Intervention de Jean-Christophe Niel

Réunion du jeudi 27 juin 2019 à 9h45
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Christophe Niel, directeur général de l'IRSN :

– La surveillance de l'environnement est l'une des missions de l'IRSN. À cette fin, nous disposons de plusieurs outils.

Les 470 balises pour mesurer les rayonnements gamma sont réparties de la manière suivante : une par département et les autres autour des installations nucléaires. Elles fonctionnent en parallèle des mesures réalisées par les exploitants nucléaires, par obligation réglementaire. Par exemple, EDF est le premier à mesurer le tritium dans la Loire.

Nous avons une quarantaine de stations de mesure des aérosols, des poussières sur lesquelles peuvent se fixer des produits radioactifs. Dix de ces stations sont à très haut débit. Le débit standard est de 100 m3 par heure, alors que le très haut débit s'élève à 800 m3 par heure. Dans le sud-est de la France, à Nice, Ajaccio, etc., ces stations à très haut débit ont détecté, fin 2017, le fameux ruthénium-106, à l'origine d'un certain nombre d'interrogations. Nous continuons à réaliser des prélèvements d'herbe, de lait, etc., pour disposer d'un maillage. Nous avons également une balise sur le toit de l'ambassade de France à Tokyo, suite à Fukushima, et une à Kiev.

Ces mesures sont toutes publiques et suivies par un dispositif de surveillance des valeurs. Dès qu'une valeur anormale apparaît, un système d'astreinte permet de l'analyser tout de suite, pour essayer d'en comprendre l'origine.

La France a mis en place le réseau national de mesures radioactives de l'environnement. Sous l'égide de l'ASN, l'IRSN est l'organisme opérationnel qui gère cette base de données. Sur le principe, l'ensemble des mesures réalisées par les opérateurs, mais aussi par tous les organismes qui acceptent de se faire agréer, alimentent ce réseau. Ces mesures sont aussi accessibles sur Internet.

Notre boîtier citoyen s'appelle « OpenRadiation ». Après Fukushima, les Japonais n'ont pas attendu les mesures de contamination faites par le gouvernement ou l'exploitant. Ils ont effectué des mesures eux-mêmes. L'IRSN a décidé de développer à son tour un petit appareil pour mesurer les rayons gamma. Il coûte 100 euros sur notre site. En temps de crise, je suis sûr qu'ils se vendront comme des petits pains. Ce qui est compliqué, c'est de mobiliser les gens en « temps de paix ». Pour ce faire, nous essayons de développer des partenariats et des actions avec les CLI et l'ANCCLI.

Les boîtiers sont connectés à un site (www.openradiation.org), sur lequel on peut créer des sous-sites. Cet outil vise à développer des projets pédagogiques, pour sensibiliser les jeunes à la gestion du risque, et aussi pour les attirer vers des carrières scientifiques. Il semblerait que celles-ci ne soient pas suffisamment attirantes aujourd'hui.

L'IRSN travaille en partenariat avec IFFO-RME, Institut français des formateurs risques majeurs et protection de l'environnement de l'Éducation nationale, Planète Sciences, association promouvant la science auprès des jeunes, et le FabLab (contraction de fabrication laboratory, ou laboratoire de fabrication) de l'Université Pierre et Marie Curie.

Il existe d'autres détecteurs sur le marché, et nous souhaitons que notre site Internet puisse accueillir des mesures issues d'autres systèmes.

L'une des réflexions à développer porte sur l'usage de cet outil en cas de crise. Beaucoup de mesures seront réalisées par des personnes qui ne sont pas expertes. Comment faire de cet outil un appui à la gestion de crise ? La logique de validation des mesures n'est pas du tout celle des professionnels de la mesure, pour lesquels existent des agréments. Dans le monde connecté, si une valeur aberrante apparaît au milieu d'un grand nombre d'autres, on aura tendance à dire qu'elle est erronée. Nous devons travailler sur ce sujet.

Concernant la question de Mme Émilie Cariou sur la prolongation des centrales, c'est l'un des sujets majeurs de l'IRSN, qui y a consacré 66 équivalents temps plein en 2018. Plus largement, la première question concernait le problème des compétences, y compris de la sous-traitance. Voici plusieurs années, l'IRSN a réalisé un travail sur la sous-traitance d'EDF. Ce sujet est lié à la prolongation des centrales, puisque les arrêts de tranche correspondant à la prolongation de l'exploitation au-delà de la durée initialement prévue seront particulièrement importants. Lors de ces arrêts de tranche, 80 % des interventions de maintenance sur les gros matériels seront sous-traitées.

Dans le cadre des évaluations complémentaires de sûreté post-Fukushima, le nombre de modifications est également important, ce qui va aussi dans le sens d'un accroissement de la sous-traitance.

Notre étude est fondée sur les interviews d'un certain nombre d'opérateurs. Nous avions retenu qu'EDF avait mis en place des dispositions destinées à contribuer à la maîtrise de la sous-traitance. Trois points nous semblaient saillants : améliorer la capacité des entreprises sous-traitantes à répondre aux attentes des objectifs de sûreté, renforcer les moyens mis à disposition des prestataires pour faire face aux aléas et partager le retour d'expérience entre les sous-traitants et EDF. Concrètement, lors d'un dysfonctionnement, le sous-traitant peut ne pas être motivé à le faire remonter à EDF. Or, en termes de sûreté, il est très important de le partager. Globalement, pour aller dans le sens de la sécurité, l'idée serait de développer une relation co-construite, sans se limiter à une relation de donneur d'ordres à exécutant.

Quels sont les moyens de l'IRSN ? En permanence, nous hiérarchisons les sujets pour être en mesure de répondre. Nous pourrions toujours en faire plus. Le point important dans notre démarche d'expertise – à cette fin nous avons des processus internes – est d'évaluer les vrais enjeux et les vrais problèmes. Nous sommes très structurés dans ce domaine. Nous nous organisons pour cela. Récemment, nous avons mis en place un fonctionnement en mode projet sur deux sujets en lien avec l'ASN : l'EPR et la prolongation de l'exploitation au-delà de quarante ans. Les enjeux sont très conséquents, et les moyens mobilisés par l'IRSN très importants. 40 personnes ont travaillé sur l'EPR de 2015 à 2017.

Quels sont les défis majeurs pour la prolongation de l'exploitation au-delà de 40 ans ? J'en vois deux. Le premier concerne le renforcement de la sûreté, notamment la prise en compte des accidents graves avec fusion du coeur. Cette question est apparue lors de l'accident nucléaire de Three Mile Island. Les réacteurs d'aujourd'hui n'ont pas été conçus pour intégrer ce type d'accident, même si beaucoup de mesures ont été ajoutées depuis. À l'inverse, les réacteurs de troisième génération, comme l'EPR, ont été conçus pour gérer ces accidents graves. En cas de perte de refroidissement, le combustible s'échauffe, fond, traverse la cuve et tombe sur le radier. Sous la cuve du réacteur EPR, un récupérateur de corium permet à celui-ci de s'étaler et de se refroidir, afin d'éviter le transfert de la contamination à l'environnement.

L'une des premières questions posées à EDF dans le cadre de la prolongation de l'exploitation des réacteurs portait sur la possibilité d'installer un récupérateur de corium. Considérant que c'était techniquement impossible, EDF a proposé une méthode alternative basée sur des résultats de R&D. L'idée est la suivante : quand le corium arrive sur le béton, il est noyé dans l'eau. L'interaction entre le béton, le corium et l'eau va permettre une dissipation thermique suffisamment importante.

L'IRSN a participé aux essais sur l'interaction entre le corium et le béton, réalisés notamment aux États-Unis. L'avis que l'IRSN a récemment rendu à l'autorité de sûreté sur ce sujet indique que les réacteurs peuvent être répartis en deux grandes catégories, selon le contenu en silice du radier. S'il y a beaucoup de silice, nous ne sommes pas convaincus par la démonstration et recommandons de renforcer le radier par une couche de béton qui permettrait de mettre en oeuvre le mécanisme physique sur lequel travaille EDF. Pour les autres réacteurs, l'IRSN estime que les éléments apportés par EDF sont convaincants.

S'il est positif d'améliorer la sûreté d'un réacteur, il faut au préalable que celui-ci soit conforme à ce qu'il doit être. C'est un enjeu très important. Ajouter des mesures supplémentaires est inutile s'il existe « des trous dans la raquette ». L'IRSN estime que la conformité des installations représente un véritable enjeu. Si le niveau de sûreté des installations d'EDF est satisfaisant, l'IRSN considère néanmoins que des progrès restent à faire dans la maîtrise de la conformité.

Il existe donc deux défis majeurs : les accidents graves – celui du radier est majeur, mais il en existe d'autres – et la conformité, un enjeu très important qui va au-delà de la question des prolongations d'exploitation.

Concernant les moyens financiers d'EDF, je n'ai pas vraiment de réponse. L'IRSN ne s'occupe pas des finances. Néanmoins, s'il y avait des dérives, nous pourrions les constater au travers de la capacité d'EDF de répondre à nos questions, ou de la pertinence de l'organisation.

Le réchauffement climatique est pris en compte, notamment à l'occasion des quatrièmes visites décennales. Sur ce plan, il existe un référentiel « Grand chaud ». En 2003 et 2006, les températures ont été particulièrement élevées en France. Dans un certain nombre de centrales, les températures limites des équipements ont été dépassées. EDF a fait un important travail pour prévenir une reproduction de ces difficultés, notamment en installant des matériels résistant mieux à la chaleur, et en augmentant la capacité d'un certain nombre d'échangeurs de chaleur. Ce sujet est scruté.

Les alimentations électriques constituent l'un des éléments importants pour la sûreté des réacteurs. Chaque réacteur dispose de deux alimentations électriques externes, les grandes lignes arrivant sur les centrales, et de deux diesels de secours. Un troisième diesel, dit ultime, n'est pas encore en service dans l'ensemble des installations, l'ASN ayant autorisé par dérogation un report jusqu'en 2020. Ce dispositif présente certaines faiblesses.

Aujourd'hui, pour faire face à cette situation de canicule que nous n'avions pas anticipée, les deux diesels de secours sont donc essentiels. Voici quelques semaines, l'IRSN a recommandé à l'ASN de demander à EDF de tester leur fonctionnement en situation de canicule. En effet, ils utilisent l'air ambiant à la fois comme comburant et refroidisseur. De ce fait, une température élevée peut avoir un effet sur leur efficacité, et les rendre moins opérants qu'attendu en cas d'accident. Ces tests devaient être réalisés à la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly, en profitant de la canicule.

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