Intervention de Stéphane Pallez

Réunion du mercredi 3 juillet 2019 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Stéphane Pallez, président-directeur général de La Française des jeux :

J'ai été nommée présidente-directrice générale de La Française des jeux par décret en novembre 2014, et le gouvernement a souhaité légèrement anticiper la fin de mon mandat actuel pour me renommer pour une durée de cinq ans, dans un contexte que vous connaissez bien puisque vous avez largement et longuement débattu, dans le cadre de la loi PACTE, du projet de privatisation de La Française des jeux.

Je voudrais surtout vous parler de mon action à la tête de La Française des jeux depuis cinq ans – puisque cela me paraît être l'objet principal de cette audition – afin que vous soyez dans les meilleures conditions pour procéder au vote après que je me sois retirée.

La Française des jeux est une entreprise tout à fait exceptionnelle à bien des égards, évidemment par la nature de son activité, mais aussi, d'une certaine manière, par la notoriété qu'elle a dans le grand public et par l'intérêt qu'elle suscite dans les débats parlementaires. Mais quand je suis arrivée, j'ai constaté que cette entreprise, qui avait des atouts formidables, était confrontée à des risques et des enjeux importants si elle ne se renouvelait pas. Le plan que nous avons engagé avec mon équipe visait à traiter ces risques, de manière à ce que l'entreprise puisse continuer sa croissance dans le respect de la régulation et de son modèle de jeu. Au premier chef, c'est un risque de vieillissement, voire de réduction de sa base joueurs, parce qu'elle ne renouvellerait pas suffisamment ses jeux et ses services, dans un contexte dans lequel les usages numériques dans la société sont partout et dans lequel, par ailleurs, la loi de 2010 a créé un secteur en ligne concurrentiel très dynamique qui – même s'il est sur une autre activité que nos activités de monopole – met une certaine pression sur l'entreprise en instaurant des nouveaux standards, notamment en matière de relation client.

Nous nous sommes donc attachés, depuis bientôt cinq ans, à numériser l'offre d'entreprise et sa distribution. Ce qui ne signifie pas uniquement développer la vente en ligne mais également investir beaucoup dans le numérique, moderniser notre réseau physique et maintenir un maillage suffisant de nos points de vente sur l'ensemble du territoire, investir dans le marché des paris sportifs, qui est un marché encore en construction et donc en forte croissance, tout en développant l'innovation, en poursuivant nos engagements en matière de jeu responsable, en exportant notre savoir-faire technologique.

Aujourd'hui, La Française des jeux est le principal opérateur de jeux d'argent et de hasard en France et gère des droits exclusifs sur la loterie en point de vente et en ligne et sur les paris sportifs en points de vente. Elle opère par ailleurs en concurrence sur le marché des paris sportifs en ligne. Nous sommes la deuxième loterie européenne derrière Lottomatica, qui est la loterie italienne privée, et la quatrième loterie mondiale.

Les mises de La Française des jeux ont crû de l'ordre de 4 % depuis 2014. Elles atteignent, en fin d'année 2018, 15,8 milliards, dont 10,7 milliards ont été versés sous forme de gains et 3,5 milliards sous forme de contribution aux finances publiques, hors dividendes. Nous avons 2 500 salariés, dont environ 500 dans les métiers technologiques, 300 en marketing et 800 dans le commercial.

En matière de numérisation, nous sommes très largement en ligne avec nos objectifs, puisque nous nous étions fixés un objectif qui était de numériser nos mises et d'utiliser le numérique pour générer de la croissance dans le réseau physique. C'est ce que nous avons fait très largement, notamment sur les paris sportifs. Aujourd'hui, presque 20 % des mises sont numérisées. Cela a eu un effet très positif sur les points de vente et nous a permis de maintenir une base de clients large. C'est très important, à la fois sur le plan économique et dans notre modèle de jeu responsable, d'avoir une base de clients large, lesquels jouent des sommes raisonnables. C'est le modèle de La Française des jeux.

Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur un écosystème d'innovation dans lequel nous avons investi. Nous hébergeons notamment le premier incubateur français consacré à l'expérience client dans le commerce de proximité. Et dans les paris sportifs, nous avons assez bien réussi à maintenir une concurrence dans le réseau physique, de l'ordre de 20 %, alors même que le marché en ligne croît de 50 %. C'est aussi un résultat très important des investissements que nous avons faits.

Nous avons également développé de nouvelles activités complémentaires pour continuer à générer de la croissance dans le futur, notamment à l'international où nous vendons de plus en plus nos services à d'autres loteries. C'est un axe de croissance pour l'avenir. Nous avons aussi développé des services qui s'appuient sur nos actifs, en particulier notre infrastructure technologique dans notre réseau. Par exemple, un accord passé avec Western Union permet aux détaillants qui le souhaitent d'offrir des services de transferts opérés par Western Union et de toucher ainsi une rémunération complémentaire sur notre terminal et avec notre système d'information.

Nous avons surtout – et je voudrais insister là-dessus – énormément investi dans le réseau. On me dit souvent que le réseau physique de La Française des jeux est menacé. Je pense qu'il est menacé si nous n'investissons pas. Et c'est le parti que nous avons pris depuis 2015, puisque nous avons massivement investi dans ce réseau, avec des résultats qui me paraissent à la fois très importants et positifs pour l'entreprise et pour la vie et le commerce dans les territoires. Nous sommes souvent le dernier point de vente dans certains territoires et, même s'il s'agit de points de vente diversifiés, c'est souvent grâce à nous que ces points de vente maintiennent une activité économique qui leur permet de rester présents. Nous avons investi 180 millions d'euros pour moderniser les équipements de ce réseau. En concertation avec les représentants des détaillants – c'est-à-dire la Confédération des buralistes et Culture Presse – nous avons recréé un certain nombre de points de vente, de l'ordre de 800 pour la seule année 2018. Nous avons aujourd'hui établi une nouvelle relation avec notre réseau historique, qui s'est traduite par un accord, conclu en février 2018, qui revoit la structure de la rémunération que nous versons au détaillant : elle est modulée en fonction des types de jeu et elle devrait, à la fin de l'année 2019, augmenter de 0,3 point pour atteindre en moyenne 5,5 % de l'ensemble des mises. 785 millions d'euros de rémunération ont ainsi été versés en 2018.

En parallèle, nous avons continué à investir sur le jeu responsable, qui fait partie de notre modèle et de sa soutenabilité dans le temps. Nous avons toujours été pionniers et pris des engagements supplémentaires par rapport à ce que la régulation implique. Récemment, j'ai décidé que j'allais m'engager à consacrer 10 % de mon budget publicitaire à la télévision aux campagnes responsables. Dès cette année, des campagnes sur l'interdiction de jeu des mineurs ont lieu pendant les grands évènements sportifs. Nous avons également renforcé l'information et la formation des détaillants en matière d'interdiction de jeu des mineurs, avant même que le Parlement introduise une amende dans le cadre de la loi PACTE. Nous allons accompagner la mise en place de cette amende en continuant à former nos détaillants pour que cette interdiction soit pleinement respectée.

L'ADN de l'entreprise, ce sont de grandes causes auxquelles sont affectées une partie des recettes de La Française des jeux. La première cause, c'est évidemment le sport. Cela se traduit – et c'est vous qui le votez – par l'affectation d'une partie de nos mises, hier au CNDS, demain à l'Agence nationale du sport. Nous avons des engagements très importants qui sont pris sur notre compte d'exploitation, à travers des partenariats avec un certain nombre de fédérations et le sponsoring d'une équipe cycliste. Nous avons prolongé cet engagement grâce au co-sponsoring, en association avec Groupama, dans le sport féminin. Je ne résiste pas au plaisir de vous dire que nous avons investi dans une équipe cycliste féminine qui est championne de France depuis le week-end dernier.

L'affectation d'une partie du prélèvement à la Fondation du patrimoine, décidée par le législateur l'an dernier, a été un grand succès, au delà de ce que nous pensions. Le patrimoine est très naturellement inscrit dans ce qu'est La Française des jeux – c'est-à-dire une entreprise territoriale – et la manière dont nous avons conçu les jeux générant ces recettes a permis aux gens de voir précisément où allait le prélèvement sur les jeux. Nous sommes en train de lancer l'an deux, avec un tirage spécial consacré au patrimoine pour le 14 juillet.

Nous avons rénové notre Fondation d'entreprise en la dédiant à l'égalité des chances et en y consacrant 18 millions d'euros sur cinq ans, à travers un certain nombre d'associations, qui mènent notamment des actions sur la lutte contre la fracture numérique sur l'ensemble du territoire. Cela fait également partie des causes sur lesquelles je souhaite que nous continuions à investir.

S'agissant de la privatisation, c'est un sujet que vous connaissez bien pour en avoir débattu très longuement. C'est d'abord une intention de notre actionnaire majoritaire et c'est désormais ce que la loi PACTE rend possible, en habilitant le Gouvernement à procéder par voie d'ordonnance. La mise en place d'un cadre de régulation est évidemment une condition indispensable de la cession éventuelle des parts par l'État. Par ailleurs, vous avez vu que le ministre de l'Économie et des Finances Bruno Lemaire a annoncé son intention d'engager des opérations de préparation d'une éventuelle introduction en bourse, notamment avec le recrutement d'un syndicat bancaire vendredi dernier. La question de la privatisation a déjà été tranchée par le législateur. Je souhaite uniquement souligner le point fondamental sur ce sujet : l'entreprise va rester sous le contrôle étroit de l'État. L'État a annoncé non seulement son intention de garder au moins 20 % du capital mais également son souhait de disposer d'un certain nombre de pouvoirs exorbitants du droit commun, lesquels sont une garantie de ce contrôle étroit. Il devrait conserver un droit de regard sur certaines décisions et contrôler les franchissements de seuils au capital.

En matière de jeux d'argent, la qualité de la régulation est beaucoup plus importante que la nature de l'actionnariat. Cela a d'ailleurs été dit par certains ici. Les autres acteurs de jeux d'argent en France sont privés. Il est donc fondamental d'avoir une bonne régulation.

La Française des jeux sera demain régulée d'une manière renforcée, peut-être plus transparente et plus explicite que cela n'est le cas aujourd'hui. La mise en place, au plus tard au 1er janvier, d'une autorité de régulation indépendante – qui va peut-être s'appeler l'Autorité nationale des jeux – va renforcer la cohérence en matière de régulation entre les activités sous droit exclusif et les activités en concurrence. Elle sera la gardienne des objectifs de préservation de l'ordre public et de l'ordre social qui sont le coeur de la politique en matière de jeux d'argent, laquelle comprend la lutte contre l'addiction, l'interdiction du jeu aux mineurs, la gestion du risque de blanchiment.

Ce qui est également fondamental, c'est que l'entreprise privatisée continuera de contribuer aux finances publiques. Le dividende va s'élever à 88 millions d'euros pour l'État en 2018. Mais avec le prélèvement sur les jeux, la contribution aux finances publiques est de l'ordre de 3,5 milliards en 2018. La nouvelle fiscalité instaurée par l'article 138 de la loi PACTE garantit cette contribution aux finances publiques, qui est partie intégrante du modèle de la loterie. C'est évidemment fondamental pour apprécier la privatisation.

La privatisation de La Française des jeux va se faire à périmètre constant des droits exclusifs qui lui sont conférés. Cela a été dit par le ministre dans les débats et va être précisé par l'ordonnance. Nous ne réduisons pas notre périmètre, mais nous ne l'accroissons pas. Il n'y a pas de nouveau marché ouvert, il n'y a pas de nouveau marché donné à l'opérateur en monopole et il n'y a pas non plus de nouveau marché ouvert à la concurrence.

Enfin, je suis convaincue que fait partie du modèle de développement d'un opérateur de jeux d'argent le fait d'avoir un engagement fort en matière de jeu responsable et, d'une manière générale, d'avoir un impact économique et social fort. Autrement, l'équilibre entre une activité de jeux d'argent, qui comporte certains risques, et l'intérêt général ne serait pas respecté. Je vois donc la privatisation non pas comme une nécessité mais comme une évolution forte pour l'entreprise. C'est une opportunité d'augmenter la capacité de l'entreprise à se développer, en particulier à l'étranger où je pense qu'il y a des perspectives de développement qui peuvent être facilitées par le fait d'avoir accès à une certaine flexibilité dans notre capital et nos financements. Et c'est la raison pour laquelle je pense que ce projet peut être positif pour l'entreprise, en continuité avec la manière dont je l'ai gérée et développée depuis la fin de l'année 2014.

C'est la raison pour laquelle je suis aussi prête à mener ce projet d'évolution du capital pour mes actionnaires, pour mes salariés, pour l'ensemble des parties prenantes de l'entreprise ; notamment les autres actionnaires, les actionnaires historiques, qui vont rester au capital d'entreprise.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.