce montant peut être supérieur, si les taux d'intérêt restent bas ou au niveau de ceux d'aujourd'hui. Bien sûr, il y a également des facteurs externes aux finances publiques qui peuvent être pris en compte positivement. Je pense notamment à la compétitivité de notre pays et à son attractivité pour les investisseurs, qui ont plutôt joué positivement ces dernières années. Après, il faut faire la balance, mais quand on fait des hypothèses de trajectoire, il faut toujours se montrer prudent.

Sur les taux d'intérêt, je crois que cela traduit effectivement une certaine confiance des investisseurs et des marchés vis-à-vis de la signature de la France. C'est incontestable. Nous constatons tout de même que même si les taux longs français sont actuellement très bas, ils sont supérieurs à ceux de l'Allemagne. Cela n'a pas toujours été le cas. Notamment avant la crise de 2008, il n'y avait pas d'écart entre la France et l'Allemagne.

Ensuite, quelques expériences historiques montrent que les retournements dans la dynamique des taux d'intérêt peuvent être rapides en cas de choc négatif, d'où la prudence à laquelle nous vous invitons. Regardez l'Italie. Nous voyons bien qu'il y a une certaine volatilité des marchés financiers et que d'une certaine façon, à partir du moment où vous êtes fortement endetté, qu'une partie de votre dette est tenue par des investisseurs étrangers, vous êtes soumis à un certain risque, d'où la nécessité d'être prudent.

Je ne sais pas si nous sommes orthodoxes, à la Cour, et peu importe ce que peut en penser tel ou tel économiste. C'est un message de prudence, que nous vous adressons. Une fois de plus, nous ne raisonnons pas par rapport à telle ou telle théorie économique, orthodoxe ou pas. Nous raisonnons par rapport aux engagements que vous prenez, qui sont le résultat de traités européens ou de lois de programmation, de programmes de stabilité, des lois de finances que vous votez. Nous mesurons et apprécions les écarts et nous apprécions par rapport à une trajectoire que vous nous présentez. Nous sommes orthodoxes par rapport à ce que vous votez, mais parce que nous n'avons pas d'autre choix. Sinon, nous ne serions plus tout à fait en démocratie.

Il faut donc faire attention. Il est séduisant sur le plan intellectuel de proposer de profiter que les taux soient bas pour investir. Cela se conçoit, mais c'est un discours général. Ensuite, il faut regarder la situation de chaque pays. Notre endettement est-il le résultat d'un fort investissement tel que vous le définissez ? Non. Nous avons un niveau d'investissement public en France qui est supérieur à la moyenne de la zone euro et je crois que c'est rappelé dans le rapport – nous sommes à 3,7 %, la moyenne étant à 2,8 %. Nous avons déjà un niveau d'investissement supérieur à la moyenne. Encore faut-il s'entendre sur la notion d'investissements. Cela a été rappelé par Olivier Blanchard, un ministre italien considérait que pouvait être compris comme une dépense d'investissement l'abaissement de l'âge de la retraite. Effectivement, tout est relatif. De plus, beaucoup d'investissements génèrent des frais de fonctionnement. Il faut pouvoir apprécier tout cela et ce n'est jamais chose aisée. Je me souviens, dans ma vie antérieure, lorsque j'étais à votre place, j'ai participé à je ne sais combien de débats sur le sujet de l'investissement, du fonctionnement, de la règle d'or, etc. Pour conclure, ces notions sont complexes.

Sur le plan européen, je constate que dans l'entretien qu'il a accordé et que vous avez cité, Olivier Blanchard reconnaît lui-même que les économistes ne sont pas tous d'accord sur la définition que nous pouvons donner de l'investissement. C'est un débat compliqué et nous rappelons que la prudence est de faire en sorte de maîtriser son endettement, surtout si nos voisins ont une trajectoire totalement différente de celle que nous pouvons avoir dans notre pays. Le rapport de la Cour montre bien combien les trajectoires de dette de la France, de l'Allemagne et du reste de l'Europe divergent. C'est ce que nous avons souhaité rappeler.

Sur les engagements européens, il est vrai que dans le volet préventif, pratiquement aucune sanction n'a été prise par les autorités européennes. D'ailleurs, ces sanctions ne peuvent être que limitées. Ce sont par exemple des dépôts non rémunérés. Aujourd'hui, la question ne se pose pas, compte tenu des taux d'intérêt. Il est vraisemblable qu'il y ait un certain nombre de règles à remettre sur la table au plan européen, concernant la croissance potentielle ou le calcul de l'effort structurel. Le Haut Conseil des finances publiques a lui-même formulé un certain nombre de propositions. La Cour en a également formulé. Des échanges ont lieu au niveau européen dans ce sens. Je ne sais pas s'ils aboutiront dans les années qui viennent.

Pourquoi le Haut Conseil des finances publiques pourrait-il demander le déclenchement du mécanisme de correction ? C'est tout simplement parce que la mission du Haut Conseil est de raisonner par rapport à la loi de programmation. Depuis la loi de programmation, beaucoup de choses se sont passées. Il y a un certain nombre de choses que vous avez intégrées dans le budget. D'autres n'ont pas encore été intégrés dans le budget, mais ont pu être intégrées dans le programme de stabilité. Il constatera vraisemblablement un écart supérieur à ce qui est considéré comme étant un écart normal. Ce serait un écart important par rapport à la loi de programmation. Le Gouvernement devrait vous proposer une nouvelle loi de programmation à l'automne afin d'éviter cette situation. Le programme de stabilité a commencé à actualiser la loi de programmation, mais nous voyons bien que le programme de stabilité lui-même doit encore être actualisé. C'est d'ailleurs ce que le Gouvernement vient de faire en partie, dans le document qui vous a été remis pour votre débat d'orientation des finances publiques, mais il y aura encore bien évidemment à préciser et documenter la trajectoire prévue. Cela devrait se faire à l'automne prochain.

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