Intervention de Jean-Christophe Niel

Réunion du jeudi 27 juin 2019 à 9h45
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Christophe Niel, directeur général de l'IRSN :

– C'est un devoir et un honneur de vous présenter notre rapport d'activité pour l'année 2018. C'est la deuxième fois que nous le faisons.

Lors de la création de l'IRSN, le Parlement et le Gouvernement ont souhaité, pour des raisons liées à la sensibilité de la matière traitée, que des dispositions spécifiques soient prises pour la mise en oeuvre des missions de l'IRSN qui relèvent de la défense et de la sécurité. En particulier, son directeur général est assisté par un directeur général adjoint (DGA), nommé par décret pris sur rapport des ministres de la défense et de l'énergie. Le DGA Défense est chargé de mettre en oeuvre les missions d'établissement dans les domaines de la défense et de la sécurité. M. Louis-Michel Guillaume, DGA Défense, est à mon côté. C'est donc lui qui répondra à vos questions sur ces sujets.

L'IRSN est l'expert public du risque radiologique et nucléaire. Il évalue les risques liés à l'usage des rayonnements ionisants, y compris en situation accidentelle. Ces risques peuvent concerner la sûreté nucléaire, dans le secteur civil comme dans le secteur de la défense, pour éviter ou gérer les accidents, les réacteurs, le cycle du combustible, les déchets, les transports, etc. Ils portent aussi sur la protection contre les rayonnements ionisants, celle des patients qui subissent un diagnostic ou une thérapie, celle du public et des travailleurs. En France, 380 000 travailleurs sont susceptibles d'être exposés aux rayonnements ionisants. Enfin, ces risques incluent la sécurité, c'est-à-dire la protection contre la malveillance. L'ensemble de ces risques est couvert.

Le spectre des activités suivies par l'IRSN est lui aussi très large, allant de la radiothérapie à l'agence immobilière. Je rappelle que pour mesurer la concentration en plomb, au titre de la réglementation sur le plomb dans l'habitat, ces établissements utilisent des appareils contenant de petites sources radioactives. Ce spectre va du réacteur nucléaire au rayonnement naturel, notamment le rayonnement cosmique qui intéresse en premier lieu le personnel navigant aérien, ou le radon, qui nous intéresse tous.

Cette diversité explique que l'IRSN ait cinq tutelles : environnement, énergie, santé, recherche et défense, et qu'il rassemble 1 800 femmes et hommes. Nos deux missions sont la recherche et l'expertise. Dans l'exercice de celles-ci, nous avons pour exigence de contribuer à un très haut niveau de sûreté et de sécurité nucléaires, ainsi que de radioprotection, en France et dans le monde. L'IRSN est reconnu à l'international. Dans un contexte de démocratie environnementale et de développement du numérique, l'IRSN doit également favoriser le dialogue avec les citoyens sur ces sujets.

Sur l'expertise, il s'agit d'apporter un appui technique aux autorités – l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), l'Autorité de sûreté nucléaire défense (ASND) – ainsi qu'aux pouvoirs publics : ministères de la Santé, de l'Environnement, de l'Intérieur, et des Affaires étrangères, Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), etc. Toutes les institutions qui traitent, à un titre ou un autre, de risques radioactifs, peuvent solliciter l'appui de l'IRSN.

L'an dernier, nous avons rendu à la commission d'enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, présidée par M. Paul Christophe, et dont Mme Barbara Pompili était la rapporteure, un rapport sur la comparaison entre entreposage des déchets irradiés, à sec et sous eau.

Cette année, dans le cadre du débat sur le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), nous avons rendu deux rapports, à la demande de la Commission nationale du débat public (CNDP). Le premier complète celui réalisé l'an dernier pour la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, en approfondissant le sujet du stockage à sec et du stockage sous eau des combustibles irradiés. Le deuxième rapport présente un panorama international, une bibliographie détaillée ainsi que des recherches sur les alternatives au stockage géologique profond étudiées depuis les années 1950. Sur le PNGMDR, nous avons aussi rendu un avis à l'Autorité environnementale.

Tout un spectre d'institutions sollicite donc l'IRSN. Nous sommes à leur disposition pour faire ce travail. Nous rendons environ 850 avis ou rapports par an. Ils sont en grande majorité publics, conformément à la loi de transition énergétique pour la croissance verte. On l'a vu, par exemple, sur les soudures du réacteur EPR de Flamanville, comme vient de l'évoquer le président de l'Office.

Cette expertise s'étend à la surveillance de l'environnement. L'IRSN dispose d'un réseau de balises surveillant l'environnement, que ce soit le rayonnement gamma ou les stations de prélèvement des aérosols, qui ont, par exemple, aidé à détecter le ruthénium-106 à la fin de l'année 2017.

L'expertise de l'IRSN porte aussi sur la surveillance des travailleurs. L'IRSN gère la base de données des doses reçues par les 380 000 travailleurs que j'ai évoqués, ainsi que leur historique. Cette base est importante.

Nous suivons aussi les sources radioactives, au titre de la radioprotection.

Notre expertise s'exerce en temps normal, mais aussi en temps de crise, avec deux fonctions. La première porte sur l'évaluation de la situation dans les installations ayant subi des accidents, en France ou à l'étranger. L'IRSN a été très mobilisé après l'accident de Fukushima. Nous nous appuyons notamment sur notre nouveau centre de crise, inauguré récemment en présence de certains d'entre vous.

Cette expertise à partir du centre de crise est complétée par la capacité de l'IRSN à déployer, à projeter sur le terrain, à la demande des pouvoirs publics, des moyens de mesure de la radioactivité, soit des personnes, avec une dizaine de véhicules, soit de l'environnement, avec une autre dizaine de véhicules. Au total, une vingtaine de véhicules peuvent être mobilisés de manière très opérationnelle sur le terrain pour contribuer à la gestion de crise, en appui des pouvoirs publics.

Nos activités de recherche concernent la radioprotection, la sûreté et la sécurité nucléaire. L'IRSN est aussi un organisme de recherche. 40 % de son budget est consacré à celle-ci. Notre budget total s'élève à environ 275 millions d'euros. Cette recherche vise à disposer de la meilleure expertise possible lorsque nous sommes sollicités par les pouvoirs publics. C'est aussi un moyen d'attirer des profils de haut niveau. Nous avons besoin de personnes très compétentes.

L'IRSN a une spécificité. Il réunit la sûreté nucléaire, la radioprotection, la sécurité nucléaire, le civil, la défense, la recherche et l'expertise. Ce choix a été fait à la création de l'Institut, en 2001. Votre Office y a largement contribué. Ce choix est favorable à la transversalité et à la multidisciplinarité. Il renforce notre capacité à évaluer les risques.

Conformément aux approches française et européenne du risque sanitaire, l'évaluateur du risque, en l'occurrence l'IRSN, est différent du gestionnaire des risques, c'est-à-dire l'autorité de sûreté et le ministère. L'importance de ce principe a encore été rappelée dans le récent rapport de votre Office sur l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences. L'IRSN est une agence sanitaire au sens strict, puisque nous menons une activité dans le domaine de la santé.

Ce même rapport souligne aussi l'importance de l'ouverture à la société, et de l'implication des citoyens dans la gestion du risque. Depuis sa création, l'IRSN met en oeuvre une démarche sur ce sujet, d'ailleurs intégrée dans ses contrats d'objectifs successifs avec l'État. Le dernier a été signé en janvier 2019. Cela nous conduit à des dialogues techniques, notamment sur la prolongation de l'exploitation des réacteurs de 900 mégawatts au-delà de 40 ans, sur la cuve de l'EPR, ou de manière générale, sur des sujets tels que le lien entre rayonnements ionisants et santé. Nos interlocuteurs privilégiés sur ces questions sont les commissions locales d'information (CLI) et leur association nationale, l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI).

Nous portons aussi une attention particulière au scolaire et à la science. Je vous avais déjà présenté notre petit boîtier qui permet aux citoyens de réaliser des mesures dans l'environnement. Il est connecté et permet de rassembler l'ensemble des données collectées par les citoyens qui le souhaitent.

Notre action s'exerce dans un contexte d'enjeux considérables, présents et à venir, que ce soit dans les domaines de l'énergie, de la santé, ou des exigences de transparence et de démocratie environnementale.

La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) va conduire à une reconfiguration du paysage des installations nucléaires. D'un côté, il y a la gestion du parc existant, avec des questions comme la prolongation des réacteurs au-delà de 40 ans, les suites de l'accident de Fukushima, ou les réexamens de sûreté. De l'autre, il y a les installations en cours de conception et de construction : l'EPR de Flamanville, le réacteur Jules Horowitz (RJH), le Centre industriel de stockage géologique (CIGÉO), ou la piscine d'entreposage centralisé. Enfin, il y a les démantèlements et la gestion des déchets.

L'action de l'IRSN s'inscrit dans les objectifs de la stratégie nationale de santé 2018-2022, notamment avec les questions de l'amélioration de la qualité des soins et de la réduction de l'exposition aux substances nocives.

Concernant l'environnement, le baromètre annuel de l'IRSN sur la perception des risques par les Français sera rendu public à la rentrée. Comme tous les ans, et depuis longtemps, il démontre l'importance des questions de santé, d'environnement et de sécurité pour les Français. De ce point de vue, la connaissance de l'impact environnemental des activités mettant en oeuvre des rayonnements ionisants, et leur surveillance, sont donc essentiels.

Le contrat d'objectifs et de performance de l'IRSN pour la période 2019-2023 et notre rapport annuel détaillent ces différents aspects. Le rapport annuel comprend dix chapitres qui visent à rendre compte de notre activité dans l'ensemble de nos champs. Il est complété par les chiffres clés. Je souhaiterais maintenant vous présenter quelques éclairages issus du rapport.

Dans le domaine de la recherche, le rapport mentionne qu'en 2018 nous avons réussi un premier essai dans le réacteur expérimental CABRI. Dans une nouvelle configuration de ce réacteur, cet essai visait à tester le comportement du combustible en situation accidentelle, dans le cas d'un accident d'injection de réactivité (RIA ou Reactivity Initiated Accident), de type Tchernobyl. D'un seul coup, beaucoup d'énergie apparaît au sein du combustible. Nous devons connaître son comportement pour bien comprendre et maîtriser les accidents.

Dans le domaine médical, l'IRSN poursuit des recherches sur les cellules souches pour traiter les personnes ou les patients sur-irradiés. La sur-irradiation peut résulter d'une mauvaise manipulation d'une source radioactive qui se retrouve à dehors, ou des effets d'un traitement de radiothérapie mal contrôlé.

L'IRSN et le service de santé des armées, à l'hôpital d'instruction des armées Percy, ont développé une compétence rare au niveau international pour traiter les personnes sur-irradiées. Nous sommes régulièrement sollicités pour traiter de telles situations, la dernière ayant eu lieu en mai 2019.

Dans le domaine de la recherche, je voulais évoquer un cas de transfert technologique. Bien que ce soit un sujet mineur par rapport à l'ensemble des activités de l'institut, il est assez emblématique. Dans le cadre de nos activités de dosimétrie, nous avons voulu étudier des molécules particulières, pour mesurer la contamination d'un organisme. Nous ne sommes pas parvenus à nos fins. Par contre, nos chercheurs ont eu l'idée d'étendre cette démarche à un nouvel axe de recherche, qui a donné lieu au développement d'une nano-émulsion, sous forme de crème, efficace en cas d'urgence pour le traitement d'une contamination cutanée. Cette recherche a abouti à deux thèses, neuf publications, un brevet, puis un partenariat avec une société. Avant de commercialiser ce produit, nous nous sommes bien sûr assurés de son innocuité et de son efficacité. Sa commercialisation à destination des industriels du nucléaire permet de traiter des contaminations cutanées de manière beaucoup plus efficace qu'avant.

Notre contrat d'objectifs et de performance nous demande aussi de renforcer nos partenariats et de valoriser nos plateformes expérimentales.

Dans le domaine de l'expertise, les sujets sont très nombreux. Je peux supposer que vous allez m'interroger sur un certain nombre d'entre eux. Concernant l'EPR, l'IRSN poursuit son expertise sur le dossier de sûreté, et a par ailleurs expertisé récemment les soudures du circuit secondaire principal. Nous avons expertisé le dossier d'options de sûreté de la piscine centralisée d'EDF. Nous travaillons de manière très intense sur la prolongation au-delà de 40 ans des réacteurs de 900 mégawatts. À titre d'information, l'IRSN a investi sur ce sujet l'équivalent de 66 personnes en 2018. Cet effort est important. Nous avons prévu, en accord avec l'ASN, de rendre un avis conclusif sur ce sujet en mars 2020. J'ai aussi évoqué les deux expertises réalisées pour la CNDP.

Sur saisine de la direction générale de la santé et la direction de la sécurité sociale du ministère de la santé, nous avons évalué en 2018 l'état du parc de scanners, qui compte un peu plus d'un millier d'unités en France, au regard de la protection des patients. Nous recommandons le renouvellement des scanners de plus de dix ans, et de plus de sept ans pour les scanners pédiatriques, les enfants étant plus sensibles que les adultes aux rayonnements ionisants. Par ailleurs, nous recommandons le renforcement de la justification des actes, en insistant sur la nécessité pour les professionnels de santé de s'interroger sur la nécessité d'un scanner par rapport à des techniques alternatives sans irradiation telles que l'imagerie par résonance magnétique (IRM).

Globalement, l'IRSN essaie d'améliorer sa capacité d'expertise. Dans cette perspective, nos travaux portent sur l'expertise augmentée, avec le recours à l'intelligence artificielle et au datamining, pour exploiter aussi efficacement que possible un grand nombre de données. À ce sujet, nous venons d'être retenus par le Fonds de transformation de l'action publique pour le projet PIREX (Plateforme intégrée de retour d'expérience). Outre évidemment la recherche, les moteurs de la sûreté sont aussi les retours d'expérience, à travers l'analyse de tous les événements survenus dans les installations, en France et à l'étranger. L'IRSN reçoit des données concernant environ 1 200 événements par an. Notre base de données en rassemble plus de 40 000. Notre volonté est de mettre en oeuvre des dispositifs utilisant l'intelligence artificielle pour être beaucoup plus efficaces dans le traitement de l'ensemble de ces données.

Dans le domaine de l'ouverture à la société, notre contrat d'objectifs et de performance nous demande de poursuivre et de renforcer notre interaction avec les parties prenantes sur notre expertise. Votre récent rapport sur l'expertise des risques sanitaires et environnementaux le recommande également. Nous allons notamment mettre en place un comité de dialogue avec les parties prenantes sur l'expertise. Aujourd'hui, un tel comité existe dans le champ de la recherche. Il sera étendu à l'expertise.

Voici quelques exemples concrets d'ouverture à la société : une expérience pilote en Haute-Vienne, qui associe les habitants pour qu'ils appréhendent mieux le risque lié au radon et prennent en charge, le cas échéant, des améliorations de leur habitat pour le réduire ; une démarche scientifique de mesure de la concentration du tritium dans l'eau de pluie et d'interprétation des résultats avec des lycéens du Cotentin, à Cherbourg, Coutances et Saint-Lô, en lien avec notre Laboratoire de radio-écologie de Cherbourg-Octeville (LRC) ; ou encore une implication importante dans le débat public concernant le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR).

Je termine mon introduction par quelques mots à propos de la photo de couverture de notre rapport. Il s'agit d'une installation de l'IRSN : le tube en cristal photographié rassemble des billes métalliques. L'objectif est de les chauffer par radiofréquences, afin d'analyser le comportement de l'eau injectée sur ces billes chauffées. Cette simulation représente ce qui se passerait en cas d'accident nucléaire. Le combustible se dégraderait, formerait des débris. Les procédures prévues consistent à injecter de l'eau, pour voir comment celle-ci se comporte au contact de ces débris.

Ce programme est financé par l'Agence nationale de la recherche (ANR), au titre des suites de l'accident de Fukushima. La France, comme tous les pays, a pris des mesures sur ses installations. Par contre, elle est l'un des rares pays, peut-être le seul, à avoir dégagé des ressources pour mener des recherches en sûreté nucléaire et radioprotection. Cette photo de couverture illustre l'une de ces actions de recherche. L'un des premiers essais a montré que l'eau ne rentrait pas forcément dans les débris. Elle peut en être expulsée et avoir tendance à faire le tour, ce qui n'atteint pas l'objectif de refroidissement. C'est cela que l'on veut tester dans cette installation.

Je conclus sur ces mots la présentation synthétique du rapport annuel de l'IRSN pour l'année 2018.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.