Intervention de Philippe Martin

Réunion du mercredi 10 juillet 2019 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Philippe Martin :

Pour les économistes, la productivité est une notion qui fait l'objet d'un certain consensus, notamment sur la manière de la mesurer. La compétitivité, en revanche, ne fait pas l'objet du même consensus. On dit habituellement qu'elle résulte de la productivité du travail divisée par le coût du travail. Faut-il dès lors avoir une politique qui tente de coordonner l'évolution des coûts unitaires du travail en Europe ? Ma réponse est clairement positive. Je pense qu'il y a un problème de gestion, au niveau macroéconomique, de la compétitivité et donc des coûts unitaires du travail, dans la zone euro, tout simplement parce que nous n'avons plus d'ajustement par le taux de change. Auparavant, nous disposions de l'outil du taux de change pour essayer de régler ces problèmes de compétitivité. Nous ne l'avons plus. Lorsqu'on fait une comparaison avec l'Allemagne, ce n'est pas pour soutenir qu'il faut faire la même chose que l'Allemagne dans les années 2000, c'est-à-dire une pression à la baisse sur les salaires, en particulier dans les services. Simplement, en France, nous avons trop tendance à opposer les services et l'industrie en disant qu'il faut privilégier les baisses du coût du travail dans l'industrie, parce qu'elle est exposée au commerce international. C'est cette opposition qui ne me paraît pas tout à fait adéquate.

Mais vous avez raison : en Europe, il y a un problème de non-coordination sur cette question des coûts du travail. Cela peut être lié à la politique budgétaire. J'ai déjà évoqué le rapport du Conseil national de productivité où nous avons relevé les problèmes provenant du décrochage des salaires en Allemagne par rapport à la productivité. Il en est résulté un gain de compétitivité, qui a généré un compte courant très excédentaire pour l'Allemagne, ce qui, à notre sens, révèle un problème dans la gestion macroéconomique de la zone euro, parce que cet excédent génère un certain nombre de risques pour la zone euro. Ce déficit de coordination porte sur la politique fiscale mais aussi potentiellement sur les salaires. Nous considérons par exemple que le salaire minimum, en Allemagne, pourrait être augmenté plus rapidement, étant donné qu'il n'y a pas de problème de chômage dans ce pays et que les gains de productivité y sont assez élevés.

Faut-il faire baisser le coût du travail ou faut-il faire une relance de la demande ? Je pense que, même lorsque l'on se trouve dans une situation où la demande contraint la production, la question du coût du travail pour les personnes qui sont au niveau du SMIC se pose. Toutes les études montrent que même pendant une crise où la demande constitue vraiment la contrainte, baisser le coût du travail pour les personnes à un niveau proche du SMIC a un effet positif sur l'emploi. Je pense qu'il ne faut pas opposer offre et demande de ce point de vue.

Plusieurs questions étaient liées au fait que taxer le chiffre d'affaires n'est peut-être pas si mauvais, parce que c'est une manière indirecte de contrer l'optimisation fiscale ou les GAFA. Je comprends cet argument ; il n'est pas du tout erroné. Beaucoup de pays en voie de développement, qui n'ont pas les moyens de taxer les grosses entreprises et le profit des entreprises, font des taxes sur le chiffre d'affaires, tout en sachant que c'est extrêmement distortif. C'est ce que l'on appelle en économie un second best ou un third best, c'est-à-dire que ce n'est vraiment pas l'optimum. L'optimum, c'est justement les négociations et les réformes qui doivent être mises en place au niveau international sur la taxation des multinationales. Il faut que la France soit très active en faveur d'une réforme complète, qui est en ce moment en cours de négociation. Les règles de taxation des multinationales qui, aujourd'hui, ne sont pas bonnes et qui permettent de l'optimisation fiscale extrêmement importante doivent être réformées. C'est comme cela qu'il faut régler ce problème de faible taxation d'un certain nombre d'entreprises multinationales, plutôt que de faire des taxes qui sont extrêmement destructrices en termes d'exportation et d'emploi.

L'industrie a bénéficié directement et indirectement des baisses de charges. Le rapport Gallois partait du constat que les industries sont plutôt dépendantes directement des salaires intermédiaires et qu'il y avait également un problème de marge. Nous reconnaissons cela. Indirectement, ces baisses de charges ont eu un impact positif sur les marges et c'était nécessaire dans la situation où se trouvaient alors les entreprises.

En revanche, sur l'investissement, pour le moment, je me fie aux études qui ont été conduites, en particulier par France Stratégie et par un certain nombre d'économistes, lesquelles n'ont pas établi d'effet positif du CICE sur l'investissement. Il y a eu un effet sur les marges. Il se peut que les marges des entreprises aient été tellement pénalisées pendant la crise que la première chose que les entreprises ont faite a été de reconstituer leurs marges, parce qu'elles devaient retrouver une situation financière plus saine. Maintenant, les marges ont atteint un niveau plus normal. Nous pouvons donc espérer – et il faudra l'évaluer – que ces mécanismes puissent avoir plus d'impact, en particulier sur l'emploi.

S'agissant de l'instabilité fiscale, je reconnais que c'est un bon argument pour ne pas aller dans le sens que nous proposons. Il ne faut pas tout le temps changer la fiscalité des entreprises. Mais c'est un argument qui se retourne aussi, comme ce fut évoqué pour la C3S. En effet, c'est de l'instabilité que d'avoir « calé » en 2017. Je pense que revenir sur cette suppression programmée a été un signe d'instabilité fiscale, très mauvais pour les entreprises.

D'un point de vue théorique, la C3S est un impôt plus mauvais que l'IS. Mais, d'un autre côté, l'IS est très visible en termes d'attractivité, en particulier pour les entreprises multinationales. Nous avons malgré tout vérifié que les grands cabinets de conseil, qui conseillent les entreprises sur l'attractivité, ont bien vu la C3S. Elle n'est pas totalement invisible pour les choix de localisation des multinationales. Nous rappelons que le gouvernement s'est engagé à opérer une baisse de l'IS à 25 % et je pense ce serait une mauvaise chose de revenir sur cet engagement, parce que c'est important de donner de la prévisibilité aux groupes nationaux et multinationaux. Mais, au delà de cette baisse, nous estimons qu'il y a une priorité, à très court terme : la suppression de la C3S. La réforme de la CVAE relève des moyen et long termes.

Plusieurs d'entre vous sont revenus sur les questions de trappe à bas salaires et d'effets de seuil. Nous considérons que les baisses de charges sur les salaires relativement élevés n'ont pas d'impact. Cela ne signifie pas du tout que nous souhaitons les limiter à 1,6 SMIC et créer un effet de seuil. Nous préconisons plutôt un lissage, jusqu'à 1,6 SMIC ou plutôt, à mon avis, jusqu'à 2 ou 2,3 SMIC.

Il y a une autre question, sur les très hauts salaires. Sur le top 10 % des ingénieurs, la France est plus chère que les autres pays. Je ne suis pas certain que ce soit sur les baisses de charges qu'il faille jouer. Il y a d'autres instruments, mais en tout état de cause cela ne concerne pas les salaires intermédiaires, allant jusqu'à 3,5 SMIC.

Nous avons analysé les effets sur le PIB d'une suppression de la C3S. L'on est parvenu à un résultat autour de 450 millions d'euros. Nous n'avons pas mesuré l'effet sur l'IS, mais il va y avoir des recettes fiscales supplémentaires liées à ce gain de PIB. Nous surestimons le coût net de la suppression de la C3S, parce que l'on ne sait pas tout le retour que cela aura en termes d'impôt sur les sociétés, de cotisations sociales. Ce que nous vous donnons ici est un « minorant » en termes d'effets positifs de la suppression de la C3S.

Nous avons des discussions avec le ministre de l'économie et des finances, en effet, et je crois que le gouvernement a rappelé les contraintes budgétaires qui étaient les siennes. Mais vous avez bien compris que nous sommes très favorables à une suppression très rapide de la C3S.

De fait, nous sommes contraints de chercher la voie de financement de la suppression de la C3S dans le « bloc entreprise », ce qui permet de ne pas affecter a priori les marges des entreprises de manière agrégée. Je ne dis pas que toutes les marges vont rester exactement identiques pour toutes les entreprises. S'il y a d'autres voies de financement de la suppression de la C3S, il est possible de l'envisager de manière graduelle. Pour ma part, je serais opposé à ce que la suppression graduelle de la C3S soit menée en fonction de la taille de l'entreprise. Je sais que c'est une tendance naturelle, mais il faut l'éviter. Si on estime vraiment qu'il faut supprimer la C3S, je plaiderais plutôt pour abaisser son taux d'abord à 0,16 % puis à 0,10 %, ensuite à 0,05 %, enfin à 0 %. Si la contrainte budgétaire fait obstacle à une suppression immédiate, je serais plus favorable à une baisse graduelle de taux qu'à une baisse graduelle par taille d'entreprise.

S'agissant de la réforme de la taxe professionnelle, nous l'évoquons dans le rapport. Nous ne l'avons pas analysée directement, mais il existe des travaux en cours sur la réforme de cette taxe. Ils montrent que cette réforme, qui est en fait une baisse des impôts de production – c'est un peu plus compliqué que cela, mais, grossièrement, on peut l'interpréter ainsi – a eu un effet positif sur l'investissement et sur la productivité. Les résultats, même s'ils sont provisoires, sont relativement robustes. Il y a un effet positif sur l'investissement et sur la productivité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.